15 septembre 2018

Le Cinéma de M.Night Shyamalan I. 1999-2002

The Sixth sense (Sixième sens), 1999 
Ses deux premiers long-métrages étant restés inédits chez nous, c'est donc avec The Sixth sense que M. Night Shyamalan fait en 1999 une entrée fracassante sur la scène (il cosigna également cette année-là le scénario de Stuart Little). Inattendu triomphe commercial, il s'agissait à la base d'une production modeste portée par une filiale de Disney, et donnant l'opportunité à Bruce Willis de revenir à un vrai rôle dramatique, bien éloigné des blockbusters héroïques dans lesquels il s'était dernièrement complu à jouer. Je n'oublierai jamais le traitement qu'en firent alors Les Cahiers du cinéma. Non content d'ignorer la révélation d'un cinéaste au talent si manifeste — forcément rendu suspect par son succès démesuré au box-office américain — ils en avaient relégué la critique dans la rubrique finale des sorties en vrac qui ne méritent pas un article trop poussé, avec cette conclusion lapidaire : « le premier film intello-chiant de l'année. » Évidemment, chacun a le droit d'avoir un avis mais c'était, je trouve, aller un peu vite en besogne.

Vingt ans après, je reste pour ma part toujours aussi admiratif et respectueux du pari que réussissait ici Shyamalan, auteur complet, de l'originalité de son approche des codes du fantastique, de la maîtrise de sa mise en scène, de la finesse de ses dialogues et de la justesse de ses choix de casting. En plus de la sobriété de jeu de Willis, le film révèle le jeune Haley Joel Osment et permet de retrouver Olivia Williams déjà appréciée dans le Rushmore de Wes Anderson. Mais au fil des révisions, c'est surtout la  magnifique présence de Toni Collette qui me semble mériter les éloges. Le cinéma fantastique a souvent aimé mettre au cœur de ses récits des figures enfantines, mais a trop souvent échoué à rendre touchant le lien parental (même dans The Exorcist, j'avoue que si je compatis à ce que vit Ellen Burstyn, je ne suis pas non plus vraiment ému). Ici, la relation entre la mère et l'enfant s'exprime de façon déchirante, et à chaque fois je fonds en larmes lors de leur dialogue final pris dans les embouteillages, démonstration magistrale de la sensibilité extrême dont fait preuve Shyamalan, extraordinairement attentif à ce que les ressorts fantastiques de son film ne prennent jamais le pas sur la justesse des personnages.

C'est du beau cinéma, qui réussi à la fois à terrifier et à émouvoir, loin de se résumer comme on l'a trop souvent fait à son twist, et à la capacité qu'aurait le spectateur à l'anticiper. Sur ce terrain-là, Shyamalan n'a rien inventé, c'est un procédé par exemple typique des épisodes de Twilight zone. Mais il fit un tel effet sur les spectateurs, qu'il est vrai qu'il inspira une mode dans pas mal de productions par la suite, avec plus ou moins d'opportunisme (The Others, Fight club).




Unbreakable (Incassable), 2000
Relecture réaliste de l'univers des superhéros de comics et drame familial à la fois, Unbreakable reste à mes yeux le chef-d'œuvre de son auteur. Sommet de l'économie de son langage cinématographique, avec ce goût pour des plans longs à l'implacable rigueur, refusant toute virtuosité technique ostentatoire. Au contraire tout est dans la suggestion, avec une quasi absence d'effets spéciaux, ce qui est une vrai gageure par rapport au sujet, et dans la continuité du Sixième sens. L'objectif étant de renforcer l'immersion du spectateur, le sentiment profond de réalisme. Ce qui passe également par une photographie relativement terne (signée Eduardo Serra), des décors peu engageants, des acteurs absolument pas glamourisés, et une interprétation qui refuse les excès mélodramatiques.

Traversée des envolées orchestrales de James Newton Howard, la bande sonore du film semble pour l'essentiel composée de chuchotements. Les personnages étouffent sous les non-dits, et le salut du protagoniste passera par le fait d'enfin regarder en face son destin. En plus de la fidélité à son compositeur, la cohérence de l'univers de Shymalan passe également par l'attachement qu'il exprime pour sa ville, Philadelphie (comme il y eut Pittsburgh pour George Romero, Baltimore pour Barry Levinson, Portland pour Gus Van Sant, ou New York pour Woody Allen).

Cette approche du fantastique, servant avant tout comme le révélateur d'une souffrance familiale, cette attention portée au regard de l'enfant, cette croyance dans l'existence du merveilleux, plus le côté wonderboy champion du box-office à 29 ans, tout cela a fait qu'à cette époque Shyamalan est apparu comme un nouveau Spielberg (qui récupérera d'ailleurs Osment pour son A.I.).





Signs (Signes), 2002
Signs joue sur la notion de Hasard (avec un grand H) selon lequel chaque chose en ce monde aurait un sens, même les évenements absurdes ou injustes. Notre existence d'humain faible et misérable trouve sa place sur le plan cosmique, chaque individu a un rôle à jouer. J'ai toujours été fasciné par les histoires de coïncidences — la musique du hasard, dixit Paul Auster  qu'on a tous l'occasion de vivre au quotidien. La grande force de Shyamalan, c'est qu'il installe ces thèmes-là au milieu d'un film de genre que sa caméra revisite, débordante d'idées.

L'édifice se fissure néanmoins. Le réalisateur perd de sa belle rigueur, donnant à voir en usant d'effets numériques, et perdant donc la force de la suggestion à laquelle il s'était si brillamment tenu jusque là. Alors qu'il est question de foi, paradoxalement dès lors qu'on voit, on ne peut plus douter, et on échappe à cette sensation de trouble qui rendait justement ses précédents films si passionnants.

Le final grandiloquent fera s'en étrangler certains. Je sais que les avis sont partagés, mais personnellement j'ai marché à fond, le film m'a ému et enthousiasmé. S'il m'a certainement moins plu par rapport à The Sixth Sense et à Unbreakable, c'est peut-être la faute à Mel Gibson, dont la palette de jeu me semble plus limitée, ou en tous cas que je trouve moins convaincant lorsqu'il faut jouer en sourdine. C'est un film quoi qu'il en soit qui mérite une seconde chance.


DOSSIER M.NIGHT SHYAMALAN :

2 commentaires:

Anonyme a dit…

La palette de Mel Gibson plus limitée ?..C'est une blague .
Il faut regarder peut -être une grande partie de sa filmographie.
Sinon.Oui les Cahiers du Cinéma n'ont peut-être pas tort..
Le 6 eme Sens n'est pas une oeuvre Magistrale pour en souligner l'esprit.

Elias FARES a dit…

Salut,
Sa palette dans ce film. Si Gibson a très bien su jouer en mode chien fou (Lethal weapon) comme en mode stoïque (Mad Max 2), je trouve effectivement que l'apathie de son personnage dans Signs aurait pu mieux être incarnée, ne suggérant pas grand chose derrière l'inexpressivité du regard, quand bien même elle serait volontaire (il y a un drame derrière ce regard qui ne se laisse pas assez percevoir).

Et rien que pour sa façon de mettre en scène l'effroi et l'horreur, je continue à trouver Sixième sens magistral, surtout comparé à 99% de la production dans ce genre, qui continue encore aujourd'hui à se cantonner à des effets de fête foraine.
E.