Un premier film qui ne
laisse pas indifférent tant il s'acharne déjà à refuser la facilité, qu'elle soit dans la construction du récit ou dans la caractérisation des personnages. Medem est parfois un peu lourd dans le symbolisme et tend à se complaire dans la fascination des images. Et c'est
vrai que cette histoire d'une famille de paysans basques sur plusieurs générations,
de 1870 à 1936 offre de beaux moments de poésie. Animés par une vision décalée de la réalité, les personnages sont tous un peu tordus. Les paysages sont bien sûr
magnifiques, et tout le passage sur le concours de haches est assez captivant.
A force d'effets de distanciation, ça laisse quand même un peu le spectateur sur le bord du chemin, les
quelques moments de vraie émotion ne sont pas toujours très bien amenés, même si
on devine bien toutes les obsessions du réalisateur qui perceront davantage
dans ses films suivant : la vie comme un rêve qu'on fabriquerait soi-même,
l'amour fou. Le film bénéficie des belles musiques d'Alberto Iglesias, qui participent de cette alchimie envoûtante, cette impression de
communion des personnages comme des images avec la Nature. Un film pas encore
pleinement abouti, donc, mais ambitieux, et dont la singularité parvient quand même à laisser une trace durable, donnant même envie d'y revenir pour tenter d'en percer les mystères.
La Ardilla roja
(L'Ecureuil rouge), 1993
C'est par ce film que
j'ai découvert et suis tombé sous le charme du cinéaste, qui avait obtenu avec lui le Prix spécial du jury à Gerardmer. Le spectateur est embarqué dès l'ouverture
par la mise en place d'un pitch aussi simple que génial : un type suicidaire
porte secours à une motarde qui vient d'avoir un accident. Elle est amnésique,
il va lui inventer tout un passé en se faisant passer pour son petit ami.
Medem
tisse à partir de cette pure base de film noir une atmosphère plus que troublante, ponctuée de magnifiques
scènes de mots d'amour. Son montage relativement éclaté — déjà — remet petit à petit les
pièces du puzzle dans l'ordre, et il est vraiment plaisant de constater qu'il a
repris la quasi intégralité du casting de son film précédent, notamment
l'excellente Emma Suarez. Le nouveau venu dans l'univers du cinéaste, c'est
Nancho Novo dont l'étrange sourire et le regard presque enfantin sont vraiment
idéaux pour le rôle de mâle en quête d'un amour idéal, quitte à devoir le façonner. Le film se poursuit ensuite, mélange de suspense, de poésie
mais aussi de grotesque assumé.
Tierra, 1996
Le film qui confirme s'il
en était encore besoin la cohérence de l'univers d'un cinéaste. On y retrouve sa
désormais familière troupe d'acteurs au sein des superbes terres viticoles
du pays basque. Epousant la subjectivité de son protagoniste, atteint d'une
imagination débordante (schizophrène en fait), le récit se situe entre le rêve
et la réalité, avec comme toujours des fulgurances poétiques tant dans les
dialogues que dans la mise en scène, qui amènent à penser qu'on est de toutes
façons dans un monde légérement décalé.
C'est souvent très beau, mais il est
vrai qu'on se demande où le réalisateur veut en venir, et ça peut laisser le
spectateur sur le carreau (davantage que Vacas qui pouvait au moins
s'appuyer sur son background historique). Le film est cependant illuminé par la présence d'une superbe rousse — justifiant à elle seule le qualificatif cliché d'"incendiaire" — du nom de Silke, qui incarne ici
la part sensuelle du film. Medem nous offre d'ailleurs une scène de sexe
absolument folle, où les corps des amants se touchent pourtant à peine, mais
dont on ressent le trouble pleinement.
Los Amantes del circulo
polar (Les Amants du cercle polaire), 1998
Si Tierra est peut-être un titre qui demande à être révu pour être mieux apprécié, Los Amantes s'est imposé à moi comme pur chef-d'œuvre dès sa découverte, et continue de me combler après de nombreuses visions, promu parmi mes films fétiches. Une histoire d'amour
déchirante, mise en forme de façon éblouissante. Pour moi c'est la quintessence
du cinéma de Medem parce que toutes ses thématiques et ses procédés se voient
réunis ici de façon parfaite, créant émotion et lyrisme.
