Slaloms, 1993
Ma première rencontre avec Lewis Trondheim coïncide avec la lecture de mon tout premier Psykopat au début des années 90. J'y avais déjà été bien estomaqué par le graphisme punk de Mattt Konture qui y promenait son Ivan Morve, mais c'est surtout l'épatant et diablement efficace concept des cases photocopiées du Dormeur qui m'avait marqué. Celui qui ne signait encore que Lewis y révélait déjà son goût pour les contraintes, ainsi que son talent de dialoguiste. Quelques années plus tard, la découverte de Slaloms, avec sa couverture au graphisme aussi sobre que classe, fut une révélation. Je devenais instantanément fan de ce dessin à l'apparence fragile mais qui semblait n'avoir peur de rien, et de cet humour caustique au service d'un récit qui ne manquait pas de rigueur. Voilà une bande dessinée qui ne cherchait pas à respecter un quelconque genre, et qui parvenait à me faire rire à partir d'anecdotes que j'aurais pu moi-même raconter.
Trondheim est ainsi devenu un des auteurs qui a le plus compté pour moi, me révélant qu'une autre forme de bande dessinée était possible. Une bande dessinée qui sortait des canons tant graphiques que scénaristiques. Je découvrais qu'on pouvait dessiner de façon relativement simple, sans formation académique, qu'on n'avait pas besoin d'envoyer ses héros explorer des planètes hostiles, et que l'aventure pouvait aussi s'inspirer de notre environnement le plus proche, entre autobiographie et histoires de potes.
La découverte de ses premiers bouquins, concomittente à ceux de L'Association représenta donc à mes yeux une vrai révolution, et j'en viens presque à considérer cette époque comme un âge d'or. Du chemin a en effet été parcouru depuis, et cette nouvelle approche de la bande dessinée a pour le meilleur comme pour le pire contaminé le marché dit traditionnel de l'édition (de Dargaud à Casterman, tout le monde s'est mis à proposer sa collection de BD d'auteur), jusqu'à l'incontestable reconnaissance en 2006 lorsque Trondheim reçu le Grand prix de la ville d'Angoulême. Ce fut pour moi un vrai bonheur à cette époque de voir régulièrement de nouveaux titres fleurir les présentoirs des librairies, du jubilatoire Mildiou à l'extraordinaire feuilleton des formidables aventures de Lapinot.
Ma première rencontre avec Lewis Trondheim coïncide avec la lecture de mon tout premier Psykopat au début des années 90. J'y avais déjà été bien estomaqué par le graphisme punk de Mattt Konture qui y promenait son Ivan Morve, mais c'est surtout l'épatant et diablement efficace concept des cases photocopiées du Dormeur qui m'avait marqué. Celui qui ne signait encore que Lewis y révélait déjà son goût pour les contraintes, ainsi que son talent de dialoguiste. Quelques années plus tard, la découverte de Slaloms, avec sa couverture au graphisme aussi sobre que classe, fut une révélation. Je devenais instantanément fan de ce dessin à l'apparence fragile mais qui semblait n'avoir peur de rien, et de cet humour caustique au service d'un récit qui ne manquait pas de rigueur. Voilà une bande dessinée qui ne cherchait pas à respecter un quelconque genre, et qui parvenait à me faire rire à partir d'anecdotes que j'aurais pu moi-même raconter.
Trondheim est ainsi devenu un des auteurs qui a le plus compté pour moi, me révélant qu'une autre forme de bande dessinée était possible. Une bande dessinée qui sortait des canons tant graphiques que scénaristiques. Je découvrais qu'on pouvait dessiner de façon relativement simple, sans formation académique, qu'on n'avait pas besoin d'envoyer ses héros explorer des planètes hostiles, et que l'aventure pouvait aussi s'inspirer de notre environnement le plus proche, entre autobiographie et histoires de potes.
La découverte de ses premiers bouquins, concomittente à ceux de L'Association représenta donc à mes yeux une vrai révolution, et j'en viens presque à considérer cette époque comme un âge d'or. Du chemin a en effet été parcouru depuis, et cette nouvelle approche de la bande dessinée a pour le meilleur comme pour le pire contaminé le marché dit traditionnel de l'édition (de Dargaud à Casterman, tout le monde s'est mis à proposer sa collection de BD d'auteur), jusqu'à l'incontestable reconnaissance en 2006 lorsque Trondheim reçu le Grand prix de la ville d'Angoulême. Ce fut pour moi un vrai bonheur à cette époque de voir régulièrement de nouveaux titres fleurir les présentoirs des librairies, du jubilatoire Mildiou à l'extraordinaire feuilleton des formidables aventures de Lapinot.
Venezia, 2001-2002
Avant de se retrouver sur ce diptyque, Fabrice Parme
(dessin) et Trondheim (scénario)
signaient déjà ensemble les albums du sympathique Roi Catastrophe. Alors que ce dernier était avant tout destiné aux
enfants, cette nouvelle série est un joyeux délire d'adulte situé dans la
Venise des Doges du XVIe siècle. Entre ses murs, il n'y a pas que l'eau qui
coule, on y ourdit aussi de sombres complots internationaux. C'est ainsi que
deux espions concurrents s'y retrouvent, Herr Pintorello, envoyé de Charles Quint,
et Signorina Cantabella, émissaire de la France, tous deux, bien sûr, sous des
identités secrètes. Leur première rencontre va suffisamment mal se passer
(aucun des deux ne veut céder sa gondole à l'autre !) et placer très vite leurs
relations sous le signe de la vanne et des coups bas.
L'auteur des Cosmonautes du futur imagine ici avec un
réel bonheur les aventures rocambolesques de ces deux espions dans lesquelles
les éléments de comédie sont parfaitement soutenus par les enjeux de
l'intrigue, le tout sur un rythme délicieusement trépidant. On n'est pas loin
des comédies américaines (période Howard Hawks/Cary Grant), pleines de
quiproquos redoutables. Et c'est un véritable festival de répliques hilarantes,
de jeux de mots éhontés et de burlesque échevelé qui ne cesse pas avant la
dernière case. Graphiste hors-pair, Parme possède un trait incroyablement dynamique, proche du
cartoon, et le maîtrise avec une impressionnante perfection. De plus les histoires savent faire un minimum de place aux aspects
historiques, en évitant la facilité de l'anachronisme. Cette série est nourrie
d'une inépuisable richesse d'inspiration qui ne peut qu'emballer le lecteur, et Trondheim s'y révèle le digne héritier de Goscinny. Le duo poursuivra par la suite sa féconde collaboration sur Panique en Atlantique, une mémorable aventure de Spirou.
Les Petits riens, 2006-2015
On pourrait croire que
Trondheim avait fait le tour en matière de bande dessinée autobiographique et pourtant il parvient
encore à surprendre. Comparé à ses Carnets de bord précédemment publiés chez L'Association, il s'impose ici une
construction sous forme de vrais gags en une page, prépubliés sur son blog. Et si son dessin se réclame toujours du carnet de croquis fait sur le vif et sans retouche, le résultat apparaît beaucoup plus soigné, proposant même de superbes planches grâce à sa mise en couleurs directes. Son talent pour l'autodérision et l'observation des petits riens du
quotidien est décidément intact, et j'ai été vraiment impressionné de constater
page après page à quel point il parvenait encore à se montrer surprenant et drôle.
Si les deux-trois premiers tomes sont vraiment très agréables, j'ai cependant trouvé l'inspiration plus inégale, moins pertinente sur les suivants, abandonnant parfois la contrainte de la chute pour le simple partage d'impressions. Dans cette veine autobiographique à visée humoristique, je pense que Trondheim n'égalera sans doute jamais Approximativement, recueil publié par Cornélius en 1995. Sans doute parce que c'était la première fois que je le
voyais se prêter à cet exercice et que ce bouquin a longtemps incarné pour moi la bande dessinée idéale.
Île Bourbon 1730, 2007
À l'instar de son frère d'armes Joann Sfar, la productivité de Trondheim, de qualité franchement dans la
moyenne haute, avait presque fini par banaliser son talent. Les titres
sortaient et je suivais le rythme, content mais, à quelques exceptions, sans
plus de passion. Île Bourbon 1730 c'est un peu la claque que je n'attendais
plus, véritable aboutissement de toute l'œuvre qui précède. Fabuleusement
secondé par le scénario richement documenté d'Appollo, Monsieur Trondheim nous
plonge dans une fascinante aventure, où pourtant les vrais héros appartiennent
déjà au passé. C'est la fin de la grande époque de la flibuste, avec pirates
amnistiés et derniers sursauts de brigandage, le tout sur fond de colonialisme et
de traite des Noirs.
C'est donc une bande dessinée extrêmement ambitieuse, et parfaitement maîtrisée, portée par un récit assez imprévisible que j'ai trouvé franchement passionnant, prenant qui plus est le risque d'un très grand nombre de personnages. Le ton oscille pour sa part entre un humour typiquement trondheimien et une gravité propre à la révélation de certains faits d'Histoire bien atroces. Je pense que Trondheim avait ici pour volonté de réaliser un vrai manga, avec un découpage magnifiquement aéré, profitant également à fond de ses nombreux voyages et croquis effectués sur l'île de La Réunion pour recréer une terre et une jungle bluffantes de vérité. Et en même temps son dessin est bien plus relâché que d'habitude, et l'on sent qu'il a pris du plaisir à cette liberté du trait. Le passage qui m'a peut-être le plus enthousiasmé met en scène sur une cinquantaine de pages (!) une chevauchée au milieu de la forêt. C'est purement graphique et pourtant ça raconte quelque chose. Il n'y a que la fin que je trouve un peu abrupte. Les nombreuses situations exposées semblaient en attente d'une ultime résolution, or on passe directement à un épilogue qui manque un peu de force. Mais bon, ce bouquin est pas loin de toucher au génie.
C'est donc une bande dessinée extrêmement ambitieuse, et parfaitement maîtrisée, portée par un récit assez imprévisible que j'ai trouvé franchement passionnant, prenant qui plus est le risque d'un très grand nombre de personnages. Le ton oscille pour sa part entre un humour typiquement trondheimien et une gravité propre à la révélation de certains faits d'Histoire bien atroces. Je pense que Trondheim avait ici pour volonté de réaliser un vrai manga, avec un découpage magnifiquement aéré, profitant également à fond de ses nombreux voyages et croquis effectués sur l'île de La Réunion pour recréer une terre et une jungle bluffantes de vérité. Et en même temps son dessin est bien plus relâché que d'habitude, et l'on sent qu'il a pris du plaisir à cette liberté du trait. Le passage qui m'a peut-être le plus enthousiasmé met en scène sur une cinquantaine de pages (!) une chevauchée au milieu de la forêt. C'est purement graphique et pourtant ça raconte quelque chose. Il n'y a que la fin que je trouve un peu abrupte. Les nombreuses situations exposées semblaient en attente d'une ultime résolution, or on passe directement à un épilogue qui manque un peu de force. Mais bon, ce bouquin est pas loin de toucher au génie.
Ralph Azham, 1. Est-ce qu'on ment aux gens qu'on aime ?, 2011
Je n'étais pas particulièrement enthousiasmé par le choix de Trondheim d'éparpiller son inspiration sur une nouvelle série d'heroic fantasy en parallèle de Donjon. Bien que prépubliée dans Spirou, Ralph Azham frappe par son ambition d'un récit plutôt mature et sombre. Avec ce premier tome, Trondheim pose son
univers et fait démarrer doucement la quête de son protagoniste. Celui-ci est
un paria un peu couard mais à la langue bien trempée qui rappellera inévitablement d'autres
héros trondheimiens, au premier rang desquels le Herbert de Donjon Zenith.
Les ingrédients conviés sont relativement des classiques du genre, mais
l'ensemble dégage un étrange sentiment de mélancolie et de douleur, que
viennent tenter de dissiper des répliques toujours aussi percutantes.
À ce stade, je ne
manifeste pas un emballement total pour l'histoire, mais visuellement
c'est un régal pour les yeux. Tout ce tome se déroule dans le même
environnement, donc on pourra trouver ça un peu répétitif mais on sent que
Trondheim dessine ses décors avec amour. Le découpage est toujours aussi enlevé
et je retiens tout particulièrement le merveilleux travail sur les couleurs
faites à la main par Brigitte Findakly. Ça crée de superbes ambiances bien
dramatisées qui a elles seules suffisent à dépayser le lecteur de Donjon. Ce premier album se finit quand même
correctement pour ne pas trop frustrer, tel un vrai premier chapitre. Tout peut
ensuite arriver donc je reste curieux de la suite, ignorant sur quelle lancée
souhaite partir l'auteur, mais un peu intimidé par la quantité de tomes déjà sortis.
Capharnaüm, 2015
Une bande dessinée jubilatoire par sa façon de tantôt détourner, tantôt assumer les clichés du récit d'espionnage. J'ai été emporté par les personnages pittoresques, les situations surprenantes, les dialogues hilarants, qui témoignent d'une qualité d'inspiration jamais prise en défaut jusqu'à la fin. Une fin
évidemment frustrante puisqu'il s'agit d'un récit laissé inachevé en 2005 par l'auteur.
Mais on le sait d'entrée de jeu, et on pourra considérer que cela fonctionne un peu comme le final diabolique de Lapinot et les
carottes de Patagonie. L'intrigue feuilletonesque aurait pu ici aussi continuer
indéfiniment à multiplier les rebondissements, or ce qui compte c'est moins la
résolution de cette intrigue que les trouvailles scénaristiques.
Le plus dingue, c'est qu'on a à la fois l'impression d'un récit un peu jazzy qui s'improvise mais aussi d'une intrigue solide où chaque élément du puzzle semble trouver parfaitement sa place. C'est peut-être tout simplement la preuve supplémentaire de la maîtrise qu'a Trondheim de son métier. Et en plus de cette qualité narrative, se devine un amour du dessin qui transpire de chaque planche, tant dans la mise en scène super ambitieuse que dans le goût du détail avec cette ville représentée sous tous les angles avec sa foule et ses quartiers qui semblent vraiment vivre. Et ça, de la part d'un artiste qui a produit autant, c'est un véritable cadeau qui n'a pas de prix. Une œuvre virtuose.
Le plus dingue, c'est qu'on a à la fois l'impression d'un récit un peu jazzy qui s'improvise mais aussi d'une intrigue solide où chaque élément du puzzle semble trouver parfaitement sa place. C'est peut-être tout simplement la preuve supplémentaire de la maîtrise qu'a Trondheim de son métier. Et en plus de cette qualité narrative, se devine un amour du dessin qui transpire de chaque planche, tant dans la mise en scène super ambitieuse que dans le goût du détail avec cette ville représentée sous tous les angles avec sa foule et ses quartiers qui semblent vraiment vivre. Et ça, de la part d'un artiste qui a produit autant, c'est un véritable cadeau qui n'a pas de prix. Une œuvre virtuose.
3 commentaires:
Bonjour Elias,
je lis régulièrement tes billets et je suis toujours impressionnée par leurs qualités: quantité d'informations pertinentes dans un style très agréable et j'aime lire ton avis/ressenti personnel sur les œuvres que tu n'essaies pas d'ériger au rang de savoir universel et incontestable.
Concernant ce billet sur Trondheim il tombe parfaitement: je ne le connais que via son blog et ne savait pas trop par quoi attaquer son oeuvre impressionnante ... je vais suivre tes conseils avisé :) Merci! Ça valait un commentaire!
Gaëlle B. (sœur d'Aymeric B.)
Hey salut Gaëlle, very long time no see... Content à la fois d'avoir de tes nouvelles et de savoir que tu apprécies le contenu que je propose ici !
Effectivement, une première approche de Trondheim peut-être intimidante. Je pense que sa série des Formidables aventures de Lapinot est parfait pour un démarrage parce qu'elle synthétise son style et son univers. A lire idéalement dans leur ordre de parution.
Bises et amitiés,
E.
Merci je vais suivre ce bon conseil et je pense que mes filles peuvent y trouver leur compte aussi! Direction médiathèque!
Effectivement ça fait un bail, Contente que tu te souviennes de moi, je vous adresse mes meilleurs vœux pour toi et ta petite famille (convenu mais sincère).
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