21 février 2016

John Ford : three films


Drums along the Mohawk (Sur la piste des Mohawks), 1939
Un film historique d'une richesse étonnante, visuellement splendide, tant dans l'usage du Technicolor que dans ses décors, ses paysages et ses cadrages. C'est une sorte de pré-western qui raconte la vie périlleuse des pionniers du Far West, sur fond de guerre d'indépendance. Ford accompagne ses personnages avec beaucoup de chaleur et c'est passionnant de voir le très beau couple formé par Claudette Colbert et Henry Fonda balloté au fil des ans entre l'espoir et le désespoir, passant de la petite à la grande Histoire grâce à un scénario qui sort pas mal des conventions hollywoodiennes, dans sa construction comme dans ses caractérisations. 

Chaque scène se permet le luxe d'offrir presque un genre cinématographique en soi, variant les atmosphères et déjouant les attentes : l'aventure, le fantastique, le drame, la romance, la comédie et l'action se mélangent ainsi dans une surprenante harmonie qui paraît évidente mais qui ne peut être que le fruit d'une parfaite maîtrise de ses moyens. Et le réalisateur n'hésite pas à l'occasion à montrer la violence dans toute son horreur, l'attaque finale du fort étant à ce titre particulièrement impressionnante. Et que dire de ce long monologue de Fonda qui raconte la guerre sans que jamais Ford éprouve le besoin de nous la montrer, moment superbe et mémorable. Bref, spectacle aussi riche qu'éblouissant, le film offre ainsi au spectateur de quoi s'extasier.






Three Godfathers (Le Fils du désert),1948
Un western assez étonnant par sa dimension religieuse qui se révèle au fur et à mesure du récit. Ça commence en effet de façon aussi classique qu'efficace avec un sympathique trio de braqueurs de banque pas vraiment méchants, mené par John Wayne. Poursuivis par le shérif et ses adjoints, ces trois copains vont se retrouver à errer dans le désert avant de recueillir un bébé. Ford nous propose alors une relecture assez gonflée de la Nativité, avec autant d'humour que de spiritualité. Le Duke entreprend alors un véritable chemin de croix, éprouvant et réellement fascinant. Superbes images de cette quête à travers le désert, dