5 février 2018

Histoire permanente du cinéma italien, 1970-1974


Citta' violenta (La Cité de la violence), Sergio Sollima, 1970
Au vu de la poignée de films que j'ai vus de Sollima (Saludos hombreRevolver, des réussites magistrales), c'est peu de dire que j'abordais la découverte de ce nouveau titre — réputé qui plus est — avec confiance. L'ouverture sèche et sans dialogue où l'action est reine fait effectivement illusion. Mais j'ai attendu en vain que le film prenne corps. Le réalisateur a beau jouer l'épure à tous les étages, avec un récit basique de vengeance et d'amour, le résultat m'a semblé trop peu habité, à l'image de cette longue et soporifique scène d'observation de course automobile au montage hasardeux. Et ce n'est pas le visage monolithique de Chuck Bronson qui viendra nourrir la tension.

Son personnage de cowboy solitaire reste jusqu'au bout impénétrable. Mais vu la façon dont il se fait berner par la duplicité aussi évidente que constante de Jill Ireland, on cesse vite d'être impressionné par sa froideur, et on se retrouve plutôt consterné par son peu de jugeotte. Alors oui, on va mettre ça sur le compte de l'amour-qui-rend-aveugle, mais le héros demeure tout de même victime d'une machination assez improbable. Sans parler du traitement de Telly Savalas, big boss plus amusant que menaçant, personnage le plus bavard du film qui semble surtout là pour justifier que la production ait fait appel à une demi-douzaine de scénaristes (parmi lesquels Wertmuller en plus de Sollima). 

Le réalisateur profite plutôt bien de l'opportunité de donner à son film une couleur américaine, exploitant notamment de beaux paysages de Louisiane qui changent un peu des polars urbains italiens, genre duquel il relève finalement peu. D'ailleurs je ne m'explique pas ce titre de Cité de la violence, puisque l'action se passe le plus souvent loin des villes, et qu'on n'a pas de commentaire socio-politique particulièrement appuyé ? Je n'en retiendrai vraiment que le final, moment aussi tragique sur le fond que baroque dans la forme, où le talent de Sollima se rappelle à notre bon souvenir. Si tout le film a été mis en chantier pour cet unique morceau, ça peut éventuellement se pardonner. Mais pour une fois que j'avais l'opportunité d'enrichir ma découverte de l'œuvre plutôt rare de ce cinéaste, je ne m'attendais pas à être aussi déçu.





Pane e cioccolata (Pain et chocolat), Franco Brusati, 1974
La comédie à l'italienne, pour moi c'est toujours du bonheur en perspective, et j'aime en voir et revoir les films sans lassitude. J'adore ce cinéma pour la troupe de délicieux acteurs qui s'y relaie, mais surtout pour son subtil mélange de drame et de drôlerie, pour cette capacité (voire cette perversité) à passer de l'un à l'autre. Ce sont des films souvent riches, comme la vie, où les personnages acquièrent leur existence autonome, montrés autant dans leurs faiblesses que dans leur noblesse, ne se contentant pas d'être de simples supports à gags comme dans les comédies strictement loufoques (la frontière, c'est vrai, est parfois mince). Un truc que plus près de nous un cinéaste comme Pierre Salvadori avait pas mal réussi dans ses premières œuvres, avec ses personnages toujours en galère. Au milieu des grands maîtres qui ont d'ailleurs souvent collaborés ensemble (les Risi, Monicelli, Age et autres Scarpelli), je tiens en très haute estime Franco Brusati, dont je n'aurais pourtant vu que ce seul titre, ce Pain et chocolat que je considère comme un sommet du genre, rivalisant sans peine avec les chefs-d'œuvres de Scola.


Mettant à l'honneur un Nino Manfredi bouleversant d'humanité, Pain et chocolat raconte les péripéties pathétiques d'un émigré italien fasciné par cette sorte d'idéal qu'est à ses yeux le mode de vie suisse. Les beautés du film viennent pour l'essentiel de son imprévisibilité, bousculant sans cesse les attentes et les certitudes du spectateur. Maître d'œuvre, Brusati impose ainsi de radicales ruptures de ton : on se marre franchement à certaines scènes jusqu'à ce que soudain tout bascule et que le rire s'étrangle au fond de la gorge. Le film enchaîne ainsi les scènes d'anthologie. Parfois cruel, jamais cynique, toujours tendre. Un bijou.




Prigione di donne (Pénitencier de femmes perverses), Brunello Rondi, 1974
Injustement incarcérée pour une histoire de trafic de drogue, une jeune Française découvre l'horrible réalité des prisons pour femmes, basculant progressivement de l'humiliation à la révolte. J'avoue avoir beaucoup apprécié l'inattendue et surprenante poésie à l'œuvre dans ce film. Rondi part en totale roue libre, sans doute pas aidé par le remontage aberrant des distributeurs français (raccords son/image régulièrement foirés). Les réactions des personnages, leurs dialogues semblent constamment à côté de la plaque, surjouant la carte de l'excès et laissant à chaque fois le spectateur atterré par l'incongruité de certaines scènes : de l'hystérie collective des détenues devant des images de bateaux de pêche, à l'héroïne hurlant « Martine ! Je m'appelle Martine ! Entendez mon nom ! », en passant par les crises de larmes de ladite Martine devant le feu de joie des prisonnières révoltées. Un spectacle véritablement fascinant qui fait qu'on attend chaque nouvelle séquence avec une vraie gourmandise perverse. Comment garder son sérieux face à un dialogue tel que celui-ci, murmuré sur un coin de couette dans la cellule : « — J'entends des pleurs... ou des chants... quelqu'un qui pleure... quelqu'un qui chante... — Ce sont les murs... les murs qui chantent... »

On sent que le réalisateur est en colère, fustigeant les institutions aussi bien familiales que religieuses, politiques ou sociales (le directeur de la prison et l'avocat sont deux croûlants). Ce violent réquisitoire est sans doute sincère, le générique mentionne d'ailleurs la présence d'un criminologiste comme consultant. Mais toutes ces prétentions sont bien vites ruinées par des inserts pornos, scènes de douche, masturbation, et autres stripteases qui remettent bien vite le film sur les rails du pur cinéma d'exploitation. On devine que les interprètes principales ont été davantage choisies pour leur physique que pour leur talent d'actrice (parmi elles, la coléreuse Marilù Toloadepte des westerns spaghetti). Et on pourra légitimement considérer que la protagoniste injustement emprisonnée fait franchement peu d'efforts pour démontrer son innocence. 

Si on devait en tirer une morale, ce serait de se méfier des ruines. On y rencontre en effet de jeunes toxicos qui vous planquent des sachets louches dans les poches au moment où les flics décident de faire une rafle. Et oui, c'est le même Rondi qui a scénarisé ces merveilles de sensibilité et de poésie que sont Europa '51La Dolce vita ou Fellini-Satyricon.

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