14 octobre 2015

Destricted, 2004-2006

DESTRICTED
1. To unlimit restriction 
2. To bring objectivity by putting out of restriction
3. To deconstruct within bounds, to unconfine

Destricted rassemble une série de courts-métrages commandés à sept artistes, invités à interroger et à transgresser en toute liberté la frontière qui peut exister entre l'art et la pornographie. Le résultat a été présenté à Cannes en 2006 lors de la Semaine internationale de la critique, et a tourné de galeries en musées. Destricted devait servir de label pour d'autres réalisations mais ne connut finalement pas de prolongement. Le cadre de l'art contemporain dans lequel ces films s'inscrivent autorise les représentations sexuelles explicites. Ils sont à ce titre réservés à un public averti.



Hoist, Matthew Barney (15') 
Acte 1 : gros plan sur le sexe en lente érection d'un être apparemment hybride, le Greenman. Acte 2 : plans quasi documentaires sur un bulldozer lourd de rouille et de terre, lentement soulevé par une grue sur un chantier de nuit au milieu des ouvriers. Acte 3 : et l'étrange créature (dont on découvre qu'elle a également un gros navet planté dans le derrière) se retrouve planquée sous le châssis de l'engin, dans une position clairement inconfortable, frottant son sexe et son sperme aux éléments rotatifs du moteur. Son mouvement semble exprimer le désir d'une impossible fusion. Impossible mais pas contre-nature pour autant puisque l'identité des deux acteurs demeure inconnue. Matthew Barney convoque une nouvelle fois l'insolite mythologie de son Cremaster cycle, caractérisée par ces étranges associations et manipulations entre matière organique et matière inerte, avec en arrière-plan la présence assez dérangeante du bruit de ce monstrueux diesel. La situation tourne cependant assez vite court par manque d'idées mais le film s'achève heureusement avant que cela ne devienne pénible.


Balkan erotic epic, Marina Abramovic (13')
Volontairement idiot et étonnamment peu maîtrisé. Abramovic bricole une sorte de leçon d'histoire bidon sur des traditions balkaniques où les organes sexuels interviennent de diverses façons pour assurer l'abondance des récoltes et protéger la famille. La fertilité du sol se lie à celle des hommes, et le folklore se révèle ainsi profondément chargé de sexualité, ce qui donne lieu à des scénettes effectivement cocasses, où l'érotisme suggéré par la nudité des personnages est régulièrement perturbé par la bizarrerie des situations et par la présence de corps flétris au milieu d'autres mieux portants. La photographie est belle, il y a quelques passages en dessin animé, mais le résultat m'a semblé gravement manquer de cohérence, en particulier dans sa construction, sans que jamais ces déficiences m'apparaissent comme un choix signifiant.

House call, Richard Prince (12') 
Proposition intéressante où l'image d'un porno vintage 70's mettant en scène une blonde à gros seins et un pseudo-docteur même pas moustachu est brouillée, salie, enlaidie par différents filtres appliqués sur un écran de télévision. À cela s'ajoutent une bande son expérimentale et quelques répétitions de scènes qui donnent l'impression d'avoir affaire à un magnétoscope fatigué et radoteur. Prince opère de fait une distanciation entre le fond (une séquence emblématique d'une production censée provoquer l'excitation) et la forme (un massacre visuel anti-sexy au possible), entre attraction/répulsion. C'est conceptuel, mais pas forcément passionnant sur la durée. 

Impaled, Larry Clark (38')
Authentique documentaire en parfaite cohérence avec l'œuvre du réalisateur-photographe (Kids, Bully, Wassup rockers...) et son observation de la jeunesse américaine délaissée par les adultes. Suite à une annonce passée sur Internet, Clark interviewe plusieurs jeunes hommes sur leur rapport au cinéma porno et leur désir de rencontrer une actrice de X. Sans moralisme aucun, il trace alors le portrait d'une génération dont la sexualité apparaît totalement empreinte de l'imagerie véhiculée par ces films, entre performance et rejet des sentiments. La valeur sociologique de ce Impaled est sans doute très relative mais on est tout de même surpris de constater qu'un même profil se dégage à ce point de ces personnes, de même que chez les actrices qui interviennent ensuite. Clark mène ce jeu de questions/réponses de façon assez détendue, intégrant notamment les ratés et mises en place de sa caméra, ce qui donne peut-être encore plus de force à certaines révélations, parfois inquiétantes. Le voyeurisme n'est évidemment jamais loin puisque les mecs comme les nanas sont amenés à se déshabiller tout en poursuivant l'entretien, et que le film s'achève par la réalisation du fantasme d'un des jeunes hommes retenu : tourner une scène avec une actrice. Leur "relation" prendra place dans le même espace confiné, sur le même canapé qui a servi aux interviews. C'est là que le film devient bien embarrassant, mais en même temps Clark semble assumer l'espèce d'authenticité et de franchise qui lui a permis jusqu'alors de recueillir ces confessions. Et durant cette scène de baise en forme de conclusion tristement logique, on aura droit à quelques détails pas très bandants, tel un envers du fantasme habituellement censuré. Une réussite et une approche vraiment originale et inspirée de la commande.




Sync, Marco Brambilla (2') 
Montage stroboscopique virtuose et immédiatement jubilatoire d'une quantité astronomique de scènes de jambes en l'air, tirées manifestement autant de pornos que de films hollywoodiens ou de séries télés. On ne voit rien et en même temps on voit tout. De l'aller au retour, une progression est rendue sensible, du baiser passionné au râle ultime en passant par l'étreinte fougueuse dans toutes les positions. En arrière-plan sonore, un solo de batterie renforce le côté mécanique de cette succession de micros-plans. Direct, efficace, voire même assez génial, ce court donne vraiment envie de reconsidérer le montage de Demolition man d'un nouvel œil (si, si, il s'agit du même réalisateur). 

Death valley, Sam Taylor-Wood (8')
Par la future réalisatrice de Fifty shades of Grey. Un plan séquence visuellement assez magnifique d'un minet fringué d'un jean et d'un T-shirt rouge, débarquant au cœur de la Vallée de la mort en Californie, pour se masturber sans jamais parvenir à rien. Image évidente d'une mise à mal de la virilité, qui crée un lien véritablement cosmique entre cette terre manifestement stérile et l'impuissance désolée du beau gosse. Soit. Il faut à ce sujet tout de même reconnaître que ces courts, parce qu'ils doivent davantage à l'art contemporain qu'au cinéma, ont plus leur place isolés et diffusés dans une galerie d'art que compilés ainsi et projetés en salle. Il serait absurde de vendre ce programme comme un film à sketches traditionnel.

We fuck alone, Gaspard Noé (23')
Un court expérimental assez minable tourné en 3 jours. Un porno passe sur un écran de télévision pendant que dans leur chambre respective, une fillette se branle avec son ours en peluche et un garçon fourre sa poupée gonflable. Quelques raccords entre cette "réalité" et ce qui se passe sur l'écran de télé, l'irruption d'un flingue dans la bouche de la poupée et voila. Il ne s'y passera rien d'autre. Noé emballe le tout avec un effet stroboscopique permanent, une bande son à base de respirations/battements de cœurs/pleurs de bébé et fait tourner sa caméra histoire de créer son petit trip sensitif. Mais j'ai vraiment regardé ça de très loin, attendant juste que ça se termine pour constater que ça ne racontait vraiment rien et que ça ne suggérait pas davantage. J'y vois non pas une parodie mais un épuisement désolant de son style, qui finit par perdre ici toute sa radicalité et se complaire dans des effets soudain creux. À oublier.




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