1 février 2018

Hiroyuki Okiura : deux longs-métrages d'animation

Jin-roh (La Brigade des loups), 1999
Véritable prodige de l'animation, Hiroyuki Okiura a été formé à bonne école, au point d'impressionner les maîtres les plus exigeants. Il fut en effet animateur sur des productions aussi ambitieuses qu'AkiraPatlabor 2, Blood the last vampire, le Metropolis de Rintaro ou encore Paprika. On lui doit également l'extraordinaire finesse du chara design de Ghost in the shell, ainsi que la réalisation du générique très photoréaliste du film Cowboy bebop. 

Pour son premier long-métrage, il a ainsi les honneurs d'un prestigieux parrainage avec un scénario signé Mamoru OshiiL'histoire est belle, aussi violente que poétique, bien qu'un peu complexe. Sur le fond, Jin-roh est typique du cinéma d'Oshii. On y retrouve en effet son goût pour les intrigues brumeuses, pour des personnages en proie à des angoisses métaphysiques, pour des atmosphères lourdes et un rythme qui alterne entre moments de pure contemplation et fulgurantes séquences d'action. Il y est question du sacrifice de la jeunesse à ses devoirs et à ses idéaux, de machinations politiques sans états-d'âme, mais aussi d'amour. C'est une écriture exigeante, qui court parfois le risque de décourager le spectateur, mais qui dans le meilleur des cas procure une fascination qui supportera très bien les multiples visionnages, chacun permettant de se concentrer sur tel ou tel élément, et d'apprécier de nouvelles richesses.

C'est un film profondément original par son univers, proposant une passionnante uchronie de l'histoire contemporaine japonaise, tout en réussissant à plaquer là-dessus la trame cruelle d'un conte de fée. Pour moi, il s'agit ni plus ni moins que d'un chef-d'œuvre du cinéma d'animation, l'un des plus beaux (étonnante désaturation des couleurs). Je reste du début à la fin époustouflé par la qualité du travail des animateurs, plein de sensibilité et d'expressivité dans leur manière de saisir de simples gestes anodins, de faire naître l'émotion dans un regard, avec une subtilité qui ne doit rien aux excès du cartoon. Okirua parvient à totalement transcender les limites de l'animation, s'approchant d'une sensation de réalisme inouïe, tout en livrant un film qui ne pourrait exister qu'en dessin animé. Et si ça ne suffisait pas, tout cela est encore rehaussé par la splendide musique d'Hajime Mizoguchi, violoncelliste complice de Yoko Kanno, notamment sur la mémorable bande son d'EscaflowneMême si son retentissement à été moindre, tout concourt donc à faire de ce Jin-roh un long métrage d'exception, une date dans l'animation japonaise au même titre que le furent en leur temps Akira et Ghost in the shell.




Momo e no tegami (Lettre à Momo), 2012
C'est donc peu de dire qu'après ce coup d'éclat j' attendais Okiura au tournant. Nouvelle preuve de son exigence inhumaine, il aura tout de même fallu attendre treize ans avant de le voir finaliser son film suivant, ce Lettre à Momo qui reste encore à ce jour son dernier long-métrage. Ne sachant absolument pas le genre de film qui allait se dérouler ici sous mes yeux, je me suis donc gentiment laissé embarqué par ce récit en apparence toute simple, qui prend son temps pour installer ses personnages, au cœur de cette île hors du monde, hors du temps, où il va s'agir de se retrouver, de se reconstruire.

On retrouve d'emblée la patte du réalisateur, ce perfectionnisme incroyable dans sa technique (animation ultra-réaliste, finesse des décors), et la profonde subtilité dont il sait faire preuve lorsqu'il s'agit de restituer les émotions complexes de ses personnages. Sans doute ce qui justifie qu'il mette autant de temps à fabriquer ses films. Il est d'ailleurs ici auteur complet, puisqu'il signe seul ce scénario aussi original qu'imprévisible.

L'histoire parvient à se montrer à la fois grave — il est quand même question de deuil — et légère, avec cette irruption d'un fantastique qui n'a rien de lisse, tantôt grotesque, tantôt dérangeant. On rit donc souvent des facéties de ces yokaïs un peu irresponsables, du jeu de cache-cache imposé à Momo, et on est également ému par les enjeux qui se dévoilent petit à petit, l'absence totale de mièvrerie et la sincérité de l'auteur dans l'histoire qu'il raconte. Le réalisateur a également le bon goût de ne pas céder aux facilités du spectaculaire, alors qu'il en aurait la possibilité, nous offrant néanmoins un climax assez dément au cœur d'un typhon, où tous les éléments se déchaînent avec autant de folie que de drôlerie. Jusqu'à un final qui réussi à surprendre encore et à faire monter les larmes. Bref, un bijou qui me fait dire que si Okiura doit à chaque fois mettre autant de temps pour faire un film, au vu d'un tel résultat je ne lui en veux pas trop.

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