13 septembre 2017

Deux récits russes

Mikhaïl Boulgakov, Écrits autobiographiques, 1921-1934
En même temps que je réalisai au bout de quelques pages que je l'avais déjà lu, j'ai compris pourquoi je n'en avais aucun souvenir. Les textes réunis ici sont certainement intéressants à titre documentaire, brossant en creux le portrait d'un auteur progressivement réduit au silence dans un État devenu totalitaire. Mais ils me sont apparus tellement liés au contexte de leur rédaction qu'ils en devenaient difficiles d'approche. Pour preuve, cette édition est truffée de notes qui expliquent qui sont les personnalités évoqués, les faits cités, et décrypte l'origine de certaines allusions.

Bref, ça a un peu perdu de sa force et de son sens pour le lecteur contemporain que je suis, même si j'ai apprécié d'avoir pu piocher ici et là quelques éléments de compréhension supplémentaires sur la personnalité et le destin vraiment pathétique de cet auteur génial qu'était Boulgakov. Sachant que, de La Garde blanche au Maître et Marguerite, ses œuvres de fiction sont plus qu'empreintes d'une inspiration autobiographique, et que c'est sans doute là aussi que réside leur force.





Nina Berberova, Le Cap des tempêtes, 1950
Publication posthume, ce récit est servi par une écriture magnifique, délicate et quêtant la grâce. L'histoire de trois demi-sœurs russes, Dacha, Zaï et Sonia qui se retrouvent toutes à vivre ensemble à Paris avec leur père et l'une des mères, au moment où chacune s'inquiète de son entrée dans l'âge adulte. Ça démarre dans la Russie de 1917 et ça s'achève dans le Paris de 1939. Les événements historico-politiques pèsent sur ces destins tout en demeurant en arrière-plan, tel le pressentiment d'une catastrophe qui rendra bientôt caduques les valeurs du passé. Donnant l'illusion d'une absence d'intrigue, la romancière nous plonge littéralement dans la tête de ses héroïnes. Et c'est véritablement là qu'elle déroule les paysages de la pensée. Chaque sœur a son histoire personnelle, se montrant soucieuse de ne pas se laisser déterminer par ses précédentes expériences. Pour trouver un sens à son existence, elles tentent ainsi de se fabriquer leur propre avenir avant de finalement constater tragiquement que la lutte avec soi-même est vaine. 

Il est question ici de miracle, d'amour et de poésie, de désir et d'harmonie avec le monde. C'est vraiment un texte beau et étonnant. Étonnant parce que Berberova nous balade dans un monde à la fois familier et inconnu qui peut en cela nous apprendre des choses sur nous-même. Les pages de dialogues et de monologues sont à ce titre d'une intelligence rare, parfois difficiles devant la nature de ces réflexions franchement métaphysiques, mais personnellement la magie a opéré et ça m'a beaucoup parlé.

5 commentaires:

Strum a dit…

Ce que tu dis du livre de Berberova donne envie. Je n'ai rien lu d'elle. J'aime énormément Le Maitre et Larguerite de Boulgakov, mais je n'ai rien lu d'autre de lui.

Elias FARES a dit…

Ça reste à ce jour le seul Berberova que j'aie lu. De Boulgakov, "Le Maître" est aussi à part qu'indépassable, mais ce serait dommage de passer à côté du reste de son œuvre romanesque, de ses délicieux récits à son grand et beau roman La Garde blanche.

E.

Strum a dit…

Merci. La Garde Blanche me tente bien. Je le note dans ma pile mentale de livres à lire...

Véronique Hottat a dit…

C'est toujours agréable de passer par ici et de lire des billets ne portant pas sur cette sempiternelle rentrée littéraire du moment, qui me tape sur le ciboulot à force de matraquage (même si je suis certaine qu'il y a aussi quelques bons romans dans le tas). De Boulgakov, j'ai lu son roman phare mais aussi Le roman de monsieur de Molière (http://livresque-sentinelle.blogspot.be/2010/02/le-roman-de-monsieur-de-moliere-de.html). Un auteur vers lequel je reviendrai, sans aucun doute. Quel plaisir aussi de retrouver cette chère Nina Berberova. Relecture en 2010 de son recueil de nouvelles paru dans Récits de l'exil, j'en ai parlé également ici : http://livresque-sentinelle.blogspot.be/2010/09/recits-de-lexil-de-nina-berberova.html. On ne dira jamais assez à quel point son écriture était belle, un vrai plaisir pour le lecteur.

Elias FARES a dit…

Oui, Berberova ça a été une lecture de hasard (un cadeau plus précisément), et ça mériterait que j'y revienne.

E.