12 février 2018

Histoire permanente du cinéma italien, 1976

Roma l'altra faccia della violenza (L'Autre côté de la violence), Franco Martinelli (aka Marino Girolami), 1976 
Réalisé sous pseudo donc, par Marino Girolami, dont le frère Romolo Girolami œuvrait parallèlement dans le même genre du polar urbain italien, le poliziottesco. Prenant Rome comme terrain de jeu, le film se montre particulièrement bien bas du front, avec un penchant marqué pour l'improbable, à la grande jubilation des amateurs de bisseries. Malgré un temps de présence à l'écran pourtant conséquent, les flics n'ont quasiment rien à faire. Menée par un Marcel Bozzuffi encore auréolé de sa participation à The French connection, l'enquête piétine, et on s'ennuie un peu à voir ses gars passer des coups de fils inutiles, puis préparer minutieusement des opérations qu'ils annuleront finalement au dernier moment. Tout le boulot sera en fait effectué par le père d'une jeune fille assassinée, transformé en exterminateur et traquant les responsables. 

Le film se permet d'aller assez loin dans la représentation du sexe (une scène de viol bien complaisante) et de la violence (explosions de tripaille au ralenti). Et on est surpris par quelques vraies bonnes idées qui surnagent et témoigneraient presque d'une volonté de zèle, de dépasser les faibles exigences de ce qui relève avant tout du cinéma d'exploitation. Ainsi le fait d'avoir réussi à placer au milieu de tout ça un conflit générationnel entre père et fils. Cerise sur le gâteau, derrière le divertissement, les scénaristes ont la prétention de tenir un discours bien rageur sur la violence qui mine la société... mais qui n'est pas celle qu'on croit. En effet, la police préfère ici arrêter des faux coupables dans les bas-fonds de Rome, alors que les vraies crapules sont les jeunes désœuvrés des quartiers rupins. Dans les deux cas, la représentation est aussi peu subtile qu'involontairement drôle.




Salo' o le 120 giornati di Sodoma (Salo ou les 120 journées de Sodome), Pier Paolo Pasolini, 1976
L'histoire du manuscrit des 120 journées de Sodome est un roman à lui seul. Rédigé en prison, il fut perdu par son auteur, et on se demande même s'il était destiné à être publié tant Sade y fit preuve d'un radical affranchissement de toutes règles. Le texte s'impose à nous comme une expérience absolue où la forme et le fond font corps comme rarement. C'est sans doute le bouquin le plus puissant de l'écrivain, sorte de point de non-retour qui teste la capacité du lecteur à tout lire, et c'est exactement le pari réussi du film de Pasolini, dont on se demande là encore comment il a pu être produit.

Sade situait très précisément son récit à la fin du règne de Louis XIV, qui dilapida les richesses du royaume en guerres et fastes. Ce qui amena à une période de permissivité assez folle dont profitera la Régence à suivre. Les riches seigneurs n'étaient alors surveillés par personne, se croyant tout permis, vivant en autarcie dans leur propres terres, comme dans une enclave autonome. En projetant cette histoire dans l'Italie des derniers soubresauts du fascisme, Pasolini lui redonne sa portée universelle. La République de Salo tentait de recréer un monde au sein d'un autre, avec ses propres lois et peut-être la conscience d'une catastrophe imminente rendant désormais caduques tous les tabous. Le processus de déshumanisation qui est impitoyablement exécuté à l'écran est alors d'autant plus horrible qu'il s'inscrit dans une mécanique, une rigueur qui finalement sont eux aussi les fruits d'une humanité. Descente aux enfers sans échappatoire, plongée vers l'abîme sans révolte, c'est un film dont je ne conseillerai pas plus le visionnage que je ne me l'imposerai de nouveau. Tout comme le livre, c'est une œuvre qui marque au fer rouge, et dont le simple fait qu'elle existe a presque autant de valeur que le fait de la regarder. 




Cattivi pensieri (Qui chauffe le lit de ma femme ?), Ugo Tognazzi, 1976
Un riche avocat milanais (Tognazzi) rentre chez lui plus tôt que prévu. Il aperçoit dans son cagibi les pieds nus d'un homme mais, au lieu de faire un scandale, ferme le cagibi à clé et embarque sa femme (Edwige Fenech) en vacances, espérant qu'elle se trahira toute seule. Dans cette attente, il va se mettre à fantasmer toute une série d'hypothèses sur l'identité de l'homme qui l'a rendu cocu. Ces scènes de fantasme auraient pu être bien délirantes, or Tognazzi manque un peu tristement d'imagination, préférant se contenter de livrer des scènes sexy et un peu vulgos, mettant bien en valeur la plastique parfaite de la Fenech. Il imaginera par exemple sa femme nue au bord de la piscine, entourée de mâles au sexe géant, ou bien se faire prendre dans le foin par un propriétaire de chevaux, excitée par la vision d'une saillie chevaline (filmée en gros plans, merci Ugo).

C'est évidemment pas désagréable à l'œil, mais on aurait aimé davantage de loufoquerie, surtout de la part de quelqu'un qui a été nourri au meilleur de la comédie italienne, celle des Risi et autres Monicelli. Ça reste bassement paillard, et Tognazzi ne fait pas vraiment d'étincelles du côté de la réalisation. Le meilleur est sans doute ce qui concerne la caractérisation de son protagoniste — mâle franchement odieux — et de toute la grande bourgeoisie qu'il fréquente, entre parties de chasse et grands hotels de luxe. C'est d'ailleurs toute la société italienne qui en prend pour son grade, les services publics, les syndicats, etc. Une touche satirique minimale, mais qui relève un peu l'intérêt du film.

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