28 février 2017

Deux (excellents) romans australiens

Christos Tsiolkas, La Gifle, 2008
Gros uppercut dans la face. Une mise à nu impitoyable de la société d'aujourd'hui à travers un portrait de groupe. Même si ça se passe en Australie et que ça évoque de front la culture et l'état d'un pays qui a ses spécificités (l'émigration, les aborigènes), c'est un roman qui résonne sans problème au-delà de ces frontières. Tsiolkas nous fait assister sans pudeur à la façon dont les faux-semblants qui lient les personnages vont brutalement tomber. Le déclencheur, c'est ce geste qui donne son titre au livre, qui apparaît à la fois comme un dérapage et un moment de vérité. La jalousie, les mensonges, les mesquineries mais aussi l'amour vont alors entrer dans la danse, entre lutte des classes et conflits de génération.

C'est à la fois très cru dans l'écriture et très acéré dans la capacité qu'a l'auteur de nous faire accéder au cœur de ses personnages. Et derrière la rage, l'émotion parvient encore à surgir, lorsqu'il s'agira notamment d'explorer le présent un peu en marge des aînés comme des enfants (tout le roman alterne entre les différentes voix qui l'habitent). La Gifle prend ainsi des allures de fresque incroyablement puissante. Devenu best-seller en ses terres, le roman a inspiré en 2011 une mini-série qui fit l'événement en Australie, avant d'être réadaptée aux États-unis.



Karen Viggers, La Mémoire des embruns, 2011
On aurait tort de s'arrêter à sa couverture et son titre peu engageants (le titre VO, The Lightkeeper's wife n'étant pas plus attirant), qui m'évoqueraient plutôt une édition France loisirs pour mémés. Je ne l'ai pas fait et j'ai ainsi eu droit à une vraie et belle surprise. La Mémoire des embruns est un premier roman, particulièrement plaisant parce qu'on sent que l'auteur y a mis beaucoup d'elle-même (donc une œuvre personnelle), sans pour autant perdre de vue le goût du romanesque (donc pas complaisante). Certes, le début semble annoncer des enjeux plutôt balisés. Viggers nous présente un personnage de vielle femme au bord de sa vie, qui se retrouve soudain contrainte de reporter son regard sur un passé qu'elle a longtemps voulu taire. 

Et puis on se retrouve progressivement emporté par un sens de l'atmosphère aussi convaincant que dépaysant. La romancière nous promène en effet entre la côte australienne désolée, où les insulaires vivent en autarcie, et le grand froid de l'Antarctique. Et elle en parle évidemment d'expérience, ayant elle-même mené plusieurs missions sur le continent. Ainsi, en plus d'une histoire pleine de sensibilité et d'un suspense plutôt bien géré, on est aussi complétement pris par le talent de l'auteur pour nous immerger dans ses paysages. On sent véritablement le vent qui souffle sur ces pages, et toutes les forces de la Nature à l'œuvre. Le roman s'avère très adroitement construit, prenant son temps sans pour autant s'attarder sur des éléments inutiles, et l'on en vient à partager de très près toute la complexité et la profondeur de personnages pleins de vie. Captivant et même assez mémorable.

4 commentaires:

Véronique Hottat a dit…

J'avais emprunté par hasard La Mémoire des embruns à la bibliothèque, pas convaincue d'avance par la couverture et le début du roman. Et puis le charme a totalement fonctionné, et je l'ai beaucoup aimé en final.

Pas encore lu Christos Tsiolkas (très cru et cynique, il ne fait pas dans la dentelle, faut bien choisir son moment pour le lire je pense) mais j'ai vu la série (je ne sais plus laquelle, australienne ou américaine), qui était très bien.

Unknown a dit…

Lu les deux romans avec une préférence très nette pour la Mémoire des embruns !

Elias FARES a dit…

Les deux bouquins n'ont effectivement de commun que leur nationalité. Mais c'est vrai qu'ils laissent tous deux une empreinte assez forte.

Tsolkias sait être cru, mais son roman ne se résume vraiment pas à cet aspect loin de là, et retrospectivement je n'y vois nul cynisme mais bien plutôt la recherche d'une forme d'honnêteté dans ses portraits de personnages. Et c'est vraiment bien écrit.

E.

Véronique Hottat a dit…

Je comprends ce que tu veux dire. Il vaut mieux parler de portraits sans concession que de cynisme à proprement parlé.