21 mars 2020

Histoire permanente du cinéma américain, 2007-2012

Death proof (Boulevard de la mort), Quentin Tarantino, 2007
Maître d'œuvre d'un film hors-normes, Tarantino manipule le spectateur avec un brio qui laisse pantois. On dit souvent de ses films qu'ils transpirent son amour du cinéma, celui-ci n'y fait évidemment pas exception, et c'est un vrai bonheur d'y retrouver cette sincérité à la fois intacte et efficiente. Au-delà des références (citations visuelles et sonores, répliques, codes) et du travail formel (le titre VF qui s'incruste sur le plan d'ouverture, ces sauts de pellicule comme un équivalent visuel du concept de mix), je me suis complètement laissé emballer par le jeu de fausses pistes, par une imprévisibilité que j'ai été content de goûter d'autant mieux que je m'étais tenu à l'écart de toute info. Crudité / vérité des dialogues, sérénité du regard, atmosphère envoûtante, talent des actrices. Je savourais l'audace d'une telle dilatation du temps creux.

Le surgissement de la violence acquiert alors une force incroyable, quand bien même certains dans la salle l'évacuent par un rire jaune. Je n'y ai vu pour ma part nulle volonté comique, juste une mise en image du visage grotesque que la mort peut parfois arborer, idée finalement bien perturbante. En redémarrant presque son film à zéro (point limite), le réalisateur prenait le risque d'émousser l'intérêt. Il n'en est rien au contraire, puisqu'ayant été préalablement témoin choqué de la folie meurtrière de Stuntman Mike, j'étais prêt à le voir surgir à tout moment pour le pire, alors que dans la première partie, ma méfiance à son sujet s'était bien endormie. Ce qui m'a toujours frappé chez Tarantino — c'est le cas de le dire — c'est sa capacité à montrer des coups qui font vraiment mal et laissent un sale goût en bouche. Tant par ses cadrages, son montage et par l'utilisation de la bande sonore, il crée une tension qui dérange. Le plan d'ouverture de Kill Bill sur le visage tuméfié de Uma Thurman en gros plan prenait pareillement le spectateur à la gorge, à peine installé dans son fauteuil en attente de fun.

Le basculement du dernier acte dans le cinéma de cascade semble vouloir ressusciter un art perdu. J'y vois un cadeau vraiment précieux à une profession que les effets numériques ont tranformé (eZoë Bell est ma nouvelle idole). Ici c'est du brut et c'est filmé et monté avec une énergie, une science du rythme et du mouvement extraordinaires. C'est beau parce que c'est un film clairement pensé pour la salle, quand tant d'autres productions semblent surtout pondues pour avoir un bon rendu en home cinema. Un film sexy en diable, une œuvre de génie (et si j'adore depuis le début Tarantino, je crois que c'est la première fois que je lui accorde ce qualificatif). Devant ses films suivants, je ne ressentirai plus le même enthousiasme, le même sentiment de cohésion.




The Good shepherd (Raisons d'état), Robert De Niro, 2007
Impressionnant film qui me semble être cruellement passé inaperçu à sa sortie, alors qu'il avait tout pour faire événement. À l'affiche : Matt Damon, Angelina Jolie, Joe Pesci, Alec Baldwin, William Hurt, Michael Gambon, John Turturro, Eddie Redmayne, ou encore Billy Crudup. Derrière la caméra, De Niro ne s'autorise qu'un petit rôle, de mentor certes. Ce casting prestigieux et le sujet historique pouvaient laisser craindre une reconstitution téléfilmesque aseptisée. Il n'en est rien. Après la chronique initiatique (A Bronx tale, 1993), De Niro aborde le film d'espionnage comme une fresque à la fois historique et familiale, puisant au meilleur du cinéma américain des 70's, sans jamais perdre de vue le facteur humain et l'intime.

Servi par un scénario passionnant et d'une exceptionnelle densité signé Eric Roth (Forrest GumpThe Insider, Munich, Benjamin Button), et qu'on devine parfaitement documenté, le film nous fait voyager de Washington à Cuba en passant par Leopoldville. Sur fond de paranoïa et de complotisme, le récit relate les origines de la CIA, révèle les troublantes fondations sur laquelle elle s'est construite, servant les intérêts de la Nation en se mêlant progressivement de la politique intérieure d'autres pays. Très bien entouré donc, et avec la conviction dont on le sait coutumier, Matt Damon incarne sur plusieurs décennies un personnage froid mais non calculateur sur lequel glissent les drames du monde comme ceux de sa vie privée. Pour l'avoir revu, le film ne se dégonfle pas. À découvrir.




The Invasion, Olivier Hirschbiegel, 2007
Boudiou la belle catastrophe industrielle que cet enième remake d'une histoire terrifiante qui en soi n'a pourtant rien perdu de sa pertinence et de son actualité depuis le séminal Invasion of the body snatchers de Siegel. Le thème du remplacement, la réflexion sur la nature humaine définie et guidée par ses émotions sont toujours des ingrédients forts qui peuvent donner lieu à plein d'approches et de lectures différentes, ce qu'ont jusqu'ici plutôt bien exploité les cinéastes qui s'y sont frottés (je suis un grand admirateur de la version Abel Ferrara / Bojan Bazelli). Sauf que pour son passage à Hollywood, l'Allemand Hirschbiegel (La Chute) échoue complètement, victime non seulement de choix d'écriture aberrants (les humains ne sont pas remplacés, juste "malades", ce qui autorisera un retour à la normale aussi improbable que dénué du moindre frisson), mais surtout à cause d'un monteur fou qui enquille les scènes n'importe comment, avec de grosses ellipses et des fusions de temporalités maladroites, plaies ouvertes qui témoignent d'une production qui a échappé à ses créateurs. Mentionnons également, occupant sans doute le bureau d'à côté, le bruiteur fou qui vient souligner lourdement le moindre effet (tête qui tourne, caméra qui panote, porte qui s'ouvre, etc.), persuadé que c'est ainsi qu'on crée de la tension. 

