22 septembre 2014

The Rocky story

Rocky, John G. Avildsen, 1976
Loin de l'image de vainqueur qui s'est superficiellement imposée dans les esprits, Rocky Balboa est en fait un anti-héros magnifique, absolument typique du ciné ricain des 70's, avec ces personnages sans gloire qui s'en prennent plein le lard. On suit ici les errances d'une racaille des faubourgs au sens de l'humour vaseux, figure pathétique mais dotée d'une lucidité qui la rend digne. Oscillant entre l'espoir et le doute, il a tout à fait conscience de la mascarade que représente son affrontement programmé avec Apollo Creed.

Finalement loin d'appartenir au genre du film de boxe, Rocky est avant tout une belle étude de caractère, qui nous offre le portrait d'une Amérique désenchantée mais profondément humaine. Le scénariste Stallone nous offre des individualités complexes que l'on a envie d'aimer, malgré des comportements parfois inexcusables (Paulie et l'extraordinaire interprétation de Burt Young). Nous ne sommes jamais encouragés à les juger. Et lorsqu'ils se laissent aller à la tendresse, leur sincérité est touchante, voire bouleversante. Le film est riche en scènes d'anthologie, témoignant d'une observation juste et profonde de l'âme humaine : le premier baiser entre Rocky et Adrian, la dispute entre Mickey et Rocky dans l'appartement sont de purs bijoux de cinéma. La vérité du jeu des acteurs est aussi subtile qu'époustouflante. La mise en scène est à l'avenant, réellement magistrale, sachant parfaitement inscrire le parcours de ses personnages dans la ville. Le film est d'une constante sobriété, à l'image de son générique. J'ai été très étonné de l'utilisation de la musique de Bill Conti. Les premières mesures interviennent tardivement sous forme de douces nappes de cordes, puis le rythme va s'amplifier au fur et à mesure de la motivation retrouvée lors des différents entraînements (superbe lumière du matin), jusqu'à l'apothéose lors du match final, tous cuivres et cordes dehors. Ce film est un authentique miracle sur pellicule.




Rocky II, Sylvester Stallone, 1979
Cette suite m'a semblée avant tout pensée pour les fans du premier volet. On démarre en effet sur ses 5 dernières minutes — amorce qu'on retrouvera systématiquement dans les films suivants — avant de suivre tout naturellement les conséquences de ce match de folie. Rocky emmène Adrian au zoo, comme le lui avait méchamment suggéré un mafieux dans le premier film. Le couple se marie, et la question va être de savoir si Rocky va oui ou non décrocher du ring (interrogation qui sera désormais le moteur-même de la franchise). Le prolongement n'est pas particulièrement imaginatif, mais si on a aimé comme moi les personnages, on apprécie de pouvoir les suivre encore, d'autant plus que les lendemains ne sont pas roses. Rocky se retrouve encore à galérer et le film enchaîne des scènes assez tristes.

La revanche d'Apollo Creed est un bon prétexte pour nous livrer une relecture parfois ironique du premier film. Ainsi la séance d'entraînement dans les rues de Philadelphie est reprise quasiment plan par plan, sauf que cette fois Rocky est soutenu et suivi par la foule, scène particulièrement euphorisante. Bref, encore de beaux moments, avec un combat final bien prenant. C'est quand même moins fort que le premier film qui semblait avoir déjà tout dit, mais la modestie de l'entreprise, son absence de prétentions, reste touchante.




Rocky III, Stallone, 1982
Le dispositif narratif est désormais établi. Après avoir fait défiler le titre du film le long de l'écran et repris la fin du précédent, Stallone insère un montage extrêmement malin pour nous montrer l'évolution de son protagoniste, désormais champion du monde, richissime et icône nationale. Le réalisateur s'autorise des placements de produits éhontés (c'est tout le merchandising officiel qui défile) tout en faisant la critique de cette réussite qui est aussi la sienne. Rocky est maintenant bien loin des faubourgs de Philly, et m'est apparu moins attachant. Le personnage a perdu son accent populo, s'est civilisé. De fait, il s'est lui-même perdu de vue. Le nouveau défi lancé par un Mr. T ahurissant de colère sera pour lui l'occasion de retrouver la rage qui l'avait autrefois fait vaincre et qui se voyait dans son regard.

Cette fois pur film de boxe au fort taux de testostérone, ce troisième volet est quand même un bon film, porté par de belles images (la course sur la plage), et aux affrontements spectaculaires (le match contre Hulk Hogan est génial et fait vraiment peur). Et l'émotion est loin d'être en reste grâce à la présence toujours incroyablement talentueuse de Burt Young, Talia Shire et Burgess Meredith.




Rocky IV, Stallone, 1985
Le scénario se dégraisse méchamment. Le choc Est/Ouest est assez savoureux, tandis que le costume d'Uncle Sam d'Apollo Creed trouve enfin sa pleine dimension. On a un peu vite assimilé ce volet à une apologie du modèle reaganien. Il faut le revoir pour constater parfois avec étonnement que la réalité est plus nuancée, ce qui ne veut pas forcément dire plus subtile : Plus qu'un film de propagande, ce 4e volet m'est en effet apparu comme un véritable message de paix et de fraternité que vient apporter Rocky à la planète entière. Il semble en effet renvoyer dos à dos Américains et Soviétiques dans leur obstination à se faire face. Les deux ont leurs travers, et le film s'avère bien plus ambivalent que ce que certaines images peuvent laisser penser.

Le méga-show style Las Vegas du début se solde en effet par la chute d'Apollo, refroidissant avec violence cette arrogance typiquement américaine. Le public sera aussi haineux face à Drago que les Soviétiques face à Rocky. On n'est pas du tout dans la préférence d'un modèle sur un autre mais dans l'encouragement à dégeler les relations entre les peuples. C'est assurément naïf, mais pour autant cela n'a rien d'idéologiquement puant puisque la critique est partagée. L'imagerie utilisée et les situations sont très amusantes. Au rayon musique, Bill Conti est remplacé par Vince DiCola (magnifique Training montage), il y a du hard rock FM et des séquences d'entraînement plus irréalistes que jamais, où les escaliers du Museum of Art de Philadelphie sont remplacés par les montagnes. Moins flamboyant que dans mon souvenir mais un spectacle au final bien agréable.




Rocky V, Avildsen, 1990
Toujours au scénario, Stallone choisit plus ou moins logiquement de boucler la boucle avec ce film en forme de retour aux sources. Par une suite d'événements plus ou moins convaincants (un comptable escroc), la famille Balboa se retrouve ruinée et contrainte de réduire son train de vie. Ils s'installent dans leur vieux quartier de Philly, qui a eu le temps de bien se dégrader depuis la dernière fois. Rocky retrouve ses habits du premier film et son accent des faubourgs, et ça fait plaisir. Ces retrouvailles sont plutôt touchantes pour le spectateur, toujours dans cette idée de prolonger l'aventure avec ces personnages qu'on connaît désormais bien, et de revisiter un univers familier, d'autant plus qu'on sait ici que Rocky, définitivement trop abîmé, ne retournera plus sur le ring, ce qui renouvelle bien les attentes. Cela donne lieu à quelques scènes toujours très réussies.

Adrian, fidèle au poste pour redonner le sens des réalités à son chéri, est la garante du capital émotion du film. Les péripéties mettant en scène leur gosse ou le jeune boxeur sur la pente glissante du succès manquent certes de force et sont assez archétypales. Le climax quant à lui, totalement inattendu, détourne plutôt intelligemment l'étape obligée du match final. John G. Avildsen récupère son poste de réalisateur et reprend ses plans à la steadycam là où ils les avait laissés, mais il faut bien convenir que sa mise en scène échoue souvent à trouver un peu de personnalité, ne fait pas trop d'étincelles. Bill Conti est là aussi, donnant à ses thèmes une couleur hip hop bien dans la tendance du jour mais pas forcément de très bon goût.




Rocky Balboa, Stallone, 2007
Le 5e opus proposait déjà de boucler la boucle sous la forme d'un retour aux sources, avec visite amère des lieux du passé. Avec une lucidité vraiment touchante, Stallone semble vouloir enfoncer le clou en reprenant ici le même principe mais dénudé à l'extrême, réduisant au maximum les intrigues secondaires pour ne se focaliser que sur son antihéros, plus paumé que jamais avec cette impression de n'avoir toujours pas atteint le moindre bout d'une quelconque route. « Take you back », chante une nouvelle fois Frank Stallone sur le générique d'ouverture, et les tortues sont de retour dans l'aquarium. Philly est plus dépeuplée que jamais, il n'y a plus personne dans ses rues ou bien les gens sont mauvais (autrefois même les truands apparaissaient comme des êtres solidaires). Mais s'il y a bien une absence qui pèse sur l'ensemble du film c'est celle d'Adrian. J'ignorais que Talia Shire ne faisait pas partie de ces retrouvailles, et même sans être là elle parvient une nouvelle fois à incarner le coeur du film. Les scènes avec Burt Young m'ont quant à elles régulièrement mis la larme à l'oeil. J'ai retrouvé véritablement intact son personnage qui cache derrière ses mauvaises manières d'authentiques sentiments.

On peut être gré au scénariste de ne pas s'être trop acharné sur son protagoniste, en en faisant un mec qui s'en sort relativement bien avec son resto qui n'est en rien un boui-boui. Sa relation avec la petite Mary qui a bien grandi est incontestablement l'aspect le plus réussi du film, et Stallone joue plutôt subtilement de l'ambiguité amoureuse qui peut exister entre eux. De même, le parcours de Mason Dixon est assez bien vu, arrivé au sommet de la richesse mais qui se sent finalement bien seul dans sa riche villa et ressent le besoin de revenir aux bases. Si le monde des cols blancs où vit le fils Balboa n'échappe pas toujours à la caricature, ça reste néanmoins assez sobre et surtout porté par l'envie sincère de donner quelques leçons de vie. Cela dit, ses sentences sonnent parfois un peu trop écrites pour vraiment coller avec l'image que j'ai du personnage. Plus gênante, parce que pas très crédible, est cette histoire de match virtuel, avec des modélisations impeccables et un découpage un peu trop travaillé). Les autres volets parvenaient à faire passer mieux que ça le fait que Rocky s'acharne quand même à remonter sur le ring. Le spectateur ne se faisait certes pas d'illusions face à ses hésitations, mais ici j'ai trouvé que l'évolution du personnage était un peu platement rendue. Et c'est limite si le training montage — LA scène à ne pas foirer — a failli ne pas m'emballer. Les frissons ne m'ont enfin parcouru que lorsque les fameuses marches sont apparues, mais voir Rocky tout en haut avec son gros chien, ça fait un peu douche froide... 

On sent que Stallone aime cet univers qu'il a créé et qu'il a conscience que c'est le cas de son public. Il leur/nous rend hommage et on a vraiment l'impression qu'il recule le plus possible la fin de son film : superbe arrêt sur image de cette main dans la foule qui attrape celle de Rocky... disparition de la silhouette dans le cimetière... et encore ce dernier plan large en haut des marches dans la nuit de la ville. On a envie de dire : « encore, encore ! » Quand bien même j'ai été sensible à cet aspect fanfilm, ça n'a pas été suffisant pour rester aveugle et sourd devant une relative médiocrité de la mise en scène. J'ai d'abord été étonné par la photographie qui semble curieusement manquer de goût (couleurs au rendu bizarre, comme mal maîtrisées). Stallone semble justement chercher une certaine rupture avec les films précédents, en privilégiant notamment la caméra portée et en abandonnant la steadycam si caractéristique du premier volet. Trop de champs/contrechamps m'ont donné l'impression d'une pauvreté d'inspiration, nuisant à la vérité de certains dialogues. Le monteur a manifestement pêté un câble au milieu du match final avec cet espèce de montage stroboscopique qui m'a semblé totalement inexpressif, me laissant sur la touche. Le pire c'est que je n'ai vraiment ressenti aucune progression dans le rythme du match, aucun suspense. Alors que dans les 4 premiers films, ces mêmes matches de fin parvenaient vraiment à raconter une histoire, rendaient percutants les enjeux. Là, je guettais en vain l'oeil du tigre de l'Étalon italien. Au final je suis donc mitigé et aurais voulu y croire davantage. 



En conclusion, je dirais que même si ça n'a pas été prévu comme ça et que seule la vidéo le permet aujourd'hui, ça a vraiment du sens de s'enchaîner les films dans un court laps de temps, un peu comme les épisodes d'une série télé. Pris isolément, je ne suis pas sûr que j'aurais éprouvé les mêmes impressions, sauf pour le premier film. Le Rocky de 1976 reste un film profondément touchant, plein de sincérité et de sensibilité et pourrait se suffire à lui-même.

Gonna fly now...

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