5 janvier 2016

Quelques romans graphiques

Clément Oubrerie & Marguerite Abouet, Aya de Yopougon, 2005
Une série vraiment chouette adoubée par Joann Sfar. J'adore le trait super vivant et les couleurs très riches de Clément Oubrerie, parfaitement à l'aise dans cette ambiance d'Afrique populaire. L'histoire est toute simple, déroulant le fil de la vie d'une poignée de personnages dans un quartier d'Abidjan. C'est écrit sans prétention, avec humour et justesse. Et ça a encore plus de saveur si on connaît un peu l'Afrique.

Le récit se déroulant dans les 70's, la scénariste y a évidemment mis beaucoup d'elle-même. Elle n'enjolive en rien une certaine réalité sociale, tout en se gardant de verser dans les clichés. Et derrière la caricature, se devine une sincère tendresse pour toute ce petit monde, véritable petit théâtre. Je n'ai, je l'avoue, toujours pas lu les tomes suivants, ni vu le long métrage d'animation qui en a été tiré, mais il y a clairement là matière à une formidable comédie humaine.



Gipi, S., 2006
Je bavais depuis longtemps sur le talent de l'Italien Gipi mais n'en avais encore rien lu. Ce S. fut une bonne pioche qui en appellera d'autres. Il s'agit d'un roman graphique autobiographique tout simplement magistral, qui mêle les époques et les mémoires avec un sens puissant de la narration. Gipi y trace le portrait plein de caractère de son père et de sa mère, revenant sur la période trouble pendant laquelle le couple s'est formé (terrifiants passages sur le bombardement de Pise pendant la Seconde guerre mondiale), mais évoquant aussi sa propre enfance et adolescence, des souvenirs touchants et universels.

L'écriture de Gipi est parfaitement maîtrisée, il fait réellement entendre cette voix surgie de l'enfance, qui devient vite attachante et évite toute complaisance. La cocasserie se mêle souvent au drame. On est emporté par le souffle d'un passé franchement romanesque et surtout par le charme d'un trait tremblé qui est d'une exactitude assez effarante, auquel la technique de l'aquarelle s'accorde magnifiquement. Un très beau livre.



Gautier Ducatez, Capra Carnifex, 2008
Un récit aux allures de fable philosophique ou de divagation anarchique, comme on voudra, véritable aboutissement de l'esprit de son auteur, cofondateur des éditions The Hoochie Coochie. C'est une bande dessinée courte mais bien remplie, narrant la randonnée de deux camarades dans un parc naturel isolé, à la recherche d'une chimère. L'histoire a sa logique propre. C'est réellement un conte, où la réflexion sur les rapports entre l'Homme et la Nature se révèle tout à fait pertinente.

On appréciera la liberté ici à l'œuvre tant dans la narration qui respecte le rythme aléatoire et ouvert de la promenade, que dans le dessin de Ducatez, soignant la restitution de ces paysages où roches et végétaux sont rois. On devine que l'auteur a lui-même parcouru ces chemins. Une lecture très plaisante, qui amuse et bouscule en même temps, mine de rien.






Glen Chapron & Julia Wauters, Vents dominants, 2009
Une très jolie histoire servie par le trait délicat de Glen Chapron, auquel je suis particulièrement sensible (le trait, pas Glen, enfin vous m'avez compris). Vents dominants propose typiquement le genre de récit que j'aime, au rythme posé et jouant sur le non-dit, la pudeur, mais sans que ce soit plombant pour autant. Le découpage nous incite à nous laisser aller, à sentir le souffle du vent sur la campagne en bord de mer. Et ça reste évidemment très accessible puisque ça parle de choses universelles dans lesquelles on se projette sans peine.

Les auteurs nous invitent ainsi à une petite réunion familiale pendant des vacances. L'occasion de retrouvailles de plusieurs générations, mais aussi de règlements de compte avec le passé, sans lesquels il n'y aurait évidemment pas d'histoire. On se laisse emporter par ces petits riens qui lient les personnage, avant d'être ému par ce qui se révèle les habiter. Et puis la vie s'affranchit finalement des divers soucis relationnels. C'est sans prétention, le regard posé sur les personnages est doux et on en ressort charmé.




Jean Harambat, Ulysse, les chants du retour, 2014
Ils font vraiment de bons bouquins chez Actes Sud, malgré leurs couvertures souvent peu engageantes. Harambat illustre ici avec une juste sensibilité tant émitionnelle que graphique les derniers chants de L'Odyssée, ceux du retour à Ithaque. Ce récit sera l'occasion de faire un portrait assez complet de ce véritable héros métaphysique qu'est Ulysse et de révéler les sens aussi multiples que parfois inattendus de sa quête. 

Le récit antique est entrecoupé plutôt harmonieusement des interventions contemporaines de vrais spécialistes du poème, comme J.P. Vernant ou J. De Rommilly. Ce basculement entre le récit d'Homère et la lecture qu'en fait le monde actuel est une audace payante, car on n'est jamais dans l'analyse froide et distanciée. Au contraire, Harambat prend soin à chaque fois de rendre ces passages vivants, pleinements inscrits dans un monde dont les émotions se nourrissent encore à cette source antique. C'est instructif sans être scolaire, et surtout c'est splendidement mis en image et en scène. Une formidable réussite.

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