26 juillet 2017

Pour l'été : 3 romans noirs français

Philippe Djian, Bleu comme l'enfer, 1982
Pour son premier livre publié, Djian s'est mis en mode no future : sur une pure trame de roman noir américain, celui qui n'est pas encore l'auteur encensé de 37,2° le matin nous balance une poignée de personnages portés par la fièvre, qui foncent dans le mur, réduits à leurs instincts les plus primaires (baise, violence, vengeance, amour, haine et vomi), dans un environnement décharné et sans loi. C'est d'une crudité totale, pas loin d'être parfois insoutenable, sachant que la langue y est ici autant malmenée que le lecteur. J'ai pensé à Selby Jr pour la forme, à Wild at heart pour le fond. J'ai appris qu'Yves Boisset en avait fait un film en 1986 avec Tchéky Karyo et Lambert Wilson. Je n'ose imaginer le carnage tant le bouquin propose des scènes précisément infilmables.

Je pensais avoir déjà lu pas mal de textes impliquant d'avoir le cœur bien accroché. Pourtant j'avoue que j'ai failli abandonner en cours de route, tellement la prose me semblait pas loin de la complaisance dans sa façon de se vautrer dans la fange. Et puis, passé le premier tiers, je me suis laissé prendre au jeu, parvenant à adopter la bonne hauteur de vue, en considérant que Djian avait en fait pour objectif d'inscrire son projet littéraire dans la filitation d'un Céline ou d'un Selby Jr, soit des gars qui se foutaient complètement de brosser le lecteur dans le sens du poil. À l'arrivée, je suis quand même content d'avoir achevé une lecture néanmoins éprouvante, mais j'ai conscience de ses qualités.




Didier Daeninckx, Métropolice, 1985
Par son titre comme par le nom de son auteur, j'en faisais un livre un peu mythique. Et je me suis retrouvé face à un vrai, mais franchement oubliable, roman de gare. Écriture fonctionnelle, solide, mais sans cette saveur particulière, cette couleur pittoresque qu'affectionnent les polars de la série noire, avec notamment ce goût pour les titres calembours qu'on retrouve quand même ici. L'intrigue elle-même n'a rien de bien passionnant. Les personnages sont vaguement développés, tournant parfois gentiment à la caricature. Il n'y a pratiquement pas d'enquête, donc pas de tension particulière alors que ça tourne quand même à la chasse à l'homme dans le sous-sol parisien. 

J'en retiens donc avant tout le cadre où tout ça se déroule, et la façon dont il est exploité. Le métro, ses couloirs, tunnels et zones de service est une formidable toile de fond et nourrit depuis toujours mon imaginaire. La balade à laquelle nous invite Daeninckx est d'autant plus plaisante qu'on sent qu'il s'est bien documenté, et que son utilisation du réseau est juste. C'est même souvent amusant étant donné qu'il évoque des lignes ou des stations qui ont depuis été modifiées, le roman ayant été écrit en 1983-84. Mais c'est un peu court pour en faire un livre important.




Gérard Mordillat, La Brigade du rire, 2015
Très bon roman publié en littérature générale, et que je n'ai aucun complexe à intégrer à cette collection de polars. Mordillat y témoigne en effet d'un sens du suspense qui n'a rien à envier aux spécialistes du genre, et met en scène des personnages qui s'expriment sur un ton désabusé, avec un ancrage politique fort, tel que l'a souvent assumé le genre en France. Tout n'est pas certes pas toujours convaincant, avec une peinture de personnages qui peut parfois manquer de subtilité ou qui cède un peu trop aux clichés, notamment dans l'expression des opinions qu'elles soient de gauche que de droite. 

Mais on ne peut que partager le sentiment d'indignation face aux problématiques évoquées, et on est vite emporté par la chaleur qui se dégage de l'ambiance générale de la bande de copains qui se retrouve, et d'un postulat franchement marrant et qui ne manque pas de pertinence. Mordillat a surtout un talent pour la restitution des dialogues, et les échanges sonnent ici de façon très réaliste, quand bien même ça prend souvent la forme du discours politique. C'est surtout toujours tragiquement d'actualité, dressant le tableau glaçant de notre époque où les inégalités sociales continuent irrémédiablement d'aller dans le même (mauvais) sens.

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