11 septembre 2017

Le Cinéma de Peter Weir IV. 2003-2010

Master and commander : the far side of the world, 2003
L'affiche et la bande annonce m'avaient fait me détourner complétement du film à sa sortie. Il aura fallu une inattendue pleine page enthousiaste du Monde pour exciter ma curiosité et me pousser finalement à aller le voir avant qu'il ne quitte les écrans. Grand bien m'en prit. Weir livrait ici incontestablement un film grand et beau, simple et profond, pouvant être abordé sous de nombreux angles. Bénéficiant d'un budget de superproduction, rien que sur le plan de la reconstitution et du réalisme sans complaisance, c'est une réussite. On sent que le réalisateur est parfaitement conscient du moindre de ses effets de mise en scène et sait superbement en jouer. 

Dès sa magistrale ouverture, sans musique, toute en fausse tranquilité nocturne, on se sent projeté dans ce monde de bois et de corde qu'est la navigation en haute mer. Puis, plus tard, la façon dont il nous fait débarquer sur les Galapagos, la caméra d'abord penchée sur Paul Bettany qui s'éveille sur son brancard, tandis que le réalisateur nous apaise en laissant une nouvelle fois une grande place à la musique classique. Le docteur ouvre les yeux et se rend alors compte qu'on le transporte sur cette terre qu'il ne pensait pas fouler. De même lorsqu'il attrape son spécimen de scarabé volant : sa main s'ouvre en gros plan, et la mise au point passe soudain de l'insecte à l'Acheron qui déboule dans la baie, l'achèvement de sa quête scientifique se superposant aux nécessités de la mission militaire. Le film repose beaucoup sur l'énergie du duo Bettany/Crowe. Chacun suit son obsession en parallèle, avant de se rendre compte que les deux sont liées, et qu'elles se nourissent (ainsi le phasme ramené des Galapagos inspirera directement sa dernière ruse au Capitaine).

Ce que j'ai trouvé vraiment intéressant, et dont je ne m'étais pas rendu compte tout de suite, c'est ce choix de faire de Crowe un personnage qui, malgré son statut de héros respecté par son équipage, multiplie erreurs et mauvais choix du début à la fin, sans pour autant perdre son prestige auprès du spectateur, ni être ridiculisé pour autant. Bien que portées avec panache, ses idées débouchent toujours sur un échec, ou une volte-face, et ce jusqu'au final où se fait une dernière fois damer le pion avant de repartir. Malgré son caractère plutôt dramatique, le récit fonctionne donc sur une mécanique finalement assez ludique. C'est une poursuite faite de coups de bluffs, et qui pourrait se poursuivre indéfiniment (et elle ne s'achève d'ailleurs pas avec le générique de fin). C'est en situant ainsi son récit sur un plan quasi abstrait que Weir lui donne toute sa grandeur, et fait atteindre à ce nouveau chef-d'œuvre une dimension cosmique.




The Way back (Les Chemins de la liberté), 2010
Après la magistrale réussite de Master and commander, quelle tristesse de constater qu'il aura fallu 7 ans à Weir pour faire aboutir son film suivant. Et sa filmo n'a pas bougé depuis, le réalisateur semblant rejoindre ainsi la trop longue liste des grands noms du cinéma qui peinent aujourd'hui à financer leurs films (Boorman, De Palma), quand ils n'échouent pas dans d'obscures coproductions internationales... J'ai donc découvert tardivement ce The Way back. Rayon reproches, j'ai regretté que le suspense soit éventé dès l'ouverture, avec cette mention qui au lieu de se contenter de nous informer qu'il s'agit d'une histoire vraie annonce déjà le nombre de survivants. Il faudra également accepter cette convention de l'anglais imposé, qui peut se justifier pour faire dialoguer les différentes nationalités forcées de cohabiter dans le film. Les personnages secondaires auraient sans doute gagnés à être plus longuement introduits, on ne fait véritablement connaissance avec eux qu'au cours du périple, et je soupçonne pas mal de scènes du goulag coupées. Et surtout l'épilogue est tiédasse alors qu'on aurait du sortir bouleversé. 

Et pourtant impossible pour moi de me montrer trop sévère. J'ai beaucoup apprécié la sobriété du traitement, Weir livrant finalement ici un projet relativement risqué et plutôt antihollywoodien par ses parti-pris. C'est un film de survie sans péripéties artificielles, où l'ennemi est incarné par l'environnement, qu'il soit visible (une Nature pas faite pour l'homme) ou invisible (un système politique de répression qui les encercle). On suit donc une poignée d'hommes qui vont devoir arracher leur liberté par la force de leur volonté, lancés dans une quête presque absurde au vu des distances à parcourir. Et le résultat à l'écran est loin de n'être qu'une succession de plans de types qui crapahutent, le scénario faisant preuve de suffisamment de finesse pour éviter l'impression de répétition, apportant son lot d'idées et de développement à chaque scène. De même, les personnages font preuve d'une bienveillance qui nous fait échapper aux clichés de la caractérisation qu'on trouve trop souvent dans ce genre de films. Colin Farrell est à fond, et son jeu très animal continue de me fasciner. Je connaissais pas Jim Sturgess, et derrière sa gueule de minet j'ai trouvé qu'il assurait une belle prestance. Et ça me fait personnellement toujours plaisir de retrouver Ed Harris, acteur de grande classe, toujours impliqué — et de la troupe c'est sans doute lui qui parviendra à instiller le plus d'émotion. Et il y a aussi ce très beau rôle de Saoirse Ronan, qui échappe là encore au convenu du personnage féminin. Weir donne la formidable impression d'abolir la distinction entre l'acteur et son personnage, plongés tous deux dans les mêmes épreuves, forcé d'affronter les éléments. J'ai ainsi vraiment partagé la douleur tant physique que morale qui est la leur, et été franchement touché par la tristesse latente qui plane sur toute cette histoire.

On comprend bien ce qui a pu intéresser le cinéaste dans cette récit, et je veux bien croire qu'il offre là un travail de reconstitution rigoureux (quand bien même les paysages où le film a été tourné ne sont pas tous ceux de l'action). Il n'est cependant pas question ici de susciter une quelconque fascination ou une idée d'osmose entre l'homme et la Nature. En dehors de quelques séquences, souvent joliment soutenues par la musique, les personnages doivent s'adapter aux éléments pour survivre, chaque étape de leur périple, chaque changement de paysage incarnant un nouveau défi qui met leurs ressources (et leur solidarité) à l'épreuve. L'embêtant, c'est que face à ce spectacle, je ne pouvais m'empêcher de penser au travail visuel de The Revenant, qui me semble avoir désormais imposé un nouveau jalon dans la façon de montrer précisément la toutepuissance de la Nature, et les plans de Weir n'ont pas même suscité l'admiration que j'avais au moins pu avoir sur Master and commander ou Gallipoli. Etonnant d'ailleurs qu'il ne montre rien de la traversée de l'Himalaya, alors que cette perspective se présentait comme le climax logique. Bref, un film certainement pas parfait, mais sortant suffisamment des sentiers battus pour se voir défendu.



DOSSIER PETER WEIR :

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