14 octobre 2016

Les Films de Richard Fleischer XI. 1984-1987


Ainsi se boucle mon tour d'horizon de la filmographie du prolifique Richard Fleischer, qui aura tourné quasiment sans discontinuer pendant quarante ans, livrant quelques-uns des films les plus emblématiques du cinéma hollywoodien. Au cours de sa carrière, Fleischer a prouvé qu'il était autant un artisan faisant preuve du maximum de savoir-faire, qu'un véritable auteur s'efforçant lorsqu'on lui en laissait l'occasion de traiter chaque sujet dans toutes ses dimensions. Et il manque encore à ce panorama une quinzaine de titres que je n'ai toujours pas eu l'occasion de voir, et pas des moindres (The Narrow margin, Violent saturday ou Ten Rillington place sont par exemple auréolés d'une belle réputation)...



Conan the destroyer (Conan le destructeur), 1984
C'est donc sous la houlette du mogul Dino De Laurentiis, ici secondé de sa fille Rafaella, que va se poursuivre — et s'achever — la carrière du grand Fleischer. Après Amityville 3D, le réalisateur se voit à nouveau confier une suite. Le succès du Conan the barbarian de John Milius a logiquement engendré une multitude de clones plus ou moins heureux. De Laurentiis possède lui les droits officiels des romans de Robert E. Howard. Pour réduire les coûts, la production s'installe au Mexique où est tourné en parallèle le Dune de Lynch. Côté positif, Poledouris propose des variations sympathiques de sa monumentale partition de 1982, et on retiendra le soin accordé aux costumes, quelques décors intérieurs impressionnants, et une poignée de jolies séquences : la scène des miroirs (malgré son craignos monster à la technique de catcheur), le combat à cheval dans la clairière avec la blonde planquée derrière un rocher, ou la grande scène d'action dans la grotte sacrée. L'affrontement final contre le Dieu en mousse Dagoth créé par Carlo Rambaldi parvient même à certains moments à rappeler la féérie des films d'Harryhausen.

Intelligemment exploitée par Milius ou Cameron, l'inexpressivité de Schwarzenegger ne fait plus illusion sous la direction de Fleischer, et ce ne sont pas ses compagnons à l'utilité douteuse qui suffiront à lui donner du relief, l'inoubliable Subotaï ayant été remplacé par un indigne sidekick aux blagues poussives. D'ailleurs toutes les tentatives d'humour se révèlent aussi dispensables que laborieuses, pas aidées par un doublage médiocre, à l'exception peut-être de la scène du feu de camp avec un Conan ivre plutôt rigolo. Seul le charisme de Grace Jones suscitera un peu d'intérêt. La toute fin plagiera sans vergogne Star wars, avec la Princesse récompensant ses héros, et sera suivie par la reprise du plan du Roi Conan sur sa montagne, bien loin cependant de la puissance d'évocation que cette image possédait dans le premier volet. Bref, l'inspiration n'est plus vraiment au rendez-vous. Le monde brutal et tragique composé par Milius et Oliver Stone s'est vu ici redéfini en un inoffensif divertissement familial, où l'on cherchera en vain la patte du cinéaste transformé semble-t-il en "yes-man".




Red Sonja (Kalidor, la légende du talisman), 1985
Nouvelle exploitation opportuniste de l'œuvre de Robert Howard, juteux filon du moment. Dans mon souvenir j'estimais ce Red Sonja moins réussi que Conan the destroyer, déjà pas fameux. Or à la revoyure il m'est apparu finalement bien plus égal et satisfaisant. Le récit, plus adulte, n'est plus parasité par des tentatives d'humour puériles. Quand bien même on y trouve un gamin, celui-ci parvient à ne pas être trop crispant. Les dialogues, pour ce qu'en laisse percevoir la décidément médiocre VF, sonnent plus littéraires, donnant ainsi un peu plus de poids au monde fantastique où se déroule l'action. Le scénario basique au possible fait néanmoins peu d'efforts pour se montrer créatif, et il est certain que la séance doit être pénible pour ceux qui sont allergiques au genre. Mais personnellement j'ai réussi à passer outre, et à savourer la promenade, le film proposant une quête très premier degré pas moins valable qu'une autre.

