Turks fruit (Turkish delight), 1973
Un film pas
évident à aborder, qui marquera assurément la mémoire du spectateur par la rage
jusqu'auboutiste qui semble animer chaque centimètre de pellicule. Pour ses débuts, Verhoeven semble déjà avoir atteint une espèce
de point de non-retour, où le romantisme, la grâce et l'ordure se mêlent. On devine le relâchement de la censure qu'a connu la Hollande à cette époque et qui permet au cinéaste de donner libre court à son goût du sexe et de la scatologie (le film n'est pas vraiment tous publics, c'est peu de le dire). On
sent que le film a été fait avec autant de colère que de passion. « Je dois admettre que j’aime choquer le public, » reconnaissait le réalisateur.
Et le plus beau, c'est que derrière ces morceaux de crudité consciente, il y a une vraie histoire d'amour fou, qui revitalise ce qui ne sont rien de moins que les conventions du mélodrame : artiste maudit, amour contrarié par la famille, drame de la maladie, fin tragique, etc. Car Turkish delight est d'abord un film de couple, porté par une approche finalement très "Nouvelle vague", par cette impression qu'il donne d'inventer son propre langage en toute liberté, certaines scènes de rues étant comme tournées à l'arrache. Dans le rôle incandescent d'Erik, Rutger Hauer est impérial. Le réalisateur trouve ici son alter ego à l'écran, la projection de ses propres idéaux et faiblesses. De même Monique Van de Ven l'autre actrice fétiche de ses premiers films n'est pas en reste, donnant une nouvelle fois beaucoup d'elle-même.
Et le plus beau, c'est que derrière ces morceaux de crudité consciente, il y a une vraie histoire d'amour fou, qui revitalise ce qui ne sont rien de moins que les conventions du mélodrame : artiste maudit, amour contrarié par la famille, drame de la maladie, fin tragique, etc. Car Turkish delight est d'abord un film de couple, porté par une approche finalement très "Nouvelle vague", par cette impression qu'il donne d'inventer son propre langage en toute liberté, certaines scènes de rues étant comme tournées à l'arrache. Dans le rôle incandescent d'Erik, Rutger Hauer est impérial. Le réalisateur trouve ici son alter ego à l'écran, la projection de ses propres idéaux et faiblesses. De même Monique Van de Ven l'autre actrice fétiche de ses premiers films n'est pas en reste, donnant une nouvelle fois beaucoup d'elle-même.
Soldaat van oranje (Soldier of
Orange), 1977
Par l'ampleur romanesque qu'il déploie, de même que par les moyens mis ici à sa disposition, Soldier of Orange est un peu le Once upon a time
in Holland de Verhoeven. Une fresque d'une ambition incroyable, menée de main de maître par un réalisateur débordant d'inspiration. Librement adapté d'un récit autobiographique, le film traite d'une histoire peu vue au cinéma, celle de la drôle de guerre et de l'occupation allemande telles qu'elles se sont déroulées en Hollande. Cinéaste foncièrement libre, Verhoeven n'est en rien intimidé par la gravité du sujet ou du contexte, et se permet le luxe d'un audacieux mélange des genres, parfaitement réussi. Au milieu de cette période troublée, le parcours du héros incarné par Rutger Hauer — encore prénommé Eric — est ainsi souvent proche du picaresque. Le film étant assez long, il est incroyablement riche
en péripéties, et la drôlerie n'en est pas absente. Il parvient alors à faire vraiment exister le très grand nombre de personnage qu'il met en scène, dressant au final le portrait juste et touchant d'une génération et d'une amitié indéfectible.
Il sera
intéressant de noter qu'on pourra trouver pas mal de parallèles avec le scénario de Starship troopers,
plus de 20 ans après : une bande de copains qui, plongés dans la guerre,
choisiront chacun une voie différente. Plus étonnant encore, avec un sujet
pareil, Verhoeven livre un film qui évite intelligemment de se complaire dans
la description de la violence. Certes, certaines scènes sont vraiment
difficiles, mais tout est toujours filmé à la bonne distance, avec une rigueur exemplaire. C'est une des grandes forces du film que de faire oublier la technique cinématographique pour nous faire considérer avant tout les personnages et leur humanité. Œuvre profondément
digne, adulte et maîtrisée, Soldier of Orange est certainement à mes yeux le meilleur film de cette première période du réalisateur. Verhoeven retrouvera intacte cette qualité d'inspiration en 2006 avec son film du retour au pays natal, Black book, qui reprend en quelque sorte l'Histoire là où elle s'était arrêtée.
Spetters, 1980
Toujours pas affranchi, Verhoeven brandit avec Spetters le miroir à peine déformant d'une société hollandaise qui n'a plus grand chose à offrir à sa jeunesse. Avec la rage du désespoir, le film martèle sans pitié son rejet du bon goût bourgeois et de ses attentes. Cependant, une fois passée la stupéfaction d'un spectacle qui préfère clairement l'inconfort du spectateur à sa séduction, le film est moins noir qu'il n'y paraît, et semble finalement surtout porté par un souci de vérité. Bien sûr la provocation, une constante chez Verhoeven, est bien là, et on atteint presque par moments les excès de Turkish delight, mais il y a une vraie considération des personnages, de leurs attentes et de leurs désillusions. Les ambiances entre potes, les scènes de bar et tout ce qui tourne autour de l'amitié, sont un peu dans le prolongement des scènes équivalentes de Soldier of Orange, bouillonnantes de vitalité. Ici encore, ça ne débouche pas sur un jugement moral qui condamnerait, mais plutôt sur un appel à une véritable tolérance. Par tolérance j'entends surtout que Verhoven nous présente ses personnages en vrac avec leur limites et leurs excès, et un anti-idéalisme que le spectateur doit bien accepter, de la même manière qu'on doit accepter une certaine réalité de notre société et des gens qui la composent, loin de tout glamour cinématographique.
