8 novembre 2017

Better call Saul, 2015-2017

Better call Saul, 2015-2017
Une série créée par Vince Gilligan et Peter Gould
3 saisons de 30 épisodes
Avec : Bob Odenkirk, Rhea Seehorn, Michael McKean, Jonathan Banks, Patrick Fabian...


Après le quasi sans-faute de Breaking bad, l'annonce d'une série dérivée consacré à l'avocat ripou Saul Goodman n'avait soulevé en moi aucun enthousiasme. Certes, ce personnage secondaire ne manquait pas de panache au sein des aventures de Walter White, mais de là à lui développer son propre show... Pour tout dire, j'imaginais quelque chose relevant plutôt du gadget, un truc vite torché, opportuniste, pour surfer sur la vague tant qu'elle est haute, tenant plus de la web-série qu'on aurait confié à une seconde équipe. Quelques surprenants échos positifs autour de moi ont quand même réussi à m'y faire jeter les deux yeux. Et c'est peu de dire que j'en fus bien avisé. La qualité d'écriture, d'interprétation et de fabrication m'a tellement impressionné que je n'hésite pas à placer ce show parmi les meilleures productions télévisuelles que j'aie pu voir ces dernières années. 

Le concept de spin-off dans le monde des séries n'est pas nouveau (Super Jamie, Star trek, Hélène et les garçons, Boston justice...). Mais parfois la série originelle a apporté tellement de satisfaction que le simple fait d'envisager de la prolonger apparaît comme une mauvaise idée, propre à susciter la désapprobation des fans là où le studio pensait au contraire pouvoir compter sur eux (quelqu'un se souvient de Joey ?). Au vu de son peu d'écho, je reste persuadé que Better call Saul pâtit de succéder à l'excellence de Breaking bad, et c'est bien dommage. Premier élément rassurant : Vince Gilligan et Peter Gould, créateurs de Breaking bad, sont pleinement impliqués. Gilligan réalise plusieurs épisodes, dont le pilote. Et on se rend compte qu'ils en ont encore pas mal sous le pied. Même si l'essentiel du récit se déroule à Albuquerque, on nous épargne les clins d'œil trop faciles à des situations ou des personnages vus ailleurs. Better call Saul, c'est donc Saul Goodman origins, et c'est passionnant.



Chaque épisode témoigne d'un vrai soin de réalisation, avec des cadrages et un éclairage très sophistiqués (je me retiens d'écrire "très cinématographiques") : personnages souvent filmés de loin, perdus dans les lignes du décor, goût pour la photographie sous-exposée, et puis ces plans signatures qu'on trouvait aussi dans Breaking bad lorsque la caméra filme depuis l'intérieur d'un coffre, d'un lave-linge ou même d'un taille-crayon. De même cette façon de caractériser les personnages par leurs véhicules, souvent récalcitrants. On sent les réalisateurs à la barre toujours soucieux de composer un environnement crédible par le choix des décors très pittoresques du Nouveau-Mexique. Enfin, il y a une gestion du rythme vraiment intéressante, tantôt nonchalant, en accord avec l'atmosphère pesante d'ennui d'Albuquerque, tantôt plein de tension lorsqu'il s'agit de montrer la dangerosité de la pègre ou l'efficacité jubilatoire de Mike dans ses rapports avec cette dernière. Concentrée sur seulement 10 épisodes, chaque saison prend son temps sans pour autant donner l'impression de meubler, s'offrant de réguliers flashbacks et développant des situations qui n'ont pas vocation à nourrir directement l'intrigue principale, mais plus simplement à étoffer l'univers et compléter le portrait des personnages. Ce refus de la surenchère, démonstration tranquille d'un talent à tous les niveaux et d'une vraie confiance dans la force du récit et l'épaisseur de ses personnages, parvient miraculeusement à nous épargner l'ennui. Il y a un vrai suspense pour maintenir l'intérêt, mais qui, à quelques exceptions bien légitimes, ne repose pas vraiment sur les artifices habituels du feuilleton. 


On se retrouve dans la position impudique du spectateur qui assiste douloureusement au parcours tragique de personnages dépeints dans toute leur complexité. Leurs relations sont développées avec beaucoup d'intelligence, en particulier celle particulièrement touchante entre Saul et sa copine Kim, portrait d'une amitié qui n'a rien de convenu. Et le personnage-titre acquiert une profondeur et une humanité qu'on espérait pas, au vu du caractère fantasque qui était le sien dans Breaking bad. C'est évidemment un superbe cadeau pour l'acteur Bob Odenkirk, qui a ici l'occasion de présenter une palette de jeu totalement dingue, convaincant dans les différents âges qu'il incarne, de la juvénilité potache et fragile à la gravité mature. On le voit en effet alterner douloureusement entre les deux versants de son destin, avec d'un côté l'homme ramené à la réalité, qui croit aux secondes chances et qui a le sens de la justice, et de l'autre le fanfaron surdoué. Il se retrouve donc tantôt dans des situations pathétiques, tantôt dans une attitude héroïque, et en tant que spectateur on est complètement pris par le suspense que ça met en jeu, avec des moments relevant carrément de la tragédie, tandis que d'autres semblent revitaliser le genre judiciaire. Même si la drôlerie est souvent présente, on est donc quand même dans quelque chose de pas particulièrement loufoque, et c'est plutôt l'amertume qui domine. Si la performance d'Odenkirk mérite tous les éloges, elle ne fait pas pour autant d'ombre à ses camarades, jouant tous avec une précision épatante qui rend chaque scène dialoguée pleine d'intensité. Et c'est un régal de voir exploiter des acteurs avec autant de ressources, de Rhea Seehorn à Patrick Fabian en passant par le prodigieux Michael McKean (le David St-Hubbins de This is Spinal Tap !).


La saison 2 confirme la qualité d'un show qui a véritablement sa propre histoire a raconter, qui se tient tout seule sans jamais chercher à faire de lourds clins d'oeil à un univers qu'on connaît. Il y en a, certes, mais qui sont simplement logiques, la présence du cartel mexicain obligeant par exemple à ce qu'on recroise certains personnages. La survie devient moteur de l'action, jusque chez les mafieux. J'ai retrouvé intacte la même finesse d'écriture, avec ce héros tantôt génial tantôt pathétique, avocat super compétent mais roublard et dont la profonde nature de baratineur finit presque tragiquement par se retourner contre lui. On assiste à ses efforts pour rentrer dans le rang et atteindre une forme de respectabilité, tout en guettant avec mélancolie les moments où il va se planter. Le protagoniste étant animé au fond de lui d'une profonde bonté, ça n'est du coup jamais comique, et il en devient au contraire formidablement attachant au point qu'on a sincèrement envie de le voir réussir. En parallèle, on suit le parcours de ce bon vieux Mike Ehrmantraut, et pour lui aussi, tout sera question de choix moraux. Et même si j'ai eu le sentiment que ça meublait à mi-saison, avec des séquences qui semblaient là juste pour qu'on n'oublie pas le personnage, c'est quand même raconté avec suffisamment d'idées et de sens du suspense pour qu'on ait toujours envie de le suivre.


Dans la troisième saison, le panache et la drôlerie du protagoniste laissent davantage place à une mélancolie sourde qui rend l'ensemble encore plus touchant. En particulier lors de l'épisode central, entièrement consacré à une audience judiciaire et où on sent Jimmy tout en retenue, conscient qu'il est au pied du mur. Tout ce qui concerne le personnage de Mike et les cartels mexicains reste intéressant, mais c'est peut-être un peu moins bien intégré au parcours propre à Jimmy (et d'ailleurs Mike est pratiquement absent sur la fin). Le plus jubilatoire étant sans doute cette volonté de laisser toujours dans l'ombre le spectateur par rapport aux idées et stratégies de ces personnages. On suit leur mise en place méticuleuse au cours de scènes pensées comme des pièces de puzzle, incapable d'anticiper ce que ça va donner et savourant à l'avance la surprise.





Les génériques sont assez marrants, avec leurs effets vidéo au mauvais goût assumé et le côté pas fini balancé à la gueule du spectateur :

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