28 août 2017

Le Cinéma de Peter Weir II. 1982-1986

The Year of living dangerously (L'Année de tous les dangers), 1982
Après Gallipoli, Weir prolonge sa collaboration avec Gibson, le prodige du cinéma australien désormais aux portes d'Hollywood. Le résultat est un film intéressant parce que, une nouvelle fois, très déstabilisant. Par son contexte et ses personnages, je pensais qu'il s'inscrivait dans cette veine du film politique à grand spectacle, assez en vogue au cours des 80's (La Déchirure, Good morning Vietnam, Under fire, Salvador...). De plutôt bons films, d'ailleurs, courageux parce qu'ancrés dans des événements authentiques, qui dénonçaient notamment l'ingérence américaine à travers la figure-passerelle du reporter. Ici, l'arrière-plan politique est évidemment au cœur du drame que vivent les personnages, mais le cinéaste semble davantage intéressé par leur parcours intime. La fièvre qui les gagne est en effet d'ordre existentiel, la guerre servira plutôt à intensifier leurs sentiments, et il n'y aura aucun complot de la CIA à dévoiler.

Le récit prend ainsi les atours de la chronique, où les scènes semblent s'enchaîner sans véritable liant, montrant le jeune journaliste au travail, s'efforçant de trouver sa voix dans ses reportages, fréquentant ses collègues au bar de l'hôtel ou aux soirées de l'ambassadeur. Novice, il montre assez tôt son refus de suivre les protocoles, de jouer au patron comme le font les expatriés vis-à-vis des autochtones. Son statut est donc un peu nulle part, du moins dans l'entre-deux. On se demande même si, au-delà d'en rendre compte, le devenir du pays l'intéresse. Dans son interprétation, j'ai trouvé Gibson relativement absent, comme si lui-même ne savait pas exactement quoi jouer, quelle position défendre. Le film se déroule ainsi sur un rythme plutôt tranquille, sans chercher à rendre chaque situation signifiante, mais procédant plutôt par petites touches, travaillant son atmosphère jusqu'à ce que progressivement le protagoniste se dégrossise et porte son intérêt sur Sigourney Weaver. Ça devient alors une romance menacée par le temps. Et cette dimension romantique sera jusque dans la conclusion le véritable moteur de l'intrigue, Weir semblant donc réinvestir le genre de la fresque poétique à la David Lean, et ce n'est sans doute pas un hasard s'il embauche Maurice Jarre, qui va devenir pendant longtemps son compositeur attitré (même si, ici, sa partition est très discrète et que seul le thème électro de Vangelis se détache).

Si le film marque des points sur le spectateur, c'est surtout grâce à Linda Hunt et sa performance prodigieuse qui lui vaudra un Oscar mérité. Lumineuse, elle compose un personnage charismatique, troublant et fascinant. Impressionnant de voir tout ce qui passe dans son regard au cours d'une même scène. Son Billy prend véritablement en charge le récit dès le début du film, tel un marionnettiste qui espère diriger le destin de ceux qui l'entourent. C'est un personnage presque fantastique, caméléon qui a ses entrées partout (politiques, journalistes, population des bas-fonds). Mais un personnage aussi extrêmement fragile, dont l'assurance n'était que façade. Finalement, en faisant voyager le film dans ma mémoire, ce seront clairement son visage et son parcours qui me reviendront, davantage que les déchirements du cœur de Gibson et Weaver.




Witness, 1985
Pas vraiment un polar, la partie enquête étant plutôt vite expédiée. Il s'agit avant tout de créer les conditions pour justifier qu'un personnage de flic citadin se retrouve contraint de vivre au pays des Amishs de Pennsylvanie, population autarcique et comme figée au XVIIIe siècle. Et c'est une nouvelle fois cette question de la confrontation que le cinéaste va explorer tranquillement, confrontation entre deux environnements, entre deux modes de vie. Ce sera d'abord la brutale plongée d'une veuve et son gamin dans la cité du péché, de la violence et des couples illégitimes — et après Blow out, il ne fait décidément pas bon fréquenter les toilettes de la gare centrale de Philadelphie. Et même si ça repose sur quelques facilités, Weir et ses scénaristes se débrouillent plutôt bien pour nous convaincre que Ford n'a pas d'autre choix que de se planquer chez les Amishs. Les événements s'enchaînent bien, on ressent le danger et cette sensation de toile qui se ressert autour de lui. Le cinéaste va ensuite pouvoir ralentir le tempo, montrer la convalescence d'un homme et le réveil des sentiments d'une femme. Les paysages sont beaux, la lumière aussi, et l'on assiste plutôt charmé à ces moments de séduction pudique et réciproque. 

