Dessiné par Goseki Kojima, Lone wolf and cub est un titre emblématique du gekiga, cette nouvelle vague qui dès les années 60 fit entrer la bande dessinée japonaise dans des préoccupations adultes en faisant notamment la part belle aux antihéros à la morale vacillante. Le succès du manga fut tel qu'il bénéficia quasi instantanément d'une transposition sur grand écran, en une série de six films époustouflants bien que produits à la chaîne. Et c'est le scénariste lui-même, Kazuo Koike, également auteur de Lady Snowblood, qui fut chargé des adaptations, authentique gage de fidélité.
Baby cart : Le Sabre
de la vengeance, Kenji Misumi, 1972
Film fondateur qui
nous montre le héros manifester ses derniers résidus d'émotions et de
sentiments avant de s'embarquer définitivement sur la route de l'enfer, victime de l'horrible complot du clan rival des Yagyu, qui le fait passer pour un
traître auprès du Shogun. Le spectateur est plongé dans une époque barbare où la justice n'a plus droit de cité
et où le code d'honneur du samouraï est poussé jusque dans ses derniers
retranchements. Érotisme et images insolites, travelling sur un chemin de cailloux, surimpressions... Grand styliste du film de sabre japonais, Misumi (Zatoïchi, Hanzo the razor) cisèle parfaitement son découpage, avec des plans toujours très soigneusement composés.
Il met en scène des combats où les sabres sont vifs
et tranchants comme l'éclair, libérant des geysers de sang. Les plus remarquables sont
certainement celui du début dans la propriété d'Itto Ogami (Tomisaburo Wakayama),
qui se finit au bord d'une cascade, ainsi que le duel dans les champs où le
sabreur profite du soleil pour aveugler et défaire son adversaire. Le film
manque cependant d'un vrai climax. Tout le dernier acte situé dans une station thermale nous
présente en effet tout d'un coup trop de personnages, et on est un peu perdu.
Néanmoins, par leur exagération certaines scènes se révèlent fascinantes. Et le
règlement de compte final dans le village semble vraiment marcher dans les pas
du western spaghetti, jusque dans l'inspiration pop de la bande son (juste échange de bons procédés puisque Sergio Leone avait lui-même puisé son inspiration dans les chambaras de Kurosawa).
Baby cart 2 :
l'Enfant massacre, Kenji Misumi, 1972
Plus fou, plus fort,
plus beau. Cette fois la voie choisie par Itto est constamment menacée, le
danger peut surgir de partout. Le ronin est alors plus que jamais obligé de s'en
tenir à une attitude inhumaine où l'on ne fait plus confiance à personne. Par
là-même, il semble avoir percé à jour la nature des hommes qu'il croise. Ainsi
ce patron d'auberge réticent à l'accueillir et devant lequel il va étaler son argent. Contraint de vendre ses talents de mercenaire, il se voit confier une mission dérisoire : un homme à arrêter,
dépositaire... d'un secret de tenturerie. Si cet engagement témoigne du déshonneur qu'il est désormais prêt à endosser, c'est surtout un prétexte pour vivre de
nouveaux dangers et affronter des ennemis toujours plus redoutables.
La relation avec Daigoro, son fils, est ici particulièrement développée. Itto sera cette fois réellement mis en
difficulté, perdant cette aura d'invincibilité qui en faisait un héros un peu
trop détaché du réel. Blessé, il sera soigné par l'enfant lors d'une des scènes
les plus touchantes de la série. Plus tard, Itto devra sauver son fils de la
noyade, estimant à la hauteur du puit le temps dont il dispose pour se
débarrasser en premier lieu de ses adversaires. Méchants emblématiques qui inspireront directement John Carpenter pour ses réjouissantes Aventures de Jack Burton, les trois guerriers au chapeau conservent eux aussi une
part d'humanité. Ils ne sont finalement pas très éloignés d'Itto puisqu'ils
respectent eux aussi un certain code, et ne se battent que pour
remplir leur mission ou pour répondre à une attaque. Les idées poétiques se
multiplient (ce guerrier qui suspend sa mort en écoutant le bruit du sang qui
gicle de son cou ouvert), tandis que les flots d'hémoglobine répandus sur l'écran redéfinissent la notion de violence graphique.
Baby cart 3 : Dans
la terre de l'ombre, Kenji Misumi, 1972
On est désormais pleinement entré dans le cinéma d'exploitation : soit sexe et violence à tous les étages. Plus que
jamais, Kazuo Koike s'attache à dépeindre un Japon médiéval sans foi ni loi, où l'on ne croise que des samouraïs mercenaires et violeurs, des seigneurs comploteurs, et des jeunes filles
prostituées. Au milieu de cette étendue désolée, Itto Ogami et son fils
apparaissent comme les derniers garants d'une morale, même si celle-ci est
pervertie. La Voie du Samouraï semble avoir perdu son sens, et il est là pour
lui en redonner, quitte à se faire torturer où à utiliser son enfant comme appât.
La complicité entre père et fils est toujours le cœur du film, rendue sensible
sans aucune parole et à travers le visage impassible du père et le regard
curieux du fils.
Les Yagyu sont pratiquement absents de cet épisode
qui donne l'impression d'une suite de séquences presque autonomes avant de
petit à petit révéler que les différentes pièces et rencontres s'inscrivent bien dans la même trame. Les personnages sont intéressants, l'action est généreuse. Le final où Ogami
affronte seul plus d'une centaines d'assaillants, archers, cavaliers, et se bat
au sabre et aux explosifs est un magnifique morceau de bravoure, une nouvelle fois mis en scène
avec une maestria incroyable.
Baby cart 4 : L'Âme
d'un père, le cœur d'un fils, Buichi Saito, 1972
Kenji Misumi laisse la
réalisation à Buichi Saito pour un épisode de la saga du loup solitaire au
caddie particulièrement beau et intense. Ogami Itto est plus impassible que
jamais, mais autour de lui, les sentiments sont exacerbés, entre le personnage
de la tueuse tatouée qui cherche à laver son honneur dans la vengeance
sanglante, son père roi des saltimbanques prêt à sacrifier sa fille pour rester
fidèle à son seigneur avant de regretter ce choix, le clan Yagyu plus acharné
que jamais, le fils Daigoro qu'on suit pendant un petit moment livré à lui-même
à la recherche de son père, etc.
Tout en étant extrêmement simple et resserrée, la trame scénaristique parvient à créer chez le spectateur tout un panel d'émotions fortes, entre les scènes de combats (des boucheries toujours aussi stylisées), et les quelques dialogues et flashbacks qui enrichissent la caractérisation de personnages forts. La mise en scène est particulièrement inspirée, tentant plein d'effets de montage et de cadrages. Et le film s'achève de façon particulièrement osée, abandonnant son héros sur une destinée incertaine. Un bijou.
Tout en étant extrêmement simple et resserrée, la trame scénaristique parvient à créer chez le spectateur tout un panel d'émotions fortes, entre les scènes de combats (des boucheries toujours aussi stylisées), et les quelques dialogues et flashbacks qui enrichissent la caractérisation de personnages forts. La mise en scène est particulièrement inspirée, tentant plein d'effets de montage et de cadrages. Et le film s'achève de façon particulièrement osée, abandonnant son héros sur une destinée incertaine. Un bijou.
Baby cart 5 : Le
Territoire des démons, Kenji Misumi, 1973
On retrouve un univers toujours aussi
intriguant, dans lequel se dévoile une histoire particulièrement tordue narrée d'une façon étonnamment
libre, et laissant place à de très belles scènes de tendresse indicible entre le père et l'enfant.
De retour à la barre, Misumi compose ses
cadres de façon superbe et sophistiquée. Je crois qu'à aucun moment, je n'ai été
capable d'anticiper un plan. C'est comme s'il s'efforçait de proposer des
points de vue complétement inédits par rapport à l'action à représenter (voir à
ce titre, la bataille finale dans la demeure du clan Kuroda qui multiplie les
caches, les jeux d'ombre et de lumière). Les affrontements sont pendant
la majeure partie du long-métrage assez brefs et avares en giclées de sang, mais
c'est pour mieux se lâcher dans ce climax final, tout simplement ahurissant.
Baby cart 6 : Le
Paradis blanc de l'enfer, Yoshiyuki Kuroda, 1974
L'ambiance est impitoyablement au désespoir, l'atmosphère est constamment tendue, distillant la violence par éclairs. La mise en
scène se permet de nouvelles folies dans la composition du cadre en cinémascope aux couleurs flamboyantes, et le scénario ne manque pas d'idées surprenantes, et les combats gagnent en folie. Le personnage du loup solitaire perd cependant ici un peu de son charisme. Il n'est désormais qu'une figure fantomatique sans quête, sans mission en
cours, qui attend juste que ses ennemis lui tombent dessus. Ceux-ci ont beau
être particulièrement menaçants, leurs attaques s'avèrent un peu décevantes.
Contrairement aux autres épisodes, Itto Ogami n'est jamais pris par surprise,
jamais blessé. L'histoire se résume très vite aux différentes tentatives du
vieux Yagyu pour se débarasser de son ennemi.
Le récit a donc perdu en complexité par rapport aux volets précédents, mais il y a une mise en
parallèle assez intéressante liée à la paternité des deux rivaux du film : Itto
Ogami le loup à l'enfant et le vieux Yagyu qui sacrifie ses fils et filles
jusqu'à la folie pour assouvir sa vengeance, pour survivre. Yagyu ayant perdu tous ses enfants légitimes ira encore jusqu'à faire appel à son fils bâtard qu'il avait
rejeté dans la forêt. Bref, même si cet épisode conclut de façon appréciable et distrayante la saga avec le face à face final, il est comparativement moins dense. Mes préférés restent le 2 et
le 4.
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