29 janvier 2016

Ode à Hermann

Comanche, 1969-1983
Né en 1938, Hermann fait son entrée officielle dans le milieu grâce à Greg, un pilier de la bande dessinée franco-belge qui, à l'instar d'un Goscinny (pour Pilote) ou d'un Raoul Cauvin (pour Spirou) a scénarisé à tour de bras, formant ainsi de nouvelles générations d'auteurs. Après quelques bouts d'essais pour Le Journal de Tintin (courts récits du genre Oncle Paul), Hermann se voit donc confier par Greg sa première véritable série : Les Aventures de Bernard Prince

Puis c'est Comanche, un western dont le rôle-titre est tenu par une femme, farouche propriétaire de ranch. Au départ fortement influencée par le style de Giraud, le prolifique Hermann va véritablement y prendre ses marques. La série commence de manière traditionnelle avant de trouver un ton progressivement plus adulte. Hermann parvient à imposer de plus en plus sa personnalité sur les histoires, avec son goût pour les personnages désabusés (ici, le cowboy Red Dust). 




Jeremiah, 1979-2015
Il lui faudra un certain courage pour s'affranchir définitivement de la tutelle de Greg. Formé à bonne école, l'artiste a trouvé sa voix et ne craint plus d'assumer désormais seul le scénario. Il se lance ainsi dans sa propre série : Jeremiah. Dans cet univers post-apocalyptique proche de celui illustré la même année par le Mad Max de George Miller, Hermann réinvente les codes du western. C'est une série qui m'est particulièrement chère, qui a notamment donné lieu à de véritables pépites (Un hiver de clown). On s'y plaît à retrouver ces deux antihéros que sont Jeremiah et Kurdy, comme deux vieux copains à nous dont on suit les brouilles et réconciliations, et qui nous permettent de traverser ce monde hostile avec un peu de courage, même si sans réel espoir de voir les choses s'améliorer. 

Hermann s'y révèle dialoguiste génial, et metteur en scène virtuose capable de plonger le lecteur dans un suspense à l'efficacité cinématographique (quitte à tourner à l'exercice de style comme dans Fifty-fifty qui ne raconte finalement rien et n'est qu'une démonstration jubilatoire de la pleine maîtrise de l'auteur). Et derrière le divertissement de l'aventure, la parabole n'est jamais loin, et chaque tome est l'occasion d'une nouvelle dénonciation des lâchetés humaines, des impostures tantôt politiques tantôt religieuses. Si son talent déborde à chaque page, son inspiration ne sera donc pas en reste puisqu'il va réussir à mener de front cette passionnante épopée avec ce que je considère comme une des plus belles créations du neuvième art...




Les Tours de Bois-Maury, 1984-1994
Commencé dans les années quatre-vingt, le premier cycle des Tours de Bois-Maury compte dix albums. Hermann s'y lance un courageux défi : réaliser une grande fresque historique sur le Moyen-Âge, loin des clichés, mêlant l'épique à l'intimiste. Dans chacun de ses opus, il parvient en effet à installer une intrigue totalement prenante. En quelques cases, les personnages et les enjeux qui les animent sont posés, laissant suffisamment de champ à l'imagination du lecteur pour combler les ellipses et les non-dits. Aucun manichéisme, aucun héroïsme déplacé. Nulle volonté d'idéaliser. 

Si le protagoniste est bien Aymar de Bois-Maury, chevalier errant qui rêve de reconquérir ses terres (ici évidemment l'objectif compte moins que le chemin qui y mène), chaque tome porte le nom d'un personnage secondaire, comme s'il s'agissait d'aborder l'histoire par la tranche. On recroise à l'occasion ces destins souvent tragiques, ces portraits d'hommes et de femmes qui aiment, souffrent, vivent et meurent. Nous sommes à l'époque des croisades, de l'ouverture à l'Orient, des pèlerinages, des constructions de cathédrales, toutes ces gloires qu'a retenues l'Histoire en oubliant parfois ceux qui les vécurent en marge. Apothéose de ce parcours, le dernier volet de ce premier cycle, Olivier, est à lui seul une bouleversante expérience de lecture.

Hermann reconstitue ces temps lointains avec un grand soin, tant du point de vue des décors et accessoires que du langage et des modes de vie. Il nous offre ici sans doute un des plus justes témoignages sur cette période faite de boue et de sang. Sa vision me touche finalement davantage que celle proposée avec pourtant le même souci d'authenticité par Bourgeon sur Les Compagnons du crépuscule. Chez Hermann, le trait est plus chaleureux, sensuel même. Son sens du découpage est prodigieux dans les séquences d'action, comme dans les moments de contemplation. La nature y est magnifiée comme rarement, notamment grâce à la mise en couleurs de Fraymond




Sarajevo-tango, 1995
Un tournant se produit en 1994. Écœuré par la guerre qui fait alors rage en Bosnie sous les yeux impuissants d'un Occident bien-pensant, Hermann décide de s'impliquer à sa manière et livre un album comme un cri de colère. Ce sera le one-shot Sarajevo-tango, mélange audacieux de bande dessinée engagée sous des dehors de polar exemplairement mené, qui en plus n'hésite pas à basculer à l'occasion dans la satire. Hermann y change soudainement sa manière de dessiner, passant à la couleur directe appliquée directement sur ses crayonnés. Son style gagne une nouvelle liberté. 

Il conservera cette technique sur toutes ses autres parutions, poursuivant encore aujourd'hui une carrière follement prolifique, même si je l'ai un peu perdu de vue. De nouveaux tomes de Jeremiah paraissent régulièrement, il a relancé un nouveau cycle de Bois-Maury, collabore sur des one-shots en solo ou avec d'autres (son fils Yves H. mais aussi Van Hamme), ce qui donne à l'arrivée facilement une à deux publications par an. La virtuosité du dessin et du découpage est intacte, et les sujet toujours aussi audacieux. Je ne désespérais pas qu'il obtienne enfin un jour le Grand prix de la ville d'Angoulême, consécration plus que méritée même s'il n'est pas du genre à courir après ce genre d'honneurs, bénéficiant déjà des faveurs d'un lectorat fidèle.



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