On notera le titre français trompeur, puisqu'il met le personnage d'Arnold au premier plan alors qu'il est clairement un second rôle artificiellement gonflé pour profiter de la notoriété planétaire de l'acteur. Son manque d'implication crève l'écran, comme s'il avait pleinement conscience d'être une vache à lait embarquée dans une évidente tentative de reconduire une formule à succès. Kalidor est plus civilisé que Conan et pour cause puisqu'il s'agit d'un prince, mais il échoue à développer une personnalité un tant soit peu attachante. Le véritable protagoniste c'est donc bien Sonja la rousse, soit Brigitte Nielsenqui compose un personnage fier et endurci. Top modèle danois débauché par De Laurentiis, elle fait preuve d'une belle conviction dans son rôle de guerrière, malgré la limite vite atteinte de ses moyens. En 1979, le remake de The Jazz singer avait valu à Fleischer l'insigne honneur d'étrenner la cérémonie satirique des Razzie awards. Si par la suite tous ses films se retrouveront régulièrement nommés, Red Sonja verra carrément son actrice principale récompensée (et doublement puisqu'elle concourrait malgré elle également pour Rocky IV). 

Fleischer retrouvait ici pas mal de ses collaborateurs de Conan the destroyer (costumes, maquettes, cascades) et le résultat me semble plus abouti, alors que paradoxalement le cinéaste estimait avoir raté son film. Les paysages, italiens et non plus mexicains, sont souvent superbes avec quelques matte paintings fascinants, notamment ce gouffre qui sépare la plaine verdoyante de la terre des ténêbres. Les combats à l'épée sont plutôt bien troussés — seul celui du début dans le temple des gardiennes du talisman paraît un peu bâclé — et lors de l'affrontement final dans le magnifique palais à la décoration macabre et aux dominantes rouges de la reine maléfique, j'avais la très excitante impression de voir ressurgir des bribes du talent de celui qui nous avait offert autrefois Les Vikings. La photographie de Giuseppe Rottuno est superbement stylisée, et la très belle musique de Morricone apporte pas mal de poésie à certaines scènes. Bref, sur le plan visuel, j'ai vraiment été très agréablement séduit, et le film gagne incontestablement à être vu sur grand écran.




Million dollar mystery (Money mania), 1987
J'ignorais totalement l'existence de ce film, généralement passé sous silence par les exégèses fleischeriens. N'en attendant donc rien, j'eus l'agréable surprise de me retrouver devant une comédie délirante et très efficace. Fleischer signait ici un remake inavoué — et pourtant évident — d'Un monde fou, fou, fou de Stanley Kramer (film-culte pour moi), avec cette chasse au trésor mettant en scène une bonne vingtaine de personnages comme autant de caricatures de l'Américain moyen. Le film est en effet une satire impitoyable dans laquelle tout le monde en prend pour son grade. Même si on n'a droit qu'à un casting de seconde zone, les interprètes en rajoutent dans l'outrance et c'est encore plus jubilatoire. Les gags s'enchaînent de façon irrésistible sur un rythme fou, gags la plupart du temps burlesques avec un sens de l'absurde souvent réjouissant. On assiste ainsi avec gourmandise à un festival de cascades en voiture, supervisées par le génial Vic Armstrong, séquences hallucinantes et quasiment cartoonesques dont chaque plan respire la prise de risque.

Filmé en scope, et photographié par le vieux complice Jack Cardiff, cette folle course-poursuite nous balade à travers le Grand Canyon. Plus que jamais à l'aise avec les implications techniques d'un tel projet, Fleischer livre une mise en scène impeccable qui fourmille d'idées. Et même la musique, une espèce d'atroce rock FM millésimé eighties, a son charme. Le film n'est donc qu'une énorme bouffonnerie aux ambitions expressément commerciales, et sans doute aurait-on préféré voir le réalisateur de The New centurions finir sa carrière sur une œuvre testament plus prestigieuse. Mais si on met ces attentes de côté, ce Million dollar mystery est un spectacle absolument réjouissant.



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