16 novembre 2018

Des Livres pour l'Histoire

Bartolomé Bennassar, La Guerre d'Espagne et ses lendemains, 2004
Décédé ce mois-ci, Bartolomé Bennassar fut l'un des grands spécialistes de l'Histoire de l'Espagne. S'appuyant en grande partie sur la somme rédigée par Hugh Thomas   (La Guerre d'Espagne, coll. Bouquins, Robert Laffont), encore considérée à l'heure actuelle comme une incontournable référence sur le sujet, Benassar brassait dans ce volume le flot des événements qui ont nourri la guerre civile espagnole, avant, pendant et après. Refusant tout parti-pris, il livre ici à la fois un compte-rendu précis des faits et un commentaire critique des travaux de collègues historiens, faisant le point sur les chiffres, et développant des questions passionnantes.

Ce souci d'exhaustivité des chiffres, des batailles et des sources donne parfois un caractère fastidieux à l'ouvrage, et l'on pourra selon sa sensibilité préférer une approche plus narrative. Mais si l'on veut approcher de près cette histoire tragique et douloureuse, cette Guerre d'Espagne et ses lendemains fait incontestablement figure de nouvelle référence.




Hannah Arendt, Eichmann à Jerusalem, 1963
Envoyée spéciale du New Yorker, Arendt a couvert le procès Eichmann en 1961, et prétend n'en livrer ici qu'un compte-rendu journalistique. On est pourtant très loin de cette modeste ambition, et c'est une somme de travail et de réflexion assez impressionnante qui nous est ici donnée. Passionnante aussi parce qu'on est à un moment charnière de toute une réflexion sur l'Histoire du IIIe Reich et de la Shoah. Arendt s'est elle-même plongée dans une masse de documents, et l'un des intérêts du livre est aussi d'offrir un tableau de l'état des connaissances de l'époque, qui doit notamment beaucoup aux travaux de Raul Hillberg (La Destruction des Juifs d'Europe, paru en 1961). La philosophe dresse ainsi un panorama très complet des différentes étapes qui ont mené à la Solution finale, relatant très précisément ce qui s'est passé pays par pays dans l'Europe occupée. 

Inévitablement, elle fait aussi le procès du procès, creuse les zones d'ombre, pose les questions qui lui ont semblé manquer. La confrontation avec les faits et la question de la culpabilité au sens juridique de l'accusé semble en effet régulièrement dépassée au cours des audiences par une volonté politique de mener une accusation plus large sur toutes les responsabilités de l'Allemagne nazie, et d'offrir une tribune internationale aux témoins de l'inexplicable. Comment juge-t-on un crime qui dépasse tous les autres ? La culpabilité d'Eichmann ne fait aucun doute, et lui-même ne la niera jamais, mais la tentation d'en faire un bouc émissaire est bien là. Pour Arendt, Eichmann incarne ce qu'elle a intitulé « la banalité du mal ». Ce type n'était pas un monstre, mais un bureaucrate aux ambitions étroites, ayant à cœur de faire son travail, parvenant ainsi à ne même pas avoir de mauvaise conscience quant à ses actes. Un humain comme un autre ? 

Ce ne sont pas les seules interrogations qui firent scandale à la publication du livre, car Arendt y évoquait également une forme de "collaboration" entre certains dirigeants juifs et la bureaucratie nazie. Il est certain que l'auteur gratte là où on n'imaginait pas que quelqu'un vienne gratter, et ses formulations frappent encore aujourd'hui par leur audace d'autant plus quand on considère l'extrême proximité temporelle des faits. Mais par son intelligence et l'honnêteté manifeste qui la guide, le résultat demeure aujourd'hui encore incontestablement à la hauteur de l'enjeu.

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