La construction est plus alambiquée que jamais, mais cette fois, loin de perdre le spectateur, elle stimule sa perception, et vient formidablement enrichir les liens entre les personnages, grâce à un sens stupéfiant du raccord et de l'ellipse. Ça fourmille d'idées
qui font toujours sens, les personnages existent réellement, et c'est rien de
moins que l'histoire d'une vie (de deux vies) que l'on partage le temps du film. On y retrouve ces deux acteurs qu'on aura eu plaisir à croiser à cette époque dans le cinéma espagnol (notamment chez Amenabar), à savoir Najwa Nimri et Fele Martinez. Splendide et bouleversant.
Lucia y el sexo (Lucia et le sexe), 2000
Impressionnante maîtrise
du récit. Jouant de la mise en abîme, de la fiction dans la fiction contaminant
le réel (ce dernier n'étant que la fiction qui nous est donnée à voir), Medem
livre une œuvre d'une poésie totale, ne se privant pas de donner à ses
personnages une vérité et une épaisseur qui nous les rendent incroyablement touchants. Le désir, le rêve,
l'illusion, la passion se mêlent dans une sorte de grand bain cosmique qui
relie tous les personnages entre eux, avec au centre la figure du romancier
démiurge.
C'est volontairement complexe, cérébral et cette volonté pourrait
nuire à l'émotion. Il n'en est heureusement rien grâce là encore à la force de
conviction et d'incarnation des interprètes (Paz Vega, entourée de Tristan Ulloa et Najwa Nimri). La photographie est magnifique et
aide grandement à l'abandon, avec une nouvelle fois le choix de paysages à la limite de l'abstraction, le film étant en partie tourné à Formentera. C'est d'autant plus paradoxal que la structure faussement gigogne du récit appelerait plutôt à une vigilance de tous les instants, à une concentration qui viendrait s'opposer à l'abandon émotionnel. La grande force du film est qu'il offre suffisamment d'entrées pour être apprécié des deux façons, et sans doute là encore — je ne l'ai pas fait — d'être revu.
Caótica Ana, 2007
Franchement pas un
souvenir enthousiaste du film qui ne m'avait pas convaincu. J'en retiens
surtout un sentiment de confusion, tant dans le récit (éclaté comme toujours)
que dans le propos. Medem y semble pour la première fois parodier son cinéma, sans obtenir la même magique réussite, prêtant le flanc à l'accusation de petit malin qui privilégierait l'effet au fond. Là où auparavant, il parvenait à donner corps et chair à ses personnages, au milieu d'une structure perturbante, il échoue ici à rendre son héroïne un tant soit peu attachante.
Ana (Manuella Vellés, pas spécialement émouvante) donne en effet l'impression de se promener dans le songe de son existence, passant d'un guide à l'autre sans jamais s'éveiller. Sauf peut-être dans un final particulièrement brutal, qui arrive cependant trop tard pour parvenir à redonner du sens, ou de l'intérêt, à ce qui a précédé. Le spectateur n'a plus, à ce stade, envie d'en faire l'effort.
Ana (Manuella Vellés, pas spécialement émouvante) donne en effet l'impression de se promener dans le songe de son existence, passant d'un guide à l'autre sans jamais s'éveiller. Sauf peut-être dans un final particulièrement brutal, qui arrive cependant trop tard pour parvenir à redonner du sens, ou de l'intérêt, à ce qui a précédé. Le spectateur n'a plus, à ce stade, envie d'en faire l'effort.
2 commentaires:
Joli panorama. Tu n'as pas vu "Room in Rome" ? Vraiment un de ses meilleurs et un retour à l'épure après la grandiloquence folle de Caotica Ana (que j'aime bien quand même). Et le petit dernier "Ma Ma" est excellent dans cette veine plus intimiste aussi si tu as l'occasion de le voir en salle fonce !
Non je n'ai listé là que ceux que j'ai vus. Je me refuse pour l'instant à savoir quoi que ce soit de "Ma Ma" mais me réjouis de cette nouvelle sortie.
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