En groupe en ligue en procession
Et puis tout seul à
l'occasion
J'en ferai la preuve par quatre
S'il m'arrive Marie-Jésus
D'en avoir
vraiment plein le cul
Je continuerai de me battre
On peut me dire sans rémission
Qu'en groupe en ligue en
procession
On a l'intelligence bête
Je n'ai qu'une consolation
C'est qu'on peut
être seul et con
Et que dans ce cas on le reste.
Poète
inféodé né en 1930, Jean Ferrat est un artiste sans pareil qui
s'est longtemps tenu isolé du cirque médiatique. Son talent d'auteur et de
compositeur s'avère aussi inspiré et à l'aise lorsqu'il chante l'amour que
lorsqu'il crie sa révolte, son dégoût de l'armée et du clergé, de même
lorsqu'il se moque de la mode préfabriquée des yéyés, toujours entre satire et
colère. Il est le chroniqueur des espoirs et des désillusions d'une époque
troublée, d'une société en constante perte de repères.
Irrévérencieuses,
cruelles, drôles ou profondément bouleversantes, ses chansons sont de celles
qui me touchent, certaines étant devenues des compagnons de route, des
confidentes, me semblant tantôt ne parler qu'à moi, tantôt parler pour moi.
Tandis que certains s'attarderont plutôt sur ses morceaux engagés, mon côté
mélancolico-fleur bleue nourrit évidemment un faible pour ses chansons d'amour
aussi belles dans leurs arrangements que dans leurs textes. Car la délectation
que procure Ferrat vient notamment du soin de ses arrangements, parfaitement en
accord avec le sujet traité. Chœurs, cordes, cuivres, ambiances, tout est
travaillé avec goût et intelligence, sans jamais céder à la grandiloquence. Et
si les émotions sont aussi fortes, c'est justement parce que la musique est
constamment en écho avec les paroles, avec une vraie progression rythmique et
mélodique au cours du morceau. Combien de ses textes pourraient servir de
déclaration d'amour irrésistible, exprimant la viscéralité d'un attachement, la
beauté de l'être aimé, mais également toute la sensualité d'un corps, la fougue
d'une étreinte ?
Que
ce soit dimanche ou lundi
Soir ou matin, minuit, midi
Dans l'enfer ou le paradis
Les amours aux amours ressemblent
C'était hier que je t'ai dit
Nous dormirons ensemble
C'était hier et c'est demain
Je n'ai plus que toi de chemin
J'ai mis mon cœur entre tes mains
Avec le tien comme il va l'amble
Tout ce qu'il a de temps humain
Nous dormirons ensemble
Mon amour ce qui fut sera
Le ciel est sur nous comme un drap
J'ai refermé sur toi mes bras
Et tant je t'aime que j'en tremble
Aussi longtemps que tu voudras
Nous dormirons ensemble.
Bucolique, Ferrat l'homme des bois sait aussi chanter
les joies simples de la vie, les beautés de la Nature, de cette Ardèche qu'il a
choisi comme patrie. Il sait comme personne célébrer la douceur d'une grasse
matinée au soleil d'été, tant de belles choses qui permettent de garder espoir
et de tourner le dos aux mensonges de la société. Chez Ferrat, les amants
vivent leur bonheur loin des hommes, de préférence dans une maison de campagne
entourée d'oiseaux.
Au début des années 80, pour de pénibles questions de droits,
Ferrat a été amené à réenregistrer l'intégralité de son répertoire et de
publier l'ensemble de ces sessions sur une douzaine de compilations. Force est
de constater que, même si les arrangements ont été à peu près conservés, le
style et l'interprétation différent et sont loin de valoir les versions
originales. Ces dernières charment parce qu'elles ont un son lié à leur époque.
Pendant un temps, on ne trouvait en CD que les douze volumes de ces réenregistrements.
Heureusement, il y a eu depuis toute une série de rééditions qui mentionnent à
juste titre sur leur pochette : "versions originales". C'est
clairement celles-ci qu'il faut privilégier.
Boycottant
les plateaux télés, Ferrat publie en 1991, après pas mal d'années de silence,
un nouveau disque, Dans la jungle ou dans le zoo. C'est à cette
époque que je l'ai découvert. Le son y est plus rude, un peu froid, fait de
guitares électriques, de synthés et de rythmes plus agressifs. Toujours en
phase avec son temps, le chanteur dresse un constat assez désabusé de l'état du
monde, dénonçant la putasserie de la télé (Dingue), l'arrivisme de la
jeunesse (Les Petites filles modèles), et n'oublie pas de fournir encore
de très beaux hymnes à l'amour. Les Tournesols mettent
tristement en parallèle la misère dans laquelle a vécu Van Gogh et
les records de vente de ses oeuvres aujourd'hui.
Dernier
album studio du monsieur, Ferrat 95 propose à nouveau des
mises en chansons d'Aragon. Très agréable d'écoute, revenant à des
orchestrations plus traditionnelles et chaleureuses (instruments à vent,
cordes, etc.), ce disque livre encore de vraies perles (L'Amour est cerise,
J'arrive où je suis étranger).
Bref, dans la famille "chanson
française", Ferrat est un des artistes auxquels je suis le plus attaché,
tant pour l'esprit que pour la lettre. Son œuvre me touche, au même titre
qu'un Moustaki ou une Françoise Hardy.
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