Retour sur quatre chefs-d'œuvre du wu xia pian
mettant en scène une figure mythique du cinéma de Hong Kong : le
sabreur manchot...
The One-armed swordsman (Un seul bras les tua tous), Chang Cheh, 1967
Assurément un très grand film. Le scénario qui mêle, sur fond de défis entre
écoles, les notions traditionnelles d'honneur et de vertu, de vengeance et de
rachat, d'apprentissage et de respect du maître, est particulièrement abouti et
passionnant. Largement au-dessus du tout venant de la production hongkongaise
de l'époque, notamment en ce qui concerne les émotions des personnages, qui
trouvent ici un juste et merveilleux équilibre avec l'action.
Les situations dramatiques sont fortes et prennent le spectateur aux tripes, du début à la fin. Dans le rôle du héros mutilé, Jimmy Wang Yu est franchement éblouissant, passant par différents registres où sa dignité est remise en cause. Il trouve certainement là le rôle de sa vie.
Les situations dramatiques sont fortes et prennent le spectateur aux tripes, du début à la fin. Dans le rôle du héros mutilé, Jimmy Wang Yu est franchement éblouissant, passant par différents registres où sa dignité est remise en cause. Il trouve certainement là le rôle de sa vie.
Cadrées
dans un scope couleur classieux, les scènes d'action sont toutes sublimes,
s'inscrivant dans de très beaux décors qui confirment l'éclatant savoir-faire
du studio des Shaw Brothers. À sa sortie, The One-armed swordsman
a été un succès colossal qui a véritablement donné ses lettres de noblesse à ce
qui s'est alors imposé comme le genre-roi à Hong Kong, entraînant d'inévitables suites et copies.
Return of the one-armed swordsman (Le Bras de la vengeance), Chang
Cheh, 1969
Cette fois, il n'y a plus de mythe à construire. Chang Cheh ne cherche
pas à bouleverser des éléments déjà mis en place dans le premier volet. Cette
suite directe va assez vite tourner au film d'aventures trépidant, riche, très
riche en action, et dont le caractère feuilletonesque des péripéties s'avère tout à
fait savoureux. Wang Yu reprend son rôle de sabreur manchot et affronte ici les
uns après les autres huit bretteurs qui possèdent chacun une arme spéciale et
savent ruser. Les différentes scènes de baston sont aussi variées que ces armes
et pleines de surprises, souvent bien sanglantes. Le nombre de mort est
d'ailleurs impressionnant, avec une quantité de figurants apparemment variable
en fonction des besoins de chaque scène, et l'on devine là en quoi Cheh a influencé John Woo. On a beau voir les corps tomber par
dizaines, il en vient toujours de nouveaux. Visuellement, l'assaut final est
vraiment fascinant, opposant combattants vêtus de blancs et combattants vêtus
de noir. Le conflit prend ainsi une tournure presque absurde, quelque chose de
purement plastique et l'on oublie les raisons qui ont motivé pareil carnage.
Par l'intermédiaire de son protagoniste, Chang Cheh introduit alors une
dimension inattendue. La conclusion va en effet exprimer un véritable dégoût
pour toute cette violence. Au-dessus des préoccupations mesquines de vengeance
satisfaite, le héros quitte la scène, laissant les hommes à leur triomphe
sanglant, rejettant tout honneur. On appréciera également la complémentarité
apportée au guerrier par sa femme, véritable cœur de cet extraordinaire
personnage.
The New one-armed swordsman (La Rage du tigre), Chang Cheh, 1971
Nouvel univers, nouveau héros, et le réalisateur met à l'honneur ses deux
acteurs fétiches, avec au premier plan une belle composition de David Chiang.
Son personnage, costume immaculé, nous est d'abord montré dans toute
l'arrogance de sa jeunesse, puis, après avoir reçu sa raclée, promène sa
tristesse en noir, se retenant de repenser à sa maîtrise du kung fu. Cheh en
rajoute dans le sadisme, avec des clients d'auberge vraiment pas sympas qui
prennent un malin plaisir à humilier l'handicapé devenu serveur.
