Un authentique film d'art et essai, par ses partis-pris tant formels que narratifs. Jarman
nous invite à partager sa vision d'un artiste d'exception, vision clairement
fantasmagorique puisqu'elle nous est présentée comme le récit d'un homme au
seuil de sa mort, se remémorant certains drames de sa vie, au premier rang
desquels la belle et triste histoire d'un triangle amoureux. Avec un travail
sur la lumière assez sublime, Jarman a entièrement tourné son film en studio, assumant pleinement ses artifices pour mieux recomposer de véritables tableaux vivants, sans pour autant tomber dans l'illustration
désincarnée. Il joue à l'occasion avec les anachronismes, par de petits détails
qui se révèlent toujours signifiants et rendent vraiment le visionnage intéressant, et même un peu amusant.
On en apprendra cependant assez peu sur la vie du génial artiste italien lui-même, alors que sa bio particulièrement romanesque avait de quoi
nourrir un film (sur le sujet, je recommande La Course à l'abîme,
biographie romancée signée Dominique Fernandez). On verra néanmoins Carravagio, enfant prodige et un
peu voyou, entrer dans les bonnes grâces de quelques pères de l'Eglise qui offriront un cadre protecteur à l'expression de son art. Tout le
film est traversé par la voix off du peintre, récitant un texte à la poésie
magnifique. Dans le rôle-titre, Nigel Terry (le Roi Arthur de Boorman), est
absolument époustouflant, visage beau et douloureux. On y croise également le
tout jeunôt Sean Bean, ainsi que la fidèle Tilda Swinton, mais aussi Robbie Coltrane et Michael
Gough. Une œuvre à part et assez marquante, puisque j'en garde aujourd'hui encore des
images fortes.
Wittgenstein,
1993
Tourné pour la télévision mais distribué en salles, ce court film (70')
est l'un des derniers du réalisateur. Jarman met une nouvelle fois en scène un
personnage historique parce qu'il se reconnait un peu en lui. Le cinéaste a vu en
Wittgenstein un être qui a soif d'absolu, qui s'interroge constamment sur le
sens de la logique, et qui de fait apparaît comme une sorte d'extraterrestre aux yeux de ses
contemporains. Ce qui donne lieu à un enchaînement de scènes souvent très
cocasses, assumant complétement la dimension à la fois comique et pathétique
d'un personnage adulé et pourtant bien seul. Dans le rôle titre, Karl Johnson
est tout simplement phénoménal.
Moins iconoclaste que son Caravaggio et ses
anachronismes qui en appelaient à la complicité du spectateur, Wittgenstein fonctionne également sur un dispositif
filmique particulier : aucun décor, les personnages jouent sur un fond noir, la
scène se résumant uniquement aux accessoires et mobilier nécessaires à
l'action. Ce procédé et le fait qu'on y parle du sens de la philosophie ne doit
surtout pas faire craindre un spectacle pesant ou prétentieux, bien au contraire. C'est un film aussi plein d'esprit que de vie.
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