Film étrange, déjouant un peu
les catégories (film noir, film fantastique) tout en étant purement
"cukorien". Le postulat rappelle d'une certaine façon celui des Mains d'Orlac, et Cukor réussit en même temps à traiter avec réalisme de la création artistique, offrant des portraits d'acteurs, d'imprésario et d'attaché de presse qui vont tous à leur façon contribuer au drame. C'est une vision finalement terrifiante du monde du spectacle, de ce qui peut arriver lorsqu'on se voue trop viscéralement à son art. Le réalisateur nous invite ainsi à observer comment un acteur se voit contaminé par son rôle d'Othello, la pièce servant de
catalyseur à ses angoisses latentes. Cukor avait déjà transposé Shakespeare à l'écran (Romeo et Juliette, 1936, avec Leslie Howard et Norma Shearer). Ici, les personnages nous
annoncent d'entrée de jeu que le héros n'ignore rien des risques qu'il court à
accepter la pièce et le rôle, et le récit ne va finalement rien faire d'autre
que de dérouler ainsi les fils d'une tragédie annoncée. Et c'est dans le
traitement que ça devient intéressant.
Tourné pour le "petit" studio Universal, le film est relativement étonnant de la part de Cukor pour ses changements de style. Les scènes d'intérieur (appartements, théâtre) sont plutôt conventionnelles dans leur éclairage ou leur mise en scène, le réalisateur se contentant parfois d'un seul long plan où les acteurs se promènent en lachant leurs répliques. Dès que ça s'aère dans la ville et la nuit, et que le protagoniste "entre" dans son personnage, la photographie de Milton Krasner gagne en personnalité et devient quasiment expressionniste, multipliant les effets visuels (surimpressions, jeux sur les reflets), mais aussi sonores en nous faisant partager la subjectivité du héros. Cukor s'efforce ainsi de recréer l'état de transe qui saisit le comédien. Au centre de ces dispositifs plutôt sophistiqués, Ronald Colman porte le film, et il sera auréolé de l'Oscar du meilleur acteur cette année-là. Vue aujourd'hui, on ne sera pas pour autant impressionné par cette performance finalement sans réelle surprise, tandis que la brève mais charismatique présence de Shelley Winters reste, elle, bien plus en tête.
Tourné pour le "petit" studio Universal, le film est relativement étonnant de la part de Cukor pour ses changements de style. Les scènes d'intérieur (appartements, théâtre) sont plutôt conventionnelles dans leur éclairage ou leur mise en scène, le réalisateur se contentant parfois d'un seul long plan où les acteurs se promènent en lachant leurs répliques. Dès que ça s'aère dans la ville et la nuit, et que le protagoniste "entre" dans son personnage, la photographie de Milton Krasner gagne en personnalité et devient quasiment expressionniste, multipliant les effets visuels (surimpressions, jeux sur les reflets), mais aussi sonores en nous faisant partager la subjectivité du héros. Cukor s'efforce ainsi de recréer l'état de transe qui saisit le comédien. Au centre de ces dispositifs plutôt sophistiqués, Ronald Colman porte le film, et il sera auréolé de l'Oscar du meilleur acteur cette année-là. Vue aujourd'hui, on ne sera pas pour autant impressionné par cette performance finalement sans réelle surprise, tandis que la brève mais charismatique présence de Shelley Winters reste, elle, bien plus en tête.
Il aurait été intéressant que le scénario s'aventure à explorer encore d'autres pistes et enrichisse ainsi son propos. La dernière partie où Edmond O'Brien s'improvise détective est sans doute moins convaincante. Quand elle arrive, la conclusion a beau être attendue, elle ne manque pas de force. Il était évident qu'après son crime, la morale de l'époque voulait que l'acteur récolte son châtiment. À l'écran, ça donne cette scène assez dingue où la vie sur scène se confond fatalement avec la vraie vie, sous les yeux horrifiés d'une actrice qui pendant un temps ne sait plus distinguer le vrai du faux.
Adam's rib (Madame porte la culotte), 1949
Le réalisateur prolonge sa collaboration avec le couple de scénaristes d'A double life, Ruth Gordon et Garson Kanin, et ça donne cette excellente comédie de mœurs. Pouvait-on seulement rêver d'une
meilleure association que celle de Spencer Tracy, Katherine Hepburn — interprètes pleins de finesse et d'intelligence — et de Cukor, pour traiter de la
guerre des sexes, à une époque où sans doute ce sujet devait bien titiller les
consciences. La cause des femmes a en effet régulièrement été défendue dans son cinéma. Ici la mise en scène fait des merveilles, entre une
ouverture tournée dans les rues de New York qui lorgne vers le film noir et
quelques plans séquences particulièrement intenses qui mettent vraiment à
l'honneur ses interprètes : la déposition de Judy Hollyday, la séance de massage
entre Tracy et Hepburn. Entre deux scènes de procès qui les voient en rivalité, on retrouve le couple
vedette dans son intimité, et c'est vraiment un régal que d'assister à la
complicité des deux acteurs, dont le naturel illumine véritablement l'écran.
C'est ce naturel qui permet d'ailleurs à Cukor d'instaurer de vrais moments
dramatiques lorsque les époux commencent à se déchirer. On aurait pu trouver ça
drôle, mais les effets comiques sont toujours mêlés à quelque chose de plus
grave, et c'est vraiment une façon de faire que j'apprécie beaucoup.
Mais finalement, le rire l'emporte quand même,
entre répliques savoureuse et gags ouvertement burlesques avec une géniale
utilisation du hors champ. Citons également les présences de Tom Ewell et Jean
Hagen, assez hilarants. Et puis sortir du film sur une fin aussi audacieuse, ça
rend quand même heureux : Hepburn et
Tracy sont au lit, convenant finalement que l'homme et la femme sont égaux excepté peut-être une toute petite différence... Tracy attrape alors Hepburn dans
ses bras, tire le rideau du lit en criant cette mémorable réplique qui conclut parfaitement le propos : « Vive la différence ! ».
Si le marivaudage entre Tracy et Hepburn ne manque pas de charme grâce une nouvelle fois à la complicité des interprètes, j'ai connu des répliques plus drôles et ça manque souvent de finesse. Le personnage de boxeur bêta joué par Aldo Ray est lui aussi peu travaillé, et l'irruption dans le récit de mafieux est traité sans aucun sérieux, personnages évacués sans trop de considération, auxquels on ne nous demande donc pas trop de croire. On dira alors que le film vaut surtout pour les performances physiques d'Hepburn, dont les talents au golf et au tennis sont authentiques et qui sont bien mis en valeur tout au long du film. D'autant plus qu'elle concourt manifestement face à de vrais sportifs professionnels de l'époque. Et accessoirement, le petit rôle de Charles Buchinski (pas encore Bronson) en petite frappe a un peu réveillé mon intérêt. Bref, c'est gentiment amusant, mais un peu paresseux, et pour moi loin d'être une comédie mémorable.
Pat and Mike (Mademoiselle gagne-tout), 1952
Cukor retrouve son couple vedette Tracy/Hepburn (huitième film que cette dernière tourne avec son cinéaste fétiche) pour porter à nouveau à l'écran un scénario du duo Gordon/Kanin. Sauf que même si le sujet a plus ou moins trait à la guerre des sexes, on est ici bien loin du coup de génie et des audaces d'Adam's rib. Ça sent le renouvellement de formule sans risque, jusqu'au titre VF qui cherche à suggérer une continuité, de "Madame" à "Mademoiselle". Les personnages ne dépassent jamais ici vraiment la caricature, échouant par conséquent à faire naître un minimum d'empathie. Le pitch est relativement pauvre, avec une héroïne surdouée en sport qui perd tous ses moyens dès que son fiancé est dans les parages. Et le scénario ne témoigne pas de beaucoup de zèle pour enrichir cette base qui ne va pas donner lieu à beaucoup de variations.
Cukor retrouve son couple vedette Tracy/Hepburn (huitième film que cette dernière tourne avec son cinéaste fétiche) pour porter à nouveau à l'écran un scénario du duo Gordon/Kanin. Sauf que même si le sujet a plus ou moins trait à la guerre des sexes, on est ici bien loin du coup de génie et des audaces d'Adam's rib. Ça sent le renouvellement de formule sans risque, jusqu'au titre VF qui cherche à suggérer une continuité, de "Madame" à "Mademoiselle". Les personnages ne dépassent jamais ici vraiment la caricature, échouant par conséquent à faire naître un minimum d'empathie. Le pitch est relativement pauvre, avec une héroïne surdouée en sport qui perd tous ses moyens dès que son fiancé est dans les parages. Et le scénario ne témoigne pas de beaucoup de zèle pour enrichir cette base qui ne va pas donner lieu à beaucoup de variations.
Si le marivaudage entre Tracy et Hepburn ne manque pas de charme grâce une nouvelle fois à la complicité des interprètes, j'ai connu des répliques plus drôles et ça manque souvent de finesse. Le personnage de boxeur bêta joué par Aldo Ray est lui aussi peu travaillé, et l'irruption dans le récit de mafieux est traité sans aucun sérieux, personnages évacués sans trop de considération, auxquels on ne nous demande donc pas trop de croire. On dira alors que le film vaut surtout pour les performances physiques d'Hepburn, dont les talents au golf et au tennis sont authentiques et qui sont bien mis en valeur tout au long du film. D'autant plus qu'elle concourt manifestement face à de vrais sportifs professionnels de l'époque. Et accessoirement, le petit rôle de Charles Buchinski (pas encore Bronson) en petite frappe a un peu réveillé mon intérêt. Bref, c'est gentiment amusant, mais un peu paresseux, et pour moi loin d'être une comédie mémorable.
DOSSIER GEORGE CUKOR :
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