Manu Larcenet, Blast, 2009-2014
Un
livre important, à la fois pour le monde de la bande dessinée et dans la
carrière d'un auteur en perpétuelle recherche. Pour l'avoir suivie depuis le début, son évolution est passionnante : des premières séries parodiques et potaches dans les pages de Fluide glacial — mythique période qui le voyait cohabiter avec Goossens et Blutch — jusqu'à l'intimidant Rapport de Brodeck, en passant par la houlette de Lewis Trondheim, qui écrira pour lui les réjouissants Cosmonautes du futur et (avec Sfar) les trois tomes récréatifs de Donjon parade, Manu Larcenet est un auteur qui a toujours refusé le confort et n'a cessé de se remettre en question pour mieux éprouver son art.
L'œuvre-tournant, affirmation de son indépendance, c'est sans doute Le Combat ordinaire, qui offrait la symbiose idéale entre le récit adulte, intime et sensible, et un découpage encore traditionnel en planches à 4 bandes. Reposant sur une intrigue solide, d'inspiration autobiographique sans pour autant en être esclave (son pendant comique étant Le Retour à la terre), c'est un roman graphique admirable, vivant, profond, et tout simplement touchant, qui obtint légitimement la reconnaissance du public et de la critique.
L'œuvre-tournant, affirmation de son indépendance, c'est sans doute Le Combat ordinaire, qui offrait la symbiose idéale entre le récit adulte, intime et sensible, et un découpage encore traditionnel en planches à 4 bandes. Reposant sur une intrigue solide, d'inspiration autobiographique sans pour autant en être esclave (son pendant comique étant Le Retour à la terre), c'est un roman graphique admirable, vivant, profond, et tout simplement touchant, qui obtint légitimement la reconnaissance du public et de la critique.
Gros morceau dont les previews sur le blog de l'auteur faisaient bien saliver à l'époque, Blast
réinvestit finalement un sillon inauguré par ses ouvrages essentiels parus à la fin des années 1990 chez les Rêveurs (Dallas cowboy, Presque...), et qui ont beaucoup marqué ses lecteurs, révélant les ambitions à la fois graphiques et narratives d'un auteur déjà à l'étroit dans le
carcan de la bande dessinée d'humour. Libérés du format d'album traditionnel, le trait et la mise en page s'y épanchaient avec une liberté nouvelle, supportant harmonieusement un ton impudique à visée cathartique.
Un peu comme Chris Ware, et avec la juste bienveillance de ses éditeurs, Larcenet semble désormais penser/concevoir l'objet-livre en accord avec son propos. Il livre ainsi Blast découpé en quatre tranches épaisses de 200 pages chacune, où il fait une nouvelle fois la démonstration d'une totale et grisante liberté artistique, tant sur le fond que sur la forme. Dans un somptueux noir et blanc, qui laissera de temps en temps entrer la couleur, le dessin y est aussi travaillé que décomplexé, acceptant l'inexactitude pour mieux faire parler l'émotion (son évolution est sensible de façon très intéressante au fil des tomes). En quelques coups de pinceaux, Larcenet compose des atmosphères incroyablement expressives, où le naturalisme fusionne avec les visions les plus hallucinées de son protagoniste. Le récit est en effet essentiellement une narration subjective et retrospective, où la pulsion est reine pour le meilleur comme pour le pire, ce qui autorisera un regard très décalé. Et loin de se contenter de mettre le dessin au premier plan, l'auteur fait aussi preuve d'un remarquable talent d'écrivain et de dialoguiste. Tout ça aboutit à un choc d'autant plus puissant que Blast raconte une histoire particulièrement sombre, s'apparentant à une sorte d'épopée bizarre et effrayante, pleine de fer et de chair.
Un peu comme Chris Ware, et avec la juste bienveillance de ses éditeurs, Larcenet semble désormais penser/concevoir l'objet-livre en accord avec son propos. Il livre ainsi Blast découpé en quatre tranches épaisses de 200 pages chacune, où il fait une nouvelle fois la démonstration d'une totale et grisante liberté artistique, tant sur le fond que sur la forme. Dans un somptueux noir et blanc, qui laissera de temps en temps entrer la couleur, le dessin y est aussi travaillé que décomplexé, acceptant l'inexactitude pour mieux faire parler l'émotion (son évolution est sensible de façon très intéressante au fil des tomes). En quelques coups de pinceaux, Larcenet compose des atmosphères incroyablement expressives, où le naturalisme fusionne avec les visions les plus hallucinées de son protagoniste. Le récit est en effet essentiellement une narration subjective et retrospective, où la pulsion est reine pour le meilleur comme pour le pire, ce qui autorisera un regard très décalé. Et loin de se contenter de mettre le dessin au premier plan, l'auteur fait aussi preuve d'un remarquable talent d'écrivain et de dialoguiste. Tout ça aboutit à un choc d'autant plus puissant que Blast raconte une histoire particulièrement sombre, s'apparentant à une sorte d'épopée bizarre et effrayante, pleine de fer et de chair.
Le quatrième et dernier volume, contraint de conclure, s'achève sur un très long épilogue, exercice indispensable qui va
repeindre sous un nouveau jour ce qui jusqu'ici était bel et bien un long récit
de témoignage, donc partial et incomplet. Mais exercice également très ingrat puisque l'auteur est contraint
de mettre en scène un interminable tunnel dialogué où au bout d'un moment il semble avoir un peu épuisé tous les cadrages possibles (champs-contrechamps, flashbacks). Après un voyage harassant caractérisé par tant d'inventivité formelle, on ne pourra que constater que ça devient visuellement d'une platitude inattendue. On ne le déplorera pas pour autant, parce que l'intérêt pour l'histoire reste néanmoins maintenu, et que ça a tout de même pour effet de participer à une sorte de retour à une réalité qui se devait d'apparaître comparativement forcément plus morne.
On aura donc lu Blast en ressentant pleinement le long galop auquel a du ressembler pour l'auteur sa conception. C'est une véritable expérience de lecture qui bouscule, un trip sensoriel qu'on n'approchera finalement jamais autrement qu'en tremblant. Et malgré son côté no future, ça reste l'œuvre d'un artiste qui, s'il vit son trait, est aussi quelqu'un qui aime raconter des histoires. Et qui prouvera bien vite qu'il est encore loin d'avoir vidé toute sa sève, nous offrant une nouvelle œuvre-monstre, libre transposition d'un récit de Philippe Claudel, Le Rapport de Brodeck.
On aura donc lu Blast en ressentant pleinement le long galop auquel a du ressembler pour l'auteur sa conception. C'est une véritable expérience de lecture qui bouscule, un trip sensoriel qu'on n'approchera finalement jamais autrement qu'en tremblant. Et malgré son côté no future, ça reste l'œuvre d'un artiste qui, s'il vit son trait, est aussi quelqu'un qui aime raconter des histoires. Et qui prouvera bien vite qu'il est encore loin d'avoir vidé toute sa sève, nous offrant une nouvelle œuvre-monstre, libre transposition d'un récit de Philippe Claudel, Le Rapport de Brodeck.
2 commentaires:
Je suis très fan également : Donjon Parade, Le Retour à la terre, Le Combat ordinaire. Je n'ai lu qu'un tome ou deux de Blast, je vais tout reprendre et clôturer la série. J'ai lu le premier tome L'Autre, adapté du roman Le Rapport de Brodeck de Philippe Claudel (lu en son temps et que j'avais beaucoup aimé). Le dessin est incroyable, j'ai vraiment été impressionnée par le travail effectué. En un mot, superbe.
Oui, mieux vaut redémarrer. Blast fait partie de ces œuvres tellement denses, que ce n'est pas évident de les lire au rythme de la parution de chaque tome, puisqu'entre temps on peut avoir oublié des détails importants.
De même j'ai le 1er tome de Brodeck, mais j'ai préféré suspendre ma lecture en attendant d'avoir le second et de pouvoir m'y plonger sans trop longue suspension.
E.
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