16 janvier 2016

American independant comics

Seth, Palooka-Ville, 1991-1996
Si vous êtes sensible à l’autobiographie en bande dessinée, vous serez comblé par ces pages d’une rare élégance, et par ce trait qui n’est curieusement pas sans rappeler celui des Dupuy-Berberian. C'est que ces trois auteurs s'abreuvent à la même source graphique, celle des grands illustrateurs américains du New Yorker. Seth, lui, est Canadien. Palooka-Ville est le nom du comic book qu’il publie depuis 1991. Il y a un paquet d'années maintenant, je l'avais découvert avec It's a good life if you don't weaken, recueil qui en compilait les numéros 4 à 9 (paru ensuite chez nous dans la chouette collection Tohu-bohu des Humanos sous le titre La Vie est belle malgré tout). 

À la fois quête existentielle pleine de délicatesse et ode poignante à l'âge d'or de la bande dessinée, ce roman graphique est instantanément devenu un livre de chevet, du genre qui se rappelle à vous régulièrement, qu’on va se mettre à feuilleter, comme ça, parce que l’envie nous prend, et puis, sans qu’on s’en soit rendu compte, l’heure aura filé, le jour aura pris une couleur différente. Nostalgique inconsolable, Seth semble tout aussi préoccupé par l’idée de faire revivre son propre passé, en nous faisant partager le regard qu’il y porte. Il nous offre un fragment de son existence. Le résultat est touchant, drôle parfois, sensible toujours.




Chris Ware, Jimmy Corrigan the smartest kid on Earth, 1995-2000
Attention, chef-d’œuvre ! On tirera son chapeau à Delcourt qui a ici particulièrement soigné son édition pour la version française, offrant à ce monument de la bande dessinée américaine, donc mondiale, l'écrin qu'il mérite. Chris Ware s'est en effet doucement fait connaître avec son comic book Acme Novelty Library, dont chaque livraison s’affichait sous un format différent, mis en page avec une maniaquerie maladive. 

Le pavé dont il est ici question reprend l’intégralité des épisodes consacrés à Jimmy Corrigan, attachant loser des temps modernes. Impossible de résumer un récit naviguant entre grotesque pathétique et non-sens absolu, et dont l’ironie est magnifiquement servie par un graphisme proche du dessin industriel, gros trait de contour, aplats de couleurs, persective rigoureuse, bourré de références visuelles qui rappellent les illustrés 1900. Le résultat est à la fois impressionnant par la somme de travail qu'il implique que par la richesse de la peinture des personnages, impitoyablement et profondément creusés. Si les extra-terrestres existent, Ware prouve incontestablement avec cet étrange objet qu’il en est un.




Adrian Tomine, Les Yeux à Vif, 1998
En version originale, Optic Nerves est d’abord paru en 1998 chez le précieux éditeur montréalais Drawn & Quarterly, hôte des non moins précieux Seth, Chester Brown ou encore Joe Matt. Contrairement à ces collègues, l’inspiration d’Adrian Tomine n’est cependant pas autobiographique, en tous cas pas essentiellement. On le devine, certaines anecdotes ont incontestablement un parfum de vécu. Mais un vécu qui pourrait appartenir à chacun d’entre nous. Parce que les personnages de Tomine vivent dans la même réalité que nous, pas particulièrement spectaculaire, capable parfois de se révéler absurde ou capricieuse. 

Les douze récits de longueur variable qui composent ce recueil ont le charme des nouvelles de J.D. Salinger où l’attention est portée sur les détails. Ici c’est surtout le hors-champ et le non-dit qui sont chargés de sens. Pas de morale, pas de psychologie. Tout est suggéré avec une délicatesse si juste qu’elle impressionne, au même titre que la maturité de l’observation de l’auteur qui connaît manifestement bien les errements de l’âme humaine. Ses personnages ne sont jamais loin de l’enfance, entre l’envie de s’affirmer et la peur de se perdre, dans un entre-deux qui les déchire. La jeunesse en passe d’appartenir définitivement au passé, sans avoir été forcément heureuse et insouciante, acquière alors une valeur qu’on ne lui souhaitait pas, face à un présent promis à une perte encore plus grande. Si l’humour ne peut avoir ici qu’une place négligeable (on ne rit que jaune), le bouleversement que procure la lecture n’en est que plus vrai. On ressort de ces histoires touché au coeur par le destin des personnages. On ne se lasse pas de reparcourir cet ouvrage pour les retrouver. C’est comme si, à travers ces pages, ils nous avaient fait don de leur intimité. En retour on voudrait pouvoir les aider, leur faire savoir qu’on les aime.

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