Toujours pas affranchi, Verhoeven brandit avec Spetters le miroir à peine déformant d'une société hollandaise qui n'a plus grand chose à offrir à sa jeunesse. Avec la rage du désespoir, le film martèle sans pitié son rejet du bon goût bourgeois et de ses attentes. Cependant, une fois passée la stupéfaction d'un spectacle qui préfère clairement l'inconfort du spectateur à sa séduction, le film est moins noir qu'il n'y paraît, et semble finalement surtout porté par un souci de vérité. Bien sûr la provocation, une constante chez Verhoeven, est bien là, et on atteint presque par moments les excès de Turkish delight, mais il y a une vraie considération des personnages, de leurs attentes et de leurs désillusions. Les ambiances entre potes, les scènes de bar et tout ce qui tourne autour de l'amitié, sont un peu dans le prolongement des scènes équivalentes de Soldier of Orange, bouillonnantes de vitalité. Ici encore, ça ne débouche pas sur un jugement moral qui condamnerait, mais plutôt sur un appel à une véritable tolérance. Par tolérance j'entends surtout que Verhoven nous présente ses personnages en vrac avec leur limites et leurs excès, et un anti-idéalisme que le spectateur doit bien accepter, de la même manière qu'on doit accepter une certaine réalité de notre société et des gens qui la composent, loin de tout glamour cinématographique.
Nos trois héros nous sont donc montrés sans complaisance, sans chercher à cacher leurs défauts. Leur portrait n'en apparaît que plus juste, d'autant plus que les comédiens se donnent à fond. La vendeuse de frites est un beau personnage, typique de la femme "verhoevenienne", sûre de ses désirs, forte et dominatrice. Tout ça est un peu pathétique, mais c'est sans doute le regard du cinéaste sur cette société. : derrière la provocation assumée de certaines situations, avec ces personnages qui semblent avoir une bite à la place du cerveau, Verhoeven peint avec fougue une jeunesse qui se cherche, entre Orange mécanique et La Fureur de vivre. C'est drôle, excessif et ça atteint des sommets inattendus d'émotion.
De Vierde man (Le Quatrième homme),
1983
Un spectacle
halluciné et hallucinant, une plongée terrifiante dans l'inconscient d'un
écrivain, une expérience de cinéma qui retombe cependant un peu trop sur ses pieds à la
fin. En têtes d'affiche, le charismatique Jeroen Crabbe — autre acteur fétiche
de Verhoeven avec Rutger Hauer — et Renée Soutendjik, l'inoubliable marchande de frite de Spetters. Cette fidélité à des collaborateurs, qu'ils soient devant ou derrière la caméra, est aussi une des spécificités de l'œuvre de Verhoeven, où l'on apprécie de retrouver de film en film les mêmes noms. Comme par exemple, à la photo, Jan De Bont qui fait des merveilles pour ce
qui est à ce jour sans doute le film le plus baroque de son auteur.
Racontant la dérive d'un écrivain alcoolique, homosexuel et catholique, Le Quatrième homme pourrait être qualifié de Festin nu hollandais. Le protagoniste est en effet sans cesse traversé par des visions mystiques, des signes religieux qui semblent à la fois naître de ses obsessions et être destinés à le guider. Le film est un véritable poéme, brassant des thèmes aussi divers que l'amour, la création artistique, le péché, la foi, le sexe. Le mélange est assez osé et ne manque pas d'être parfois volontiers provocateur (scènes et images-choc à l'appui). Tour à tour surréaliste, intimiste, cru, absurde, c'est une sorte de ballet de fantômes. On retrouve à nouveau la femme telle qu'aime à la mettre en scène Verhoeven, en héroïne consciente du pouvoir de son sexe, dominatrice et un peu folle, que la caméra parvient aussi bien à magnifier qu'à rendre terrifiante. La conclusion déçoit cependant, optant pour une résolution tournée vers le rationnel, comme une trahison donnant l'impression de minimiser malgré tout la part mystique du film et du personnage.
Racontant la dérive d'un écrivain alcoolique, homosexuel et catholique, Le Quatrième homme pourrait être qualifié de Festin nu hollandais. Le protagoniste est en effet sans cesse traversé par des visions mystiques, des signes religieux qui semblent à la fois naître de ses obsessions et être destinés à le guider. Le film est un véritable poéme, brassant des thèmes aussi divers que l'amour, la création artistique, le péché, la foi, le sexe. Le mélange est assez osé et ne manque pas d'être parfois volontiers provocateur (scènes et images-choc à l'appui). Tour à tour surréaliste, intimiste, cru, absurde, c'est une sorte de ballet de fantômes. On retrouve à nouveau la femme telle qu'aime à la mettre en scène Verhoeven, en héroïne consciente du pouvoir de son sexe, dominatrice et un peu folle, que la caméra parvient aussi bien à magnifier qu'à rendre terrifiante. La conclusion déçoit cependant, optant pour une résolution tournée vers le rationnel, comme une trahison donnant l'impression de minimiser malgré tout la part mystique du film et du personnage.
DOSSIER PAUL VERHOEVEN :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire