Diffusé en
décembre 2006 sur la chaîne américaine Showtime, Homecoming est le 6e
épisode de la série Masters of horror. Créée
par l'auteur-réalisateur Mick Garris, un proche de Stephen King, déjà à l'œuvre sur Amazing stories et Tales from the crypt, cette anthologie horrifique se proposait de confier la réalisation de chaque
épisode à de grands noms du cinéma fantastique. Aux côtés de John Landis, Dario Argento, John Carpenter,
Don Coscarelli, Tobe Hooper ou encore Takashi Miike, on ne s'étonnera donc pas
de croiser parmi ces Maîtres de l'horreur Joe Dante (pour lequel
Garris avait d'ailleurs tourné en 1981 le making of The Howling).
L'injuste
échec tant critique que commercial du pourtant excellent Looney tunes back in action en 2003 a une nouvelle fois éloigné le
réalisateur des plateaux hollywoodiens. La télévision est désormais la seule à lui offrir
des opportunités de travail. Les contraintes budgétaires de ce type de
production ne sont pas un problème pour celui qui fit ses premières armes chez Roger Corman et qui a déjà collaboré à
de semblables collections de téléfilms (Picture
windows, Rebel highway). Masters of
horror possède sa propre économie, et l'on retrouve souvent d'un épisode à
l'autre la même équipe technique. Confiés aux artistes de KNB EFX Group d'Howard Berger et Greg Nicotero, aujourd'hui incontournables (Land of the dead, Kill Bill, The Walking dead), les effets
spéciaux de maquillage hyperréalistes constituent une des grandes réussites de la série dans
son ensemble. L'essentiel du casting de ce Homecoming est assuré par des acteurs de télévision et, en dehors du fidèle Robert Picardo, la troupe d'habitués du cinéaste manque à l'appel. Enfin, en retrouvant au générique le nom du compositeur Hummie Mann (Runaway daughters, The Second civil war), on prend la mesure du
temps qu'il faudra avant que l'on puisse retrouver un quelconque équivalent à la si fertile collaboration qui exista entre Dante et Jerry Goldsmith, décédé en 2004.
Porté par une colère sincère vis-à-vis des choix politiques de son pays sous l'ère Bush Jr. et l'après 11 septembre, le
réalisateur profite de la permissivité de la chaîne câblée pour livrer une œuvre
incontestablement personnelle, d'une incroyable richesse et d'une audace
époustouflante, remarquablement rythmée malgré la concision imposée par sa
durée, s'offrant même le luxe de construire son récit en flashback après une
ouverture choc redoutablement efficace. Génialement inspiré par une nouvelle de
Dale Bailey, le scénariste Sam Hamm (Batman returns) parvient à subvertir la commande en abordant de
front l'actualité politique la plus brûlante, dénonçant avec une rage non
masquée les mensonges du président et de son administration, les atteintes
aux libertés civiques qui ont entaché son mandat et l'interventionnisme
controversé en Irak. Choix significatif, la figure du président des États-Unis est absente de ce petit théâtre, Hamm préférant judicieusement circonscrire la scène autour
de ceux qui tirent réellement les ficelles.
David
Murch, le protagoniste, est un conseiller en communication dont le discours
plein d'hypocrisie et politicien au possible va, par on ne sait quel miracle,
être pris au pied de la lettre. En réponse à la détresse réelle d'une mère de
famille éplorée, il va publiquement souhaiter que tous les fils disparus de
l'Amérique puisse revenir à la vie. Comme un mensonge de trop, telle la goutte
d'eau qui fait déborder le vase, sa parole va littéralement faire ressusciter
les milliers de soldats morts dans une guerre qui n'est pas nommée mais qu'on
devine sans effort. C'est comme si la télévision, prise en flagrant délit de
mensonge, était soudainement mise face à ses propres responsabilités,
redécouvrait le poids réel des mots. Que se passerait-il si, pour une fois, le
baratin diffusé chaque jour sur les antennes prêtait enfin à conséquence ? On
retrouve ici cette réflexion sur le sens et la toute-puissance des images qui
est au cœur du cinéma de Joe Dante, de Gremlins à Small soldiers, en passant par Explorers. Murch lui-même a
bâti sans le savoir son système de pensée sur un mensonge, s'appuyant sur un
passé familial qu'il croit glorieux et qui s'avérera être une fiction de plus.
