31 octobre 2017

Le Cinéma de George Cukor VIII. 1976-1982

The Blue bird (L'Oiseau bleu), 1976
Cette nouvelle adaptation de la pièce de Maeterlinck, plusieurs fois portée à l'écran, se veut particulièrement ambitieuse : rare exemple de coproduction américano-soviétique, casting de stars et réalisateur de prestige. Mais Cukorqui pensait peut-être trouver là l'opportunité de rattraper l'occasion manquée du Magicien d'Ozéchoue vraiment maladroitement à susciter un peu de la féérie attendue. Alors certes, au milieu d'une distribution majoritairement russe, on croise Liz Taylor dans un quadruple rôle, Jane Fonda en Reine de la Nuit, Ava Gardner en Reine de la Luxure, Cicely Tyson en vilaine chatte, ainsi que la toute mimi Patsy Kensit dans un de ses premiers rôles, mais l'action est décidément trop molle pour nous embarquer.

La mise en scène de Cukor est d'une grâce pachydermique, nous baladant entre forêt moisie et décors dignes d'un dimanche chez Jacques Martin. Les quelques chansons sont plutôt mauvaises et on a l'impression que la production a oublié de doubler ses acteurs tellement ceux-ci sont pénibles à entendre. Et que dire des quelques chorégraphies, complétement grotesques ? Pourtant signés Edith Head, le style des costumes n'est pas des plus heureux et il est assez difficile de ne pas pouffer devant tant de fautes de goût, alors qu'on devine de sincères prétentions à la rêverie. Curieusement, la conclusion parvient à faire un peu naître l'émotion, enfin débarrassée de tout ces personnages mal fichus. Bref, voilà un spectacle bien embarrassant à mettre sur le compte d'un réalisateur qu'on aurait pu définitivement croire en bout de course. Il va pourtant nous offrir un dernier et beau sursaut.




Rich and famous (Riches et célèbres), 1982
On peut avoir un peu de mal à associer Cukor aux années 80, et il est vrai que son film précédent n'incitait pas à la confiance. Mais ce serait dommage de passer à côté de ce très beau film. Si Rich and famous peut paraître anachronique c'est uniquement par rapport au cinéma d'aujourd'hui, où j'en viens presque à trouver rafraîchissant d'avoir affaire à un film adultepour adultes, mais produit par Hollywood et qui ne cherchait aucunement à relever de l'exception. Ce double portrait de femmes dans la quarantaine est construit comme une fable existentielle subtile et profonde, qui interroge l'importance et la solidité de certains liens — amicaux et amoureux — face au temps, face aux espoirs que l'on porte en soi, aux rêves éventuellement accomplis et à la rançon du succès. Et grâce au naturel de l'interprétation, le scénario évite le côté trop mécanique du conte moral, ni ne cède aux facilités de la comédie. Il est à la fois distrayant et soucieux d'être juste avec ses personnages ; qu'ils soient d'ailleurs hommes ou femmes, les personnages masculins bénéficiant d'une caractérisation pleine de sensibilité. Le film semble même en avance sur son temps en montrant des femmes qui réussissent mais sans jamais que ce soit l'occasion d'une quelconque revendication féministe (c'est pas Working girl). Si elles se battent, c'est contre leurs propres limites et exigences, pas contre un système d'oppression.


Pour faire ces portraits de femmes, il est évident que Cukor est à sa place, et on ne regrettera pas l'éviction de Robert Mulligan qui avait démarré le projet pour la MGM. Malgré l'âge vénérable du réalisateur, sa mise en scène ne manque pas de vivacité, et c'est d'autant plus remarquable que le matériau de départ est une pièce de théâtre (déjà portée à l'écran dans les 40's avec Bette Davis), donc propice aux scènes de dialogue en intérieur. Mais dans ce film où il est surtout question de regards — regard des autres, regard sur soi à travers les autres — Cukor témoigne d'une vraie attention aux mouvements (avec comme d'habitude une façon de découper le plan à l'intérieur du plan) et au rythme, aussi à l'aise dans les duos que dans les scènes de groupe, et même étonnamment sensuel lors de scènes de sexes très différentes dans ce qu'elles expriment. Il s'agit toujours de se mettre au diapason des émotions des personnages, c'est-à-dire de ses actrices, et c'est peu de dire que l'alchimie est réussie.

Sans même évoquer sa beauté, l'interprétation pleine de naturel de Jacqueline Bisset est extraordinaire, composant un personnage touchant, complexe, donc profondément humain. J'ai toujours bien aimé Candice Bergen, mais son jeu est peut-être un peu plus forcé. Il faut dire qu'elle écope d'un personnage comparativement moins aimable, obsédé par le paraître et la réussite sociale. Cependant, le film a beau donner l'impression qu'il épouse davantage le point de vue de Bisset, on est amené à se demander si son sort est tellement enviable, en écrivaine dont l'exigence rime avec impuissance. Son talent la rendrait presque prétentieuse s'il n'aboutissait pas à une panne d'inspiration, et elle enragera de voir que sa copine parvient elle, presque sans effort, à toucher le grand public. Les deux amies sont ainsi dans un rapport d'admiration teinté de jalousie, refusant de voir que chaque médaille a son revers, et qu'au final l'insatisfaction règne des 2 côtés. Et ce qui est beau c'est que le film n'a aucunement la prétention de résoudre ce dilemme, proposant une conclusion apaisée. Et cette note finale, chaleureuse, fait qu'on sort dans un état vraiment agréable. Surtout que je n'ai pas mentionné la splendide partition romantique de Delerue, qui là encore me fait regretter la disparition de ce type de compositions au cinéma.



DOSSIER GEORGE CUKOR : 


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