29 mai 2018

Le Cinéma de Terry Gilliam II. 1985-1988

Brazil, 1985
Mariage réussi de Kafka et d'Orwell, et qui pourtant compose un univers qui ne se réduit pas à ces seules références, Brazil représente un des gros chocs cinématographiques de ma jeunesse. L'arrestation initiale de Buttle/Tuttle, avec ces types qui descendent par son plafond en plein réveillon de Noël, m'avait traumatisé. Débordant d'idées, Gilliam offre à nouveau un inépuisable réservoir d'images hallucinantes, appelées à faire date. Puissamment porté par une poésie libératrice, le film relève autant de la science-fiction que du drame, et passe avec brio de la satire grinçante à la romance surréaliste. 

C'est un chef-d'œuvre de désespoir incroyablement inspiré, inoubliable jusqu'à son (terrible) dernier plan. Et Sam Lowry (formidable Jonathan Pryce, qui ne retrouvera jamais par la suite un tel rôle de premier plan), rejoint  Joseph K et Winston Smith au panthéon des martyrs de la condition humaine. Je pense vraiment que tout comme le THX-1138 de Lucas, Brazil est devenu le mètre-étalon dès lors qu'il s'agit de mettre en scène un univers bureaucratique rongé par l'absurde. Et le cinéma reviendra longtemps puiser à cette source.




The Adventures of Baron Münchausen (Les Aventures du Baron de Münchausen), 1988
Personnellement, c'est un de mes plus grands souvenirs de cinéma et je chéris le souvenir de sa découverte en salle : l'ouverture sur la ville assiégée, l'ombre chinoise du Baron sur une affiche qu'il arrache, la vertigineuse mise en abîme du récit — ou comment mythomanie et réalité se confondent — jusqu'à la bataille finale où chacun des compagnons du Baron retrouve ses facultés. Plus généreux que jamais, Gilliam réjouit son spectateur par une direction artistique hors du commun. Je crois qu'encore aujourd'hui je n'ai pas vu de représentation de la mort aussi convaincante, tant visuellement que dans la terreur qu'elle inspire (en particulier cette scène où elle surgit d'une statue). Et puis rien que pour avoir eu cette idée de génie de révéler la ressemblance entre Uma Thurman et la Venus de Botticelli, le film mérite de rester dans l'Histoire.

Le récit conserve intact sa fascination et son merveilleux au fil des visions. Si on aime Gilliam, je ne pense pas qu'on puisse raisonnablement le trouver aujourd'hui vieilli, tant il est exemplaire de son style : invention visuelle permanente, décors baroques, humour enfantin, présence d'Eric Idle, et surtout toute cette thématique sur le refuge dans le rêve, la croyance en la fable, osant faire la confrontation entre les aventures passées du Baron et le vieillard pathétique qu'il est devenu. Ici, le mensonge se veut plus beau que la vérité. Le premier acte nous raconte toute l'histoire du film en mode théâtre, révélant les coulisses, avant de progressivement faire disparaître la réalité de ces dernières et de nous faire plonger dans toutes les dimensions de l'illusion, comme le fit aussi brillamment à sa façon le Frank Cassenti de L'Affiche rouge, et le Greenaway de The Baby of Macon.


Alors certes, le rythme peut paraître un peu hésitant, les interprètes parfois en roue libre, et on n'échappe pas toujours à l'effet du film à sketches, forcément inégaux. Gilliam n'est pas un cinéaste soucieux de rigueur, l'artiste étant plutôt habité par des visions, le goût du conte et des fulgurances improvisées. Il a ici trouvé un matériau idéal et c'est fou de se dire que ce qu'on voit sur l'écran a d'abord été couché sur le papier en se disant que ce serait possible techniquement de le mettre en image. Tourné entre Cinecittà et les studios Pinewood, Munchausen mit à rude épreuve ses participants. Maintenant que j'en connais les conditions de production (il faut voir son hallucinant making of), c'est incroyable de constater à quel point le film se tient malgré tout. Son discours est solide et la folie de chaque scène est un délice pour les sens. Le plus beau, c'est qu'en dehors d'une poignée d'écrans bleus, l'essentiel a été réalisé "in camera" comme on dit (you get what you film) : matte paintings, miniatures, décors prodigieux de Dante Ferreti, animatronics.

La cohérence de l'ensemble est régulièrement réaffirmée grâce au personnage de Sally, formidablement incarnée par Sarah Polley, qui s'acharne à remettre le Baron sur les rails de sa quête, et dont on peu considérer que c'est son regard d'enfant qui nous est donné à partager, interprétant pour nous le récit du narrateur, sans filtre, avec la foi la plus pure accordée aux contes de fées. Je suis juste un peu gêné quand le ton devient un peu trop adulte (les galipettes des époux lunaires, les jurons de Vulcain), jugeant ça un peu déplacé... tout comme la petite Sally en fait. Et bien sûr, le film ne serait rien sans la composition géniale de Sir John Neville

Le propos est d'une richesse et d'une beauté auxquelles je suis toujours aussi sensible, aujourd'hui comme hier. Frère d'âme de Cyrano, Munchausen célèbre la victoire de la création sur la destruction, de l'imagination sur la raison, de la paix sur la guerre, de la vie sur la mort (littéralement), et de l'art sur la vie. C'est un des rares cas de films qui me parle tellement que, parce que je suis aussi conscient de ses imperfections, je ne chercherai pas pour autant à batailler autour de moi pour le faire apprécier, comme si ça me suffisait de le savourer seul. Et puis j'adore le score flamboyant et toutes trompettes dehors de Michael Kamen, notamment sa somptueuse valse qui contient toute l'énergie du film : 


DOSSIER TERRY GILLIAM :

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