Cette idée
de faire revenir les soldats morts au front est brillante et magnifiquement
exploitée. Et là où Dante fait très fort, c'est en s'affranchissant assez vite
des obligations du film d'horreur pour aller au bout de la satire (le
personnage de Robert Picardo s'étonnera ainsi que les zombies n'aient même pas le
réflexe d'aller dévorer des cerveaux). Contrairement aux clichés, ces
morts-vivants souhaitent "simplement" accomplir leur devoir de
citoyen et voter contre le pouvoir en place, réclamant le droit à une parole
dont on les a privés. Et ils sont nombreux. Constatant que la situation risque
de leur échapper, les autorités ne vont cesser de revoir leur stratégie pour
maîtriser le phénomène. Considérés comme dissidents, les revenants sont
enfermés dans des camps, subissent d'humiliantes expériences scientifiques et
se voient définitivement nier leur statut de héros morts pour la patrie,
réduits à l'état de viande qui ne suscite plus ni respect, ni compassion.
L'armée, toujours soucieuse du moindre profit, envisage d'en faire de
super-soldats, invincibles et immortels. Sam Hamm fustige ainsi le peu de
considération des classes dirigeantes pour le vote des électeurs, puisque tout
est joué d'avance, tout est mis en scène par des médias glaçants de cynisme. L'allusion
aux présidentielles de 2000 avec le dépouillement contesté des bureaux de vote
en Floride est transparente. Hamm reprend également à son compte l'idée déjà
développé dans Dr Folamour du sexe
qui mène le monde, illustrant les relations de pouvoir entre la politique et la
presse. C'est ainsi qu'on verra notre conseiller s'adonner à de troublants jeux
sadomasochistes avec ce surprenant personnage de journaliste arriviste (dont la
plaque minéralogique porte l'inscription "BSH-BABE").
Au beau
milieu de cette farce où l'hilarité est souvent de mise, il arrive cependant
que le rire soit jaune. Ainsi l'étonnante scène du jeune
mort-vivant accueilli et hébergé un soir de pluie par un couple de
restaurateurs. La situation est éminemment absurde et pourtant cette brève parenthèse se révèle profondément touchante. Car derrière la figure du zombie,
il y a une vie gâchée pour une cause injuste, et la frontière entre l'allégorie
et la réalité apparaît alors bien ténue. Dante parvient à une tonalité
peu évidente, subtile, dérangeante et pourtant pleine de pudeur. Les scènes au
bureau de vote proposent le même type d'incongruité. Des zombies déposent leur
bulletin dans l'urne. Ce pourrait être drôle, mais la mort qui suit cet acte
citoyen, comme l'ultime effort après lequel on meurt d'épuisement et l'on
repose enfin en paix, a quelque chose de pathétique. Finalement, aussi bien
vivants que morts, ces hommes sont aussi peu considérés par les autorités, ce
qui ne peut que nous indigner.
Derrière ce
jeu franchement jubilatoire avec les codes d'un genre, Homecoming est donc bien
un virulent pamphlet, qui ne cherche pas à faire de leçon mais à dénoncer
par l'absurde une situation bien réelle. En cela, il mérite d'être rapproché du
cinéma politique de George Romero et
de ses zombies représentant la mauvaise conscience et les errements de nos
sociétés modernes. La scène du cimetière est d'ailleurs un écho évident à Night of the living dead (et l'on
s'amuse à repérer sur les tombes les noms gravés de Romero, Jacques Tourneur et
Jean Yarbrough).
Face à la frénésie des vivants préoccupés par un possible basculement de l'opinion publique, la lenteur tranquille des zombies aide à poser le rythme et à suggérer peut-être une véritable réflexion chez le spectateur qui ne serait venu là que pour les frissons et le divertissement. Homecoming assume incontestablement cette part du programme, mais il s'en dégage aussi une vraie amertume qui l'inscrit bien dans la lignée du magistral The Second civil war et de ses ruptures de ton désarmantes. Il est d'ailleurs intéressant de constater que si la satire sociale et politique a toujours été présente chez Dante, son propos semble se radicaliser depuis la fin des années 90. Sur ce terrain-là, The Second civil war et Homecoming forment un diptyque passionnant et intelligent qui prouve l'incontestable santé d'un cinéaste revenu des illusions qui pouvaient encore lui rester et qui n'a plus rien à perdre.
Face à la frénésie des vivants préoccupés par un possible basculement de l'opinion publique, la lenteur tranquille des zombies aide à poser le rythme et à suggérer peut-être une véritable réflexion chez le spectateur qui ne serait venu là que pour les frissons et le divertissement. Homecoming assume incontestablement cette part du programme, mais il s'en dégage aussi une vraie amertume qui l'inscrit bien dans la lignée du magistral The Second civil war et de ses ruptures de ton désarmantes. Il est d'ailleurs intéressant de constater que si la satire sociale et politique a toujours été présente chez Dante, son propos semble se radicaliser depuis la fin des années 90. Sur ce terrain-là, The Second civil war et Homecoming forment un diptyque passionnant et intelligent qui prouve l'incontestable santé d'un cinéaste revenu des illusions qui pouvaient encore lui rester et qui n'a plus rien à perdre.
The Screwfly solution (La Guerre des sexes), 2006
Pour ce second épisode réalisé pour la 2e (et dernière à ce jour) saison de la série Masters of horrors, Dante et
son scénariste Sam Hamm se révèlent une nouvelle fois incroyablement inspirés. La mise en place est encore une fois aussi efficace que terrifiante, établissant son postulat apocalyptique dès la
scène d'ouverture avec cette vision anodine d'une american way of life typique et rassurante qui révèle
brusquement une atroce réalité. Par cette approche et par sa progression sournoise, j'y ai trouvé pas mal de points communs avec The Happening de Shyamalan, évidemment
avec cette idée d'une sorte de modification hormonale qui bouleverse
l'équilibre d'une espèce. Et pour moi ce moyen-métrage aurait clairement pu
donner lieu à un long-métrage d'anticipation qui aurait parfaitement sa place
dans la tendance pessimiste actuelle du cinéma de genre.
Le film est surtout passionnant dans sa première partie, nous faisant prendre conscience de toutes les conséquences du problème et donnant lieu à plein de scénettes d'autant plus horribles que le décalage avec la réalité n'est pas si excessif que ça. Dante et Hamm ne font qu'extrapoler à partir d'une authentique et triste réalité sociale, faite de machisme, violence conjugale, et guerre des sexes larvée. Pas besoin de brandir l'intégrisme religieux, ici évoqué, puisque ces horreurs-là se passent aussi aux États-unis. Le récit se circonscrit dans une seconde partie à la survie de l'héroïne. Peut-être la dernière femme sur Terre ? qui nous renverrait cette fois à un épisode de The Twilight zone. La pseudo-explication finale était sans doute dispensable, apportant une réponse un peu trop prosaïque aux dernières interrogations.
Le film est surtout passionnant dans sa première partie, nous faisant prendre conscience de toutes les conséquences du problème et donnant lieu à plein de scénettes d'autant plus horribles que le décalage avec la réalité n'est pas si excessif que ça. Dante et Hamm ne font qu'extrapoler à partir d'une authentique et triste réalité sociale, faite de machisme, violence conjugale, et guerre des sexes larvée. Pas besoin de brandir l'intégrisme religieux, ici évoqué, puisque ces horreurs-là se passent aussi aux États-unis. Le récit se circonscrit dans une seconde partie à la survie de l'héroïne. Peut-être la dernière femme sur Terre ? qui nous renverrait cette fois à un épisode de The Twilight zone. La pseudo-explication finale était sans doute dispensable, apportant une réponse un peu trop prosaïque aux dernières interrogations.
Dénué d'humour et de second degré, et plutôt bien rythmé par rapports à la plupart des autres épisodes de cette anthologie trop souvent contraints de meubler, le film maintient un suspense bien tendu tout du long. Il bénéficie d'excellents dialogues et d'une très bonne interprétation (c'est toujours un plaisir de recroiser Elliot Gould) qui aident à faire passer la pilule de son postulat, tandis que la mise en scène de Dante s'efface totalement derrière son sujet, fonctionnelle à défaut d'être personnelle, ce qui ne saurait lui être reproché, même si on regrettera de n'y voir aucun de ses habituelles références de cinéphile. Bref, un brillant brûlot féministe.
DOSSIER JOE DANTE :
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