En 1998, j'étais sorti absolument emballé de la projection de Dieu seul
me voit, premier long-métrage de Bruno Podalydès, qui y prolongeait
brillamment l'univers de ses courts. Aujourd'hui encore, je continue à associer
ce titre avec ma découverte enthousiaste du cinéma de Desplechin (La Sentinelle), Durringer (J'irai au paradis car l'enfer est ici) ou Assayas (voir ci-dessous). Je ne
l'avais jamais revu depuis, et Podalydès ne m'avait par la suite pas trop convaincu avec son
adaptation de Gustave Leroux (Le Mystère de la chambre jaune), et j'avais laissé passer Bancs publics, censé clore cette trilogie des gares entamée par le chouette Versailles-rive gauche. Par la suite, Adieu Berthe m'a enthousiasmé, et Comme un avion, inexplicablement charmé. C'est donc une belle
occasion qui m'a été donnée de replonger, avec cette version de Dieu seul me
voit qualifiée avec beaucoup d'autodérision d' « interminable »,
soit un découpage en 6 épisodes de 50' assemblé en 2007. Il était d'ailleurs impensable d'imaginer à l'époque
qu'un tel métrage avait pu être emmagasiné.
J'avais conservé le souvenir de pas mal de scènes, et j'ai retrouvé intact
le plaisir de partager les aventures désopilantes d'Albert Jeanjean, individu
qui tente désespérément de construire sa personnalité sur celle des autres — au
point où l'on s'interroge parfois sur sa santé mentale — tout en étant capable
de reconnaître lucidement ses propres errements. C'est drôle, imprévisible et absolument
charmant. Le Doisnel de Truffaut n'est pas loin, par cette façon délicieuse
d'observer le héros dans sa quête amoureuse sans occulter les dimensions sociale et professionnelle dans lesquelles il navigue. Et puis il y a presque déjà un côté
nostalgique dans ce film de la fin des années 90, où l'on vivait sans portable, le
répondeur téléphonique devenant un accessoire emblématique.
C'est un mélange de gags irrésistibles (l'interview du maire de
Montgiscard, l'échange de bagnole à la sortie du théâtre), et de discussions
intimistes qui prennent le temps de se développer. La caméra de Bruno capte le
plus souvent en plans séquences des dialogues bluffants d'intelligence, et si l'on peut parfois ressentir une impression d'improvisation,
on se rend compte que le scénario reste très écrit dans son déroulement, puisque
tous les éléments conviés finissent par jouer leur rôle, l'action du film étant
circonscrite sur une semaine d'entre-deux tours d'élections. La mise en scène est très soignée, de même que la photo. Il y a notamment
une très belle façon de filmer la ville la nuit (Versailles, Toulouse, Paris).
Et puis ce casting aux petits oignons qui rend délectable l'intervention du
moindre personnage (Michel Villermoz, Jean-Noël Brouté). La complicité des deux frères est au diapason, chacun rendant véritablement service au talent de l'autre, et le film est presque une bande démo pour vanter la virtuosité de Denis.
Les deux premiers épisodes m'ont semblé les plus réussis : découverte des personnages, loufoquerie des situations et des dialogues, ça bouge un peu. Par la suite, Podalydès doit mener son histoire et relier un peu les différents fils, et c'est peut-être un peu moins rythmé. Je me souviens que déjà dans la version cinéma toute la dernière partie avait une énergie différente, presque déstabilisante. Le tempo ralentit, bascule sur un autre timing, et l'interprétation si bizarre de Balibar crée un décalage qui m'avait un peu agacé. Mais en fait ça colle bien à son personnage inexplicablement et malgré tout séducteur. Et surtout c'est à l'image de l'ensemble du film qui reste d'une liberté jubilatoire.
Demonlover, Olivier Assayas, 2002
Autre cinéaste qui a beaucoup compté pour moi dans les 90's, donc, et que j'ai un peu perdu de vue. Grand amateur de films sur le cinéma, je faisais pas mal tourner la VHS de son brillant Irma Vep (un peu sa Nuit américaine) et considérais son Fin août, début septembre comme un des rares exemples de film choral français réussi. Jouant sur un registre plus cérébral, presque théorique, Demonlover m'a décontenancé, et même déplu. Les acteurs sont pourtant tous très bons,
jusqu'aux troisièmes rôles (Jean-Baptiste Malatarte, Dominique Reymond). Les images sont souvent belles, la mise en scène très maîtrisée, et les choix musicaux plutôt à mon goût, comme souvent chez le cinéaste, avec une bande son notamment signée Sonic youth. Le même style était déjà à l'œuvre sur Clean, avec moins d'élégance cependant (le
sujet le voulait, c'est vrai).
Mais tous ces efforts formels n'ont pas suffi pour dissimuler les facilités d'un scénario en forme de jeu à moitié assumé avec les clichés du cinéma d'espionnage. Le film se retrouve un peu avec le cul entre trois chaises, n'ayant finalement pas grand chose
à raconter, infusant pleins d'ingrédients (multinationale de la communication tentaculaire, culture japonaise) en espérant que leur simple citation suffira à faire sens. On devine les influences mal digérées du Cronenberg de Videodrome, du Wim Wenders de Jusqu'au bout du monde, voire du Ferrara de New rose hôtel.
En tant que spectateur, j'avais l'impression qu'on me dérobait les unes après les autres les portes d'accès au film. Zéro émotion, zéro suspense. Il y a bien de belles scènes, mais dès que quelque chose semble démarrer, Assayas ruine ses effets en devenant opaque ou complexe. Les réactions des personnages nous échappent, celui incarné par Connie Nielsen échouant à servir de guide. L'abandon de toute logique aurait pu me séduire s'il avait été assumé totalement pour aboutir à un spectacle purement sensoriel et trippant. Le film s'achève de plus sur un épilogue aussi laid que raté, bien lourdement symbolique. Traitant du rapport à l'image tel qu'imposé par les nouvelles technologies, Demonlover était peut-être trop en avance sur son temps, et il est vrai que rien ne se démode davantage que les films qui s'efforcent de traiter des risques futurs de ce qu'on appelait encore les nouvelles technologies (le film se veut bien plus en prise avec le contemporain que véritablement prémonitoire). Il serait intéressant de savoir ce que le réalisateur en pense aujourd'hui. Finalement, les seuls passages où j'étais un peu jouasse auront été les génériques d'ouverture et de fin, avec les excellents morceaux de Neu ! et Silver mount zion.
En tant que spectateur, j'avais l'impression qu'on me dérobait les unes après les autres les portes d'accès au film. Zéro émotion, zéro suspense. Il y a bien de belles scènes, mais dès que quelque chose semble démarrer, Assayas ruine ses effets en devenant opaque ou complexe. Les réactions des personnages nous échappent, celui incarné par Connie Nielsen échouant à servir de guide. L'abandon de toute logique aurait pu me séduire s'il avait été assumé totalement pour aboutir à un spectacle purement sensoriel et trippant. Le film s'achève de plus sur un épilogue aussi laid que raté, bien lourdement symbolique. Traitant du rapport à l'image tel qu'imposé par les nouvelles technologies, Demonlover était peut-être trop en avance sur son temps, et il est vrai que rien ne se démode davantage que les films qui s'efforcent de traiter des risques futurs de ce qu'on appelait encore les nouvelles technologies (le film se veut bien plus en prise avec le contemporain que véritablement prémonitoire). Il serait intéressant de savoir ce que le réalisateur en pense aujourd'hui. Finalement, les seuls passages où j'étais un peu jouasse auront été les génériques d'ouverture et de fin, avec les excellents morceaux de Neu ! et Silver mount zion.
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