18 septembre 2017

Le Cinéma de George Cukor VI. 1959-1962

Heller in pink tights (La Diablesse en collant rose), 1959
Un western produit par Carlo Ponti mettant évidemment en vedette la beauté de son épouse d'alors, une Sophia Loren malheureusement teinte en blonde. Le film raconte l'histoire d'une troupe de théâtre itinérante un peu arnaqueuse, menée par un Anthony Quinn qui livre une interprétation magnifique, pleine de douleur et de sensibilité. Car derrière le divertissement élégant, il est aussi question des vrais sentiments que ces gens du spectacle sont souvent contraints de travestir.

Le film est rigoureusement découpé en trois actes. Le premier est mené sur un rythme ébouriffant de pure comédie, présentant la troupe au cours de ses préparatifs pour une représentation dans la ville boueuse de Cheyenne. Richesse des décors, opulence des costumes (signés Edith Head) et des couleurs. Puis on les suit dans leur périlleuse traversée d'un territoire indien — seule partie relevant véritablement western des codes du western — où les situations se font plus graves. Les personnages cessent de jouer la comédie, et sont amenés à payer le prix de leurs mensonges. Puis c'est l'arrivée dans la cité de Bonanza et la tentative de reconstruction de la troupe. Là encore, Cukor trousse des scènes éblouissantes autour des représentations, où la vie et le théâtre se confondent, et où tous les enjeux du film doivent se résoudre : sentiments amoureux, destin professionnel, mis sur le même plan que les règlements de compte des mercenaires. L'idée de rapprocher le film du genre western s'est alors évaporée depuis longtemps, et on pense finalement bien davantage au flamboyant Carrosse d'or de Renoir.




Let's make love (Le Milliardaire), 1960
J'en connaissais déjà les succulentes chansons, Incurably romantic, Let's make love et My heart belongs to daddy, petits bijoux narratifs aux formidables arrangements qui swinguent. Ça a beau être du scope couleurs, Cukor se cantonne modestement à une poignée de décors pour mettre en scène une inoffensive mais délicieuse comedia dell'arte, dans le petit milieu du spectacle qu'il filme avec une vraie volonté de réalisme, du moins en nous épargnant les clichés et la vision glamour et factice souvent prisée à Hollywood. On assiste à des répétitions qui sentent la sueur et l'abnégation, mais aussi la passion, au sein d'un petit théâtre off Broadway un peu miteux, où chaque maillon de la chaîne a son importance, des techniciens, au metteur en scène, en passant par le directeur de troupe ou l'attaché de presse. Les numéros musicaux peuvent ainsi être exécutés directement sur scène, et le fait de nous les montrer plus ou moins à l'état de répétitions (sans les costumes et avec passage à la cantine) ajoute encore à l'authenticité. Et quel régal de voir se succéder dans leur propre rôle les trois superstars appelées à servir de coach au milliardaire (je ne les citerai pas pour garder la surprise à ceux qui n'auraient pas vu le film) !

On est dans du comique de quiproquo relativement classique mais sûrement efficace. Le protagoniste est contraint de jouer un rôle, sauf qu'ici se rajoute un double effet miroir puisque le masque porté par Montand lui permet finalement d'être vu pour ce qu'il est réellement et non pas pour l'image qu'il renvoyait notamment via les médias. Et, évidemment, ça fonctionne d'autant mieux que ça passe par le regard pur de Marilyn. Elle a beau être castée ici sans vraie prise de risque, dans un rôle complètement identique à celui qu'elle a dans ses deux films avec Wilder (Amanda Dell = Sugar Kane, l'ingénue enfant de la balle au charme naturel), elle est parfaite et merveilleusement mise en valeur, tant dans le registre dramatique que dans les numéros musicaux où, entre sa voix inimitable et les chorés très hot, il est difficile de ne pas craquer. D'ailleurs, quelle audace dans les sujets des chansons, pour un film de studio produit en ce début des 60's (le titre VO est sans aucun double sens) ! Je ne connaissais pas Frankie Vaughn, mais l'ai trouvé lui aussi d'une épatante présence, en plus de se montrer formidable crooner.


Certes, l'ensemble est loin d'être parfait, l'évolution des personnages n'étant pas très convaincante : si on comprend pourquoi Montand s'acharne sur Monroe, on a un peu de plus de mal à saisir pourquoi cette dernière devrait succomber alors que pendant la majeure partie du film elle semble davantage émue par le personnage de Frankie, qu'on nous rend très touchant. Et puis je ne peux m'empêcher de ressentir un peu de frustration compte tenu des promesses d'une telle affiche. C'est déjà assez gonflé de choisir Montand pour un rôle d'apprenti showman sans talent, le problème est qu'on assistera jamais vraiment à son apothéose. On se contente alors de 2-3 chansons qu'on lui laisse à peine le temps de fredonner, et d'une micro-séquence fantasmée où les quelques pas qu'il esquisse sont encore plus frustrants par ce qu'ils laissaient espérer. De ce point de vue-là, c'est presque une erreur de casting (même s'il est très bon).





Something's got to give (Quelque chose doit craquer), 1962
Ayant toujours sa poule aux œufs d'or sous contrat, la Fox trouve judicieux d'associer à nouveau Monroe et Cukor pour une autre comédie d'inspiration théâtrale, tant le scénario semble reposer sur le goût des quiproquos et les situations vaudevillesques. Le casting est complété par Dean Martin et Cyd Charisse, et tout semble réuni pour aboutir à un succès, la presse et les paparazzi se chargeant d'assurer une publicité gratuite, au détriment de la vie privée d'une Marilyn objet de toutes les rumeurs. En effet, très vite le tournage tourne au cauchemar pour Cukor et son équipe, l'actrice apparaissant plus fragilisée que jamais par sa dépendance aux drogues, et multipliant les absentéismes. Le réalisateur met laborieusement en boîte ses scènes pendant les quelques minutes où elle se montre suffisamment d'attaque... jusqu'à ce que la Fox prenne prétexte de ces difficultés pour virer sa star d'un projet auquel elle ne croit plus. Le studio n'aura pas le temps de revenir sur sa décision, Marilyn sera retrouvée morte chez elle quelques semaines plus tard, âgée de 36 ans.

La carrière de l'actrice se sera donc officiellement achevée sur le somptueux The Misfits, vrai film-testament qu'elle avait tourné juste avant sous la direction de John Huston. Et Something's got to give demeure inachevé. En 2001, un documentaire sur le film proposait une reconstitution de la trentaine de minutes exploitable tournée par Cukor. Impossible de dire si on a perdu là un grand film, et on se contentera de rêver devant les beaux plans de la scène du bain de minuit, qui promettaient d'entrer dans l'Histoire du 7e art au même titre que le courant d'air du métro sous la robe de Marilyn dans Sept ans de réflexion.



DOSSIER GEORGE CUKOR : 

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