6 juillet 2016

Histoire permanente du cinéma français 1948-1961

Neit tevergeefs (Pas en vain), Edmond T. Gréville, 1948
(Je sais, j'inclus dans ce panorama du cinéma français une production hollandaise... comme toujours, c'est le réal qui compte.) Un film en forme de mémorial sur l'occupation de la Hollande par l'Allemagne nazie et sur la résistance et la solidarité. Bien plus qu'à Verhoeven qui traitera le sujet des années après, j'ai pensé à plusieurs reprises au Hitler's madman de Douglas Sirk : même inscription dans une actualité brûlante (même si le Gréville est postérieur à la Libération, son propos n'a rien perdu de sa force à cette époque), action située à la campagne, atmosphère de peur permanente, attention portée aux personnages, y compris aux nazis qui ne sont pas juste montrés comme des méchants de cinéma. Remarquable également est la capacité du réalisateur à faire beaucoup avec un petit budget. Gréville enchaîne ainsi régulièrement de très longs plans séquences, et ses cadres sont toujours superbement composés.

Dégagé de tout discours patriotique, le film ne fait pas l'impasse sur les collabos et les traîtres, et évoque la Libération avec une absence totale d'idéalisme, abordant déjà les questions qui diviseront le monde de demain, les divisions entre communistes et capitalistes, le racisme toujours présent, les droits des femmes, etc. Quelques scènes documentaires nous montrent l'état délabré de la société d'alors, la famine et la misère. Le tout n'est jamais exposé avec lourdeur, grâce à des situations dramatiques fortes et assez poétiques puisqu'elles prennent parfois la forme d'allégories bibliques (la nativité, le sacrifice d'Abraham). Une œuvre courageuse et honnête, si importante que Gréville l'a tourné une seconde fois en langue anglaise.




Un condamné à mort s'est échappé, ou le vent souffle où il veut, Robert Bresson, 1956
Formidable film de prison, situé à Lyon durant l'Occupation, et inspiré d'une histoire vraie. Bresson précise d'ailleurs dans un carton d'introduction qu'il a absolument tenu à respecter les faits et à nous les livrer avec authenticité, "sans ornements". L'intention n'est pas toujours respectée à la lettre, le réalisateur faisant quand il faut appel aux outils de manipulation propres au cinéma : la musique de Mozart, en particulier, apporte un vrai lyrisme à certaines séquences et la mise en scène sait à l'occasion passer au premier plan lorsqu'il s'agit de créer du suspense. 

Du début à la fin, la caméra du réalisateur va s'efforcer de faire littéralement corps avec le point de vue du protagoniste, incarné avec beaucoup de présence par François Leterrier. Son monologue en voix off fait pleinement partager au spectateur ses craintes et ses espoirs. On ne verra quasiment jamais le visage des Allemands ou de la Police française. De même on ne saura finalement que très peu de choses de son passé. La dimension sociale et historique de cette époque sera surtout reportée sur les prisonniers qui l'entourent, échantillon représentatif comme toujours dans les films de prison de la condition humaine : un pasteur, un vieux resigné, un époux trahi, un jeune désorienté. Mais on est vraiment davantage dans l'aventure humaine que dans le requisitoire contre une époque ou un système.




Tu ne tueras point, Claude Autant-Lara, 1961
En ce début des années 60, la Nouvelle Vague s'est imposée dans le paysage cinématographique français. Un vieux loup comme Autant-Lara n'a plus la côte et son travail, symbole de ce cinéma de papa tourné dans l'artificialité des studios, est conspué par la critique. Accusation totalement injuste au vu de ce véritable brûlot produit en pleine guerre d'Algérie et qui, après avoir été interdit par le ministre Malraux, sort en 1962 sous le nouveau titre L'Objecteur, dans une version mutilée. Tu ne tueras point raconte l'histoire d'un jeune appelé catholique, plus que sobrement interprété par Laurent Terzieff, qui refuse de servir l'Armée. S'il dit non à l'uniforme et au port d'armes, ce n'est pas dans le seul espoir de se faire réformer. Il veut clairement dénoncer la guerre, quitte à finir ses jours en prison en tant qu'objecteur de conscience, une notion qui n'est alors pas tolérée par l'État. Une superbe chanson d'Aznavour introduit les trois actes du récit.

Par une mise en scène extrêmement sobre, dans un scope noir et blanc que je n'espérais pas aussi maîtrisé, Autant-Lara laisse chaque scène se développer le temps nécessaire, faisant beaucoup de  place à la rhétorique pour un véritable et passionnant débat d'idées sur la morale, la foi, le meurtre et le pardon, et sur lequel souffle le vent de l'anarchisme. Via un terrifiant flashback sur la débâcle allemande de 1944, le réalisateur met en évidence le caractère atroce de l'assassinat, fut-il cautionné par des ordres militaires. Il s'attarde également sur les sordides conditions de détention en prison, l'attente des familles au parloir, les douches. Le dernier acte est une longue scène de tribunal qui s'efforce de faire le tour d'une question finalement bien complexe, sans lourdeur ni mauvaise foi, n'apportant pas de réponse tranchée. 

Le risque d'aboutir à un pénible pensum est ainsi évité, grâce aux brillants dialogues d'Aurenche et Bost qui sonnent  constamment juste. Le film bascule tantôt dans de pures scènes kafkaïennes démontrant l'entêtement absurde de Terzieff, tantôt dans d'intenses moments d'émotion, magnifiquement portés par  Suzanne Flon dans le rôle d'une mère à la fois compréhensive et déchirée par l'obstination du fiston. Tu ne tueras point est également traversé par de vrais instants de rage, qui en font un réquisitoire virulent contre la guerre et contre l'Église. Et c'est sans doute en s'attaquant de front à ces deux tabous que le film se fracassa contre la censure. Autant-Lara y dénonce l'hypocrisie d'un clergé qui a couvert tant de massacre et qui prétendrait aujourd'hui être contre la guerre. Le personnage de Terzieff se veut irrécupérable, et finit par rejeter sa foi en déclarant : «  si Dieu est vraiment contre la guerre, qu'il le dise une bonne fois pour toute, et qu'on l'entende ! »


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