« Toute l’oeuvre de Chirico n’est en réalité qu’une longue autobiographie, transposée, comme sur une scène de théâtre, en figures changeantes et insaisissables en tant que réalité — parce que la réalité n’existe pas —, mais plus vraies et durables que la réalité elle-même, par la force symbolique que leur art leur confère. »
Paolo Baldacci, Giorgio De Chirico 1888-1919, la métaphysique
Automne
1906, le jeune peintre Giorgio de Chirico s’inscrit à
l’Académie des Beaux-arts de Munich. Souffrant régulièrement d’une affection
intestinale, alité, il lit beaucoup et se passionne en particulier pour la
philosophie de Nietzsche, Schopenhauer et Héraclite.
C’est sa lecture de Des fins ultimes du Viennois Otto
Weininger, où apparaît la notion de métaphysique géométrique, qui lui
inspirera la formule “pittura metafisica”. Par la suite, les villes italiennes
(Florence, Turin) vont nourrir son imaginaire et lui révéler pleinement cette
perception métaphysique de l’espace et des objets.
De
Chirico abandonne progressivement ses premières influences (Böcklin) et
élabore dans ses nouveaux tableaux — Les Énigmes — des
atmosphères fortement marquées par la mélancolie nietzschéenne. En 1911, il
adopte la pose du philosophe pour son premier autoportrait métaphysique.
L'artiste conçoit les incursions de phrases latines dans cet autoportrait et
ceux qui vont suivre sous l’influence directe de Dürer et des
peintres de la Première Renaissance italienne (Masaccio, Botticelli).
La phrase « Et quid amabo nisi quod aenigma est ? » (qu’aimerais-je,
hors l’énigme ?) annonce l’autoportrait de 1920 où De Chirico porte une
pancarte avec l'inscription « Et quid amabo nisi quod rerum metaphysica
est ? » (qu’aimerais-je, hors la métaphysique des choses ?).
De Chirico s’est beaucoup exprimé sur sa technique et ses
inspirations mais peu sur le sens de sa peinture, laissant le champ libre aux
extrapolations de toutes sortes. Dans leurs textes, Breton, Apollinaire ou Calvino s’imaginent
en balade dans les cités vides du peintre, terra incognita où
chacun peut projeter sa psyché. Dans Composition métaphysique,
autoportrait (1913), De Chirico est à l’état de fragments, soit autant
d’éléments métaphoriques/métaphysiques qu’on retrouve dans d’autres toiles qui
alors pourraient prétendre elles-aussi au statut d’autoportraits métaphysiques.
Ainsi les mannequins et statues, figures emblématiques d’une mythologie toute
personnelle. « À son image Dieu a fait l’homme, l’homme a fait la statue et
le mannequin », écrivait Breton dans Les Pas perdus.
La ressemblance entre le peintre et son portrait n’est jamais
mise en cause. Pas de déformation, pas d’altération. La stylisation est dans la
pose, dans l’environnement. À ce titre, les autoportraits costumés des années
1940 cessent-ils vraiment de révéler l’essence de son être, sa métaphysique ?
Les yeux du peintre restent tournés vers l’extérieur, vers le spectateur,
renvoyant celui-ci en un double jeu de miroir au propre regard du peintre
s’observant lors de l’exécution de l’autoportrait. Soi-même et l’œuvre ne font
qu’un.
Ces
autoportraits métaphysiques, peints de façon presque obsessionnelle, sont à
l’image d'une œuvre, d'une vie, tendues vers un idéal de vérité, à la limite de
l’invention. De Chirico s’ingéniait ainsi à brouiller les pistes, changeant les
dates ou les titres de ses toiles, prétendant tantôt être Grec, tantôt être né
en Italie. Bien qu’il s’en défende dans ses mémoires, on le soupçonne même
d’avoir peint d’authentiques faux.
Il meurt en 1978. Selon son souhait, sa pierre tombale est demeurée anonyme.
Il meurt en 1978. Selon son souhait, sa pierre tombale est demeurée anonyme.
« La question de l’identité est une question métaphysique. »Pascal Bonafoux, L'Autoportrait (qui ? par soi-même !)
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