La figure du triangle amoureux est également l'un des aspects intéressants du film. L'amitié virile qui lie Chiang à Ti Lung est sans ambiguïté, et le personnage féminin y est incontestablement perdant. La vendetta finale du manchot est un très grand spectacle qui se termine en beauté grâce à l'emploi d'une technique inattendue contre un big boss particulièrement fourbe.
La figure du triangle amoureux est également l'un des aspects intéressants du film. L'amitié virile qui lie Chiang à Ti Lung est sans ambiguïté, et le personnage féminin y est incontestablement perdant. La vendetta finale du manchot est un très grand spectacle qui se termine en beauté grâce à l'emploi d'une technique inattendue contre un big boss particulièrement fourbe.
Comparativement, ce titre est peut-être moins immédiatement attachant que les
deux autres. Ses enjeux semblent plus limités, mais c'est néanmoins un très
chouette wu xia pian qui s'apprécie avec bonheur. Historiquement, La
Rage du tigre est le premier film de sabre hongkongais à avoir connu une
distribution en France dans les salles de quartier, et représente donc pour un
paquet de spectateurs une œuvre matricielle.
The Blade, Tsui Hark, 1995
Ma première rencontre avec Tsui Hark date de la retrospective de la Cinémathèque française en 1996 (alors salle République), pas mal en avance sur son temps. Le réalisateur démiurge tentait au même moment l'aventure hollywoodienne emmené par Jean-Claude Van Damme. J'étais sorti ébloui de la projection de Green snake (1993), spectacle totalement inédit pour moi. Quelques temps après, Canal+ avait eu la bonne idée de diffuser ce The Blade que je m'empressai d'enregistrer.
Ne serait-on pas ici face au film de sabre ultime ? Tsui Hark reprend la figure emblématique du sabreur manchot et pulvérise toutes les règles de la bienséance cinématographique, comme il le fit et continuera à la faire régulièrement tout au long de sa folle carrière. La sauvagerie ici à l'œuvre laisse stupéfait, tant dans la forme que dans le fond. Les prouesses athlétiques des acteurs (Chiu Man Cheuk est magnifique) sont déjà balèzes, mais si le film impressionne vraiment c'est dans son acharnement à pratiquer la barbarie à tous les niveaux, sans pitié, avec littéralement l'énergie du désespoir. Les personnages s'en prennent plein la poire en cette époque indéterminée où la vie semble avoir perdu toute valeur. Il est impossible de résister à ses pulsions, tant sexuelles que meurtrières. Toute la direction artistique, des costumes aux décors, est contaminée, tandis que la narration, via sa voix off féminine, donne une patine presque mythologique à un récit qui n'est pas loin d'évoquer Mad Max 2.
Ne serait-on pas ici face au film de sabre ultime ? Tsui Hark reprend la figure emblématique du sabreur manchot et pulvérise toutes les règles de la bienséance cinématographique, comme il le fit et continuera à la faire régulièrement tout au long de sa folle carrière. La sauvagerie ici à l'œuvre laisse stupéfait, tant dans la forme que dans le fond. Les prouesses athlétiques des acteurs (Chiu Man Cheuk est magnifique) sont déjà balèzes, mais si le film impressionne vraiment c'est dans son acharnement à pratiquer la barbarie à tous les niveaux, sans pitié, avec littéralement l'énergie du désespoir. Les personnages s'en prennent plein la poire en cette époque indéterminée où la vie semble avoir perdu toute valeur. Il est impossible de résister à ses pulsions, tant sexuelles que meurtrières. Toute la direction artistique, des costumes aux décors, est contaminée, tandis que la narration, via sa voix off féminine, donne une patine presque mythologique à un récit qui n'est pas loin d'évoquer Mad Max 2.
La caméra du cinéaste est littéralement plongée au cœur de la mêlée, vole, se
ramasse par terre, se fait éjecter, fonce dans le tas. Les plans s'enchaînent
sans qu'on puisse jamais les prévoir, chacun semblant hurler : « après moi
le déluge ! » La violence est ressentie à tous les niveaux. Et le
spectateur est emporté dans cet épuisant et somptueux torrent. Éprouvant et
magnifique point de non-retour.
2 commentaires:
Super ton article, La rage du tigre est un film que j'aime revoir régulierement.
Je te reconnais bien là, Lorenzo ! Il est bon de faire honneur aux valeurs sûres.
E.
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