15 mai 2020

Le Cinéma de Billy Wilder I. 1942-1945

The Major and the minor (Uniforme et jupons courts), 1942
Devenu scénariste réputé avec son binôme Charles Brackett, Wilder se voit confier par la Paramount la mise en scène de leur nouvelle création. Bien avant Some like it hot, le cinéaste nous propose une comédie audacieuse sur les apparences, à partir d'un sujet étonnant car à la limite du scabreux. On y assiste en effet à des jeux de séduction entre des adolescents en rut et une femme adulte... travestie en gamine de douze ans. Le tout sous le regard tantôt complice, tantôt troublé d'un Ray Milland qui prétend n'y voir que du feu. Dans cette école d'officiers militaires, c'est bien la femme qui va mener les hommes par le bout du nez. 

On sent que les scénaristes mettent à l'épreuve les limites de la décence, et de ce qui est susceptible de passer à l'écran à cette date. Ils jouent habilement de l'environnement militaire pour faire passer ce qu'il faut de patriotisme qui endormira mieux la censure (nous sommes en 1942, donc en plein effort de guerre). Festival de dialogues piquants, doté d'un bon rythme qui puise au meilleur de Hawks pour lequel Wilder et Brackett venaient d'écrire Ball of fire, le film se veut une comédie légère qui parvient toutefois dans son dernier tiers à exprimer une gravité qu'on n'attendait pas, le personnage de Sousou redevenue adulte et maîtresse de son destin. Et Ginger Rogers est tout simplement géniale dans un rôle où elle fait montre de tous ses talents, nous gratifiant même de quelques pas de danse.




Five graves to Cairo (Les Cinq secrets du désert), 1943
Derrière ce titre poétique, se cache une œuvre particulièrement brillante et qui défie les genres, à la fois film d'espionnage et film de guerre, avec carte au trésor et jeux de rôles. Maîtres en la matière, Brackett et Wilder transcendent à nouveau la source théâtrale dont ils s'inspirent. Le film se montre aussi inspiré dans ses dialogues que dans sa mise en scène. La caméra de Wilder fait en effet preuve d'une folle aisance à se mouvoir dans des décors étonnamment crédibles, là où d'autres se seraient servilement cantonnés à un rendu de studio. La photo de John Seitz participe pleinement de l'atmosphère étouffante de ce huis-clos, véritable nid de guêpe situé dans un cadre original. Score riche de Miklos Rozsa.

Participant par son contexte de l'effort de guerre, le film évite toute vision simpliste ou grossière du conflit et des comportements humains qui en découlent. Anglais et Français en prennent pour leur grade, tandis que les Allemands sont loin d'être déshumanisés, avec ce personnage du lieutenant ouvert à la discussion. Franchot Tone se montre très à l'aise dans un rôle à multiples facettes, qui va évoluer au cours du récit. Le personnage d'Akim Tamiroff échappe à la caricature. Wilder offre à son compatriote Von Stroheim le rôle du diabolique Rommel. Le patriotisme et l'engagement dans la Résistance ne sont pas idéalisés, avec ce magnifique personnage de Française (Anne Baxter), individu fier et digne, pas prête à manger dans la main du héros, ni destinée au seul statut de love interest hollywoodien. Panier de crabe tendu, riche de rebondissement, le film se conclut sur un final terrible et poignant, questionnant le sens à donner au sacrifice.




Double indemnity (Assurance sur la mort), 1944
Un bijou, le machiavélisme fait film. S'associant à Raymond Chandler, Wilder adapte un roman de James M. Cain (Le Facteur sonne toujours deux fois). Avec son titre parfait de série noire et sa construction en flashback où la fatalité pèse de tout son poids, c'est le sommet du film noir. Wilder s'impose comme maître du genre, à une époque où celui-ci trouve ses lettres de noblesse, de Hawks à Huston, après la vague des films de gangsters des années 30. La perversité des personnages est exprimée ici par leurs actions, par leurs dialogues — toujours remarquablement écrits, une constante chez Wilder — mais aussi par la mise en scène (voir le jeu de jambes de Phyllis, voir la façon dont le couple de comploteurs est filmé dans la supérette,  discutant d'horreurs au milieu de produits de consommation). Et j'adore ce leitmotiv génial de l'allumette craquée.

Stanwyck devient instantanément l'icône de la femme fatale, qui ne fera qu'une bouchée du falôt Fred McMurray. Son personnage entretient d'ailleurs certaines similitudes avec celui qu'interprétera bientôt William Holden dans Sunset Boulevard : deux hommes pris dans la toile d'araignée lancée par des femmes, persuadés de mener le jeu et dont la passion vénale causera la perte.




The Lost week-end (Le Poison), 1945
J'étais en le découvrant persuadé d'avoir affaire à un nouveau film noir alors qu'il s'agit d'une dénonciation glaçante des ravages de l'alcoolisme. Adaptant un roman autobiographique sans en dénaturer l'authenticité, Wilder et Brackett ne tombent dans aucun des travers du film à thèse, qui aurait été commandité par un quelconque ministère de la santé. Ils livrent au contraire une œuvre étonnante d'humanité, à mi-chemin entre le drame et le thriller, avec un vrai travail sur l'insertion des flashbacks, et une conclusion qui laisse tragiquement les choses en suspens.

L'interprétation est une nouvelle fois remarquable, nous épargnant les archétypes, du barman à la petite amie combattive. Le Poison met surtout à l'honneur le talent d'un Ray Milland phénoménal, être lucide et pathétique, interprété avec un naturalisme saisissant, qui se verra justement recompensé d'un Oscar (le film lui-même en recevra quatre au total). C'est un excellent film, qui sur le sujet annonce ces autres productions hollywoodiennes réussies sur ce sujet, le mélodrame de Blake Edwards (The Day of wine and roses), ou Une femme en enfer. Extraordinaire score de Miklos Rosza soutenu par un hypnotique theremin (certainement une utilisation pionnière au cinéma avant de se voir circonscrire à la science-fiction).


DOSSIER BILLY WILDER : 
II. Filmographie 1947-1954
III. Filmographie 1955-1957 (prochainement...)

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Uno de mis preferidos