Kidman a beau faire tout ce qu'elle peut pour porter le film sur ses épaules (elle est de quasiment tous les plans), son aventure manque dramatiquement de profondeur, alors qu'elle sera touchée jusque dans sa chair (son fils) et son cœur (son ami-ami-pas-ami). Quant à Jeffrey Wright, son personnage n'a aucun sens, scientifique qui va à lui tout seul découvrir la cause, le remède, mais aussi faire du sauvetage heliporté. On devine derrière ce carnage le propos qu'aurait sans doute espéré son réalisateur, qui aurait certainement donné un film le minimum syndical d'efficacité hollywoodienne. Mais même dans l'action ou la tension, on n'est à aucun moment vraiment saisi par le trouble. Je retiendrai juste, et seulement pour ses intentions, cette cascade avec la grappe de figurants accrochée à la voiture, dont il faudrait attribuer la conception aux Wachowski et qui est peut-être le seul moment où j'ai pensé qu'il y a avait des idées, mais là encore, tellement mal mise en scène. Bref, poubelle.




The International (L'Enquête), Tom Tykwer, 2009
Quelle arnaque. Ça a fait illusion pendant les quinze premières minutes où on se cale en mode thriller paranoïaque mondialisé, et je me disais que j'allais peut-être assister à un bon James Bond-like avec Clive Owen qui se rêverait en 007. Mais très vite, le film semble avoir fait le tour de son propos. L'enquête est finalement ultra-balisée en forme de contre-la-montre pour choper les témoins avant qu'ils ne se fassent descendre, tandis que les inévitables supérieurs hiérarchiques vont forcément vouloir clore des investigations pourtant efficaces. Cet enfumage est d'autant plus criant que les personnages qu'on nous invite à suivre sont dramatiquement dénués de la moindre épaisseur. Owen n'a aucune vie privée, et on peine à saisir pourquoi il fait à ce point de son enquête une affaire personnelle. Tandis que le peu de ce qui est montré de la vie de famille de Naomi Watts n'est pas assez solide pour qu'on soit davantage impliqué. Au point que je ne comprends même pas l'intérêt qu'à pu avoir une actrice de sa trempe pour accepter un rôle aussi vide que celui qu'elle endosse ici. Ce n'est même pas un prétexte pour tourner dans un gros film d'action divertissant, car à part une cascade doublée, elle n'a strictement rien à jouer. Le seul plaisir que m'aura communiqué le film aura été de passer un peu de temps avec ce bon vieux Armin Mueller-Stahl, mais lui semble clairement n'avoir rien à foutre de ses dialogues ridicules pseudo-existentiels (son interrogatoire est presque une caricature).

Toute cette paresse dans l'écriture ne m'aurait pas tant dérangé si elle avait été assumée comme un prétexte pour se concentrer sur le style et la mise en scène. Mais le film n'est guère palpitant, et surtout se prend au sérieux du début à la fin. Ce n'est pas parce qu'on choisit un décor comme celui du musée Guggenheim que cela suffit à créer quelque chose (on imagine ce qu'un De Palma aurait fait d'un tel plateau). Certes, on voyage, et il y a de beaux décors, mais rien n'est vraiment exploité, jusqu'à ce final en Turquie peu inspiré (pourquoi dès qu'un film se déroule à Istanbul faut-il que les personnages finissent sur les toits ?) et dénué de la moindre tension, la façon dont tout ça se conclue relevant presque du foutage de gueule. Bref, une totale imposture, d'autant plus désolante que le précédent film de Tykwer, adaptation réussie du Parfum, m'avait conquis, tout comme son segment pour le film à sketch Paris je t'aime.




Sinister, Scott Derrickson, 2012
Bel emballage qui réussit à en imposer au spectateur dès son impressionnante séquence d'ouverture, parvenant par la suite à créer d'excellents moments de tension, avant de progressivement mettre à nu des ficelles incroyablement peu imaginatives. Et c'est la déception qui domine au final. Pourtant le concept était vraiment bien trouvé, la mise en scène et l'image plutôt de bons goûts, et le travail sonore franchement remarquable. Mais le scénar se révèlera vite incapable de développer de façon convaincante son histoire, ses personnages et son concept, enchaînant bientôt les séquences de façon répétitive au détriment de l'implication du spectateur.

L'intérêt s'effiloche ainsi jusqu'à un climax vraiment mal exploité qui retombe bassement dans les clichés du mauvais film d'horreur. Bref, vraiment trop de défauts pour convaincre. J'espère qu'Ethan Hawke, qu'on n'attendait pas forcément ici et auquel je conserve ma sympathie, s'est au moins amusé sur le tournage.

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