9 avril 2020

Histoire permanente du cinéma français, 2004


Comme une image, Agnès Jaoui, 2004
Je n'en attendais rien (n'ayant pas tant goûté la précédente réalisation de Jaoui), et je dois dire que j'ai passé plus qu'un excellent moment. Après un petit faux départ où les situations et les dialogues me semblaient forcés, démonstratifs, les personnages s'installent et le film trouve sa vitesse de croisière. L'écriture se révèle finalement très subtile, parvenant à animer une dizaine de personnages tous intéressants et profonds, dans lesquels on pourra reconnaître des travers qu'on sait partager (l'hypocrisie, la compromission, les préjugés). Le milieu de ces intellectuels bourgeois — ou en passe de l'être — est assez justement décrit. On se balade avec eux, on les voit surmonter des crises, s'aimer, s'engueuler, bref "grandir". L'approche est très sensible (voir les rapports entre Lolita et Sebastien), sans simplisme ni manichéisme. Vient toujours un moment, une scène, où on n'accepte plus de les suivre, où on en vient à les trouver insupportables, avant de finalement reconnaître là des comportements qui nous guettent tous.

Je ne vois pas du tout ça comme un film moralisateur, mais plus comme une captation de l'air du temps. Avec un petit côté film de potes, chaleureux, lucide, drôle parfois — moins par ses répliques que par la justesse de ses observations encore une fois. Comme dans nos vies dans lesquelles on aimerait bien trouver de la grâce alors qu'on nage dans nos mesquineries quotidiennes. La mise en scène, discrète, colle parfaitement à ses personnages et mène le récit avec une réelle efficacité. Un vrai petit coup de cœur que je n'espérais pas.




Les Sœurs fâchées, Alexandra Leclère, 2004
Si je concède au film d'inattendues qualités, j'y ai aussi constaté les travers que j'avais craints au vu de son pitch cousu de fil blanc. Les personnages de Frot et Huppert sont parfaitement stéréotypés et agissent de façon aussi attendue qu'artificielle. D'un côté la Provinciale aux gros sabots, forcément maladroite, candide et abordant la vie avec bonhommie. De l'autre la Parisienne mécaniquement irascible, attachée à son confort bourgeois et à ses petites habitudes. On se contente alors d'assister à une suite d'oppositions / réconciliations aussi artificielles que lassantes. Ce manque d'originalité, ce ressort dramatique lourdaud est très dommageable au récit, qui épuise vite ses possibilités.

Heureusement, Alexandra Leclère parvient à intriguer en faisant en sorte de livrer un film très grinçant, voire dérangeant. L'affiche nous vendait une comédie, on est plutôt devant une étude de mœurs peu reluisante. Car la violence et le sordide sont constamment présents à l'arrière-plan, avec un personnage absent qui conditionne tout : la mère (que la réalisatrice traitera de front quelques années plus tard dans Maman). La sexualité triste des personnages parisiens est traitée avec une crudité à faire suffoquer le public du troisième âge qui se trouvera inévitablement dans la salle (il faut voir Huppert empoigner sa voisine par les cheveux en lui ordonnant de répéter « je suis une grosse salope ! »). Le jeu de Catherine Frot absolument admirable parvient à sauver certaines scènes, notamment la dernière, très belle à la fois sur le plan cinématographique et sur celui de l'émotion, enfin simple, enfin vraie.




Narco, Tristan Aurouet & Gilles Lellouche, 2004
Une comédie française qui détonne un peu par le soin que les réalisateurs accordent à la forme, malheureusement le parent pauvre dans ce genre cinématographique, sagement formaté pour les diffusions télévisées. Cela ne fait cependant pas tout. Certes, les ressorts comiques liés à la narcolépsie du protagoniste amusent, et je reconnais que j'ai bien du garder le sourire pendant les quarante premières minutes au moins. Zabou a un très beau rôle. La direction musicale est plaisante (entre standards rock et BO de Sebasien Tellier). La photo est très travaillée, et il y a effectivement de vraies idées de mise en scène. Mais pour le reste...

Le film se révèle assez vite à courts d'idées, a finalement trop peu à raconter, se disperse dans ses effets qui révèlent une agitation suspecte, et finit par ne plus trop savoir où il veut aller. Même Poelvoorde est incapable de rendre drôles ses dialogues (je crois qu'il n'en a jamais eu d'aussi nuls). Lourdingue.




Un long dimanche de fiançailles, Jean-Pierre Jeunet, 2004
Amélie Poulain est un film que je continue à apprécier et qui me touche beaucoup. Les premières caresses échangés entre Kassovitz et Tautou sur le pas de la porte, à la fin du film, me bouleversent parce qu'elles sont l'aboutissement tant espéré d'un récit linéaire, qui sait rester près de ses personnages, composer une mosaïque qui met en valeur une trajectoire unique (c'est un peu comme si on me montrait Deneuve et Perrin tomber dans les bras l'un de l'autre à la fin des Demoiselles de Rochefort)Mais son successeur tant attendu, Un long dimanche de fiançailles a échoué à m'émouvoir. Mathilde et Mannec nous sont présentés dès le tout début comme un couple qui s'aime. On n'assiste pas à la naissance de ce lien, on n'éprouve pas sa source. Du coup, c'est comme si on me demandait d'accepter le résultat sans chercher à comprendre et l'accepter comme un froid postulat.

Les choix de Jeunet m'ont laissé sur le seuil : de son ouverture en forme de bande-annonce interminable à sa construction éclatée en forme d'enquête qui passe en revue des témoins certes dignes d'intérêt, mais qui nous détournent de la seule chose qui nous préoccupe, le sort de Mannec. On sauvera tout de même la présence lumineuse de Jodie Foster qui apporte au film ce supplément d'âme et de sensualité qui lui fait défaut. Le personnage de Marion Cotillard, son mystère et le petit mot qu'elle trouve dans la montre à gousset, auraient pu apporter un poids tragique à l'histoire. Mais j'ai trouvé les dialogues peu inspirés. En dehors du running gag du facteur et du gravier, j'ai peu ri aux blagues du film. Les décors surchargés, la méticulosité de Jeunet le desservent également, dans cette histoire qui souhaite avant tout faire le plus de place à l'émotion. Comment être touché par cette maison bretonne de calendrier des P.T.T., ce Paris numérique de pub CNP, ces plans aériens autour du train ou du phare, cette musique de Badalamenti pompeuse et sans finesse ? Certes Jeunet y oppose l'horreur des tranchées et s'efforce de la filmer par des plans inédits spectaculaire. Mais le déséquilibre est consommé, et un tel ratage m'attriste.




Exils, Tony Gatlif, 2004
Un film bien emballant, à la fois nu et riche de plénitude, une vraie ode à l'errance. J'ai totalement épousé le rythme de la narration, suis vraiment parti en balade avec ses personnages, leurs états d'âmes partagés dans le silence, le trouble de leurs désirs, la quête du sens de leurs origines (en traversant l'Espagne, le Maroc et l'Algérie, c'est un peu de moi-même que je retrouvais aussi, par procuration). L'expérience culmine lors de ce long plan-séquence de la transe finale, avec le retour au calme magnifique qui lui succède, scène d'anthologie fascinante. Le film est sincère, ses acteurs sont vrais, le scope et les paysages sont beaux.

C'est frais, intense, mais triste aussi, parfois. La relation qu'entretiennent Duris et Azabal nous est donnée sans qu'on éprouve le besoin de la décrypter, de l'analyser. Ici on ne scrute pas, on vit. Et on est presque déçu quand vient le moment de les abandonner et de sortir du film, éprouvant le blues du voyageur de retour au pays. J'ai été impressionné d'apprendre au générique de fin que Gatlif était (co-)responsable de la majorité des musiques, tant j'ai trouvé la bande originale constamment remarquable. La musicalité, le rythme, prennent le film à bras le corps et saisissent le spectateur dès le puissant plan d'ouverture. Mention spéciale à ce passage génialement poétique où Duris marche sur une grande place pavée en donnant des coups de pieds aux bouteilles abandonnées là et qui produisent une musique inattendue !

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