15 février 2018

Le Cinéma de Ken Russell, 1975-1980

Tommy, 1975
Saisi par l'histoire hallucinante et hallucinée du messie pop Tommy, je trippe comme il faut face à ce torrent de visions délirantes, à l'interprétation furieuse de la superbe Ann-Margret, à la fraîcheur d'un Roger Daltrey plus christique que jamais, au charisme d'Oliver Reed, à la folie de Keith Moon, et aux orchestrations richissimes de Townshend. Et puis quelles chansons ! Les titres de l'album ont été réarrangés pour le film et personnellement j'aime beaucoup ces réinterprétations. C'est très riche et expressif, sans parler des compos exclusives comme Champagne. J'adore en particulier tous les titres interprétés pas Ann-Margret, actrice que j'ai toujours trouvée irrésistible. Le disque enregistré par The Who en 1969 — album conceptuel fondamental de l'Histoire du rock — apparaît en comparaison plus mesuré, presque plus fragile, et par conséquent sans doute plus attachant. Je ne me lasse pas de l'écouter. 

Ce qui m'a surtout frappé en revoyant le film c'est le luxe de moyens dont a disposé Russell. Certaines scènes comportent des centaines de figurants, dans des décors aussi impressionnants que vastes, et ça participe pas mal de la fascination qu'exerce ce spectacle qui exploite vraiment toutes les dimensions audiovisuelles. Une vraie réussite dans le genre finalement assez ingrat de l'opera-rock filmé, avec Pink Floyd the wall d'Alan Parker, que je vénère peut-être encore plus. Manifestement Russell et Daltrey s'étaient suffisamment bien amusés sur le tournage pour remettre le couvert dans la foulée avec l'improbable Lisztomania.




Valentino, 1977
Superbe rêverie hollywoodienne. Rudolf Noureyev incarne Rudolph Valentino. Choix étonnant puisque le danseur ne possède pas vraiment la beauté de l'acteur mythique mais il se révèle étonnamment convaincant. Et ses quelques scènes de danse en deviennent d'autant plus précieuses, en particulier lors d'une séquence où Valentino rencontre Nijinski. Leslie Caron et Seymour Cassel complètent le casting, l'une en diva russe homosexuelle, l'autre en impresario compréhensif. Le film démarre avec les émeutes qui ont accompagné les funérailles de l'idole puis se poursuit sous-forme de témoignages, un peu à la Citizen Kane. Valentino devra lutter contre les préjugés de son époque, passant des cabarets miteux aux villas californiennes tout en chérissant un rêve plus simple où il serait exploitant d'une orangeraie. Il serait intéressant de savoir la part d'authenticité et de délire quant à la vision de Valentino proposée par Russell et son scénariste, tant on sait que la rigueur historique est souvent loin des préoccupations du cinéaste dément.

La reconstitution de ces années folles est cependant fastueuse, tant dans le luxe des décors que dans le nombre de figurants et des costumes. Tout est vraiment magnifié ici, photographie de Peter Suschitzky et musique itou. Certaines scènes se laissent aller à l'outrance, marque de fabrique du réalisateur, en particulier lors d'une nuit cauchemardesque que Valentino passe en taule. On a également droit à un combat de boxe qui m'a inévitablement fait penser à Rocky, produit par les mêmes Chartoff et Winkler et sorti l'année précédente. Drame et humour se conjuguent ainsi pour livrer un portrait du mythe hollywoodien vraiment passionnant, surtout si on aime les films sur le sujet, puisqu'on y croise des personnalités comme Fatty Arbuckle, Rex Ingram, Jesse Lasky ou Joseph Schenck.




Altered states (Au-delà du réel), 1980
Le film est bien vendu par sa fascinante affiche et le nom prestigieux de Paddy Chayefsky au scénario, qui adaptait ici son propre roman. Le résulat est malheureusement loin d'être à la hauteur de ces attentes, Russell ruinant les prétentions scientifiques de son intrigue par une direction hasardeuse. On voit bien ce qui a pu l'intéresser dans l'histoire de ce savant fou, héritier du Dr. Jeckyll en ce sens qu'il est prêt à expérimenter sur sa personne pour retrouver sa part animale. 

Russell semble n'y avoir vu qu'un prétexte à une science-fiction hallucinatoire un peu facile, basculant un peu trop souvent dans de grotesques manifestations. William Hurt donne de sa personne mais on sent qu'il est en roue libre. Altered states mériterait éventuellement d'être revu, mais dans mon souvenir ça reste un film assez décevant, dont on pourra dire au mieux qu'il préparait le terrain au Cronenberg de The Fly. 

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