Weir semble avoir à cœur de filmer ses Amishs dignement, sans céder à la facilité de la caricature ou du pittoresque comique. Et c'est sans doute lorsqu'il nous fait oublier l'arrière-plan convenu du polar qu'il se révèle le plus inspiré, en particulier lors de cette jolie séquence de la construction de la grange, qui prend des allures de rituel auquel on assiste fasciné, chaque individu trouvant naturellement sa place dans la communauté au travail (Ford retrouvant les gestes du menuisier qu'il a lui-même été avant que sa carrière démarre). Et si ça marche aussi bien, c'est grâce au thème majestueux de Maurice Jarre, dont j'adore la belle progression. Cette scène ne repose en rien sur la mécanique du récit, et pourtant on s'y sent bien. Et c'est tout à l'honneur du metteur en scène que d'être parvenu à impliquer à ce point son spectateur dans l'atmosphère chaleureuse qu'il cherche à mettre en valeur. Lorsqu'arrive le dernier acte, logique, le récit gagne en tension et c'est plutôt efficace. Malheureusement, on a I'impression qu'au bout d'un moment le réalisateur ne sait plus trop quoi faire de ses personnages, et la résolution du climax est plutôt décevante. C'est heureusement rattrapé par une conclusion très belle, qui nous épargne les artifices du happy end hollywoodien.

Côté casting, c'est impeccable. On sent Ford très investi et soucieux de paraître toujours juste, avec un jeu tout en retenue. Revoir ce film aujourd'hui c'est aussi s'interroger sur le pourquoi de la disparition de Kelly McGillis, qui est ici absolument sublime. J'ai l'impression qu'en dehors de ce rôle et de celui, évidemment bien moins intéressant, qu'elle jouera dans Top gun, elle n'a pas eu la carrière qu'elle méritait, rejoignant sans doute d'autres actrices américaines qui ont eu une trop brève heure de gloire dans les 80's. Je retiens également la prestation remarquable et attachante d'Alexander Godunov, que Weir et ses scénaristes ont l'intelligence de ne pas caractériser comme un méchant de cinéma (jouant le rival amoureux, j'étais persuadé qu'il était destiné à trahir, sans doute influencé par l'image de vilain qu'il conserve à mes yeux depuis Die hard). Je n'avais jamais réalisé que c'est Lukas Haas qui joue le gamin dont le visage est devenu emblématique du film (pour moi il reste l'éternel ado de Mars attacks !, Breakfast of champions et Tout le monde dit I love you). Danny Glover est celui qui s'en sort peut-être le moins, avec un rôle sans épaisseur et à peine dialogué. Enfin, petit plaisir de découvrir au milieu des Amishs le visage juvénile d'un Viggo Mortensen qui attire déjà la lumière.




The Mosquito coast, 1986
Encore un film courageux à mettre au palmarès de ce cinéaste aventurier, tourné comme toujours loin des studios, sur un terrain peu confortable dans la forêt tropical du Belize. S'appuyant sur un scénario troublant de Paul Schrader, le cinéaste portait ce projet depuis longtemps, et sa fructueuse association avec Ford a permis de lancer la production sans trop avoir de bâtons dans les roues. J'aime quand un réalisateur s'accapare ainsi une thématique qui l'inspire et l'exploite de film en film. Weir semble une nouvelle fois avoir trouvé un sujet idéal pour nous montrer un homme qui tente de reconstituer le lien cosmique qui l'unit à la Nature et que la société moderne lui a fait perdre. Par une suite d'épisodes tous très judicieux, le réalisateur va nous interroger sur la vanité d'une telle quête, sur le dangereux abandon qu'elle exige. C'est typiquement le genre de récit que j'aime et qui me fascine. Weir, Boorman, Herzog... même combat.

Dans le rôle de ce personnage habité et bientôt consumé par ses obsessions, la superstar Harrison Ford est franchement méconnaissable et il obtient tout mon respect pour avoir accepté et soutenu un film aussi peu glamour, qui ferait presque oublier qu'avant les années 90 il a eu une carrière intéressante voire courageuse. Et c'est même émouvant rétrospectivement de le voir partager l'affiche avec River Phoenix, qui incarnera peu de temps après son personnage d'Indy gamin dans La Dernière croisade. Les tribulations de sa petite famille sont racontées avec une justesse de ton vraiment touchante, évitant le spectaculaire factice de la seule aventure exotique. Malheureusement, là où Witness fut un succès public et critique, The Mosquito coast essuya d'injustes critiques, film rude voire déprimant. Pour ma part, je le considère comme une de ses plus belles réussites.



DOSSIER PETER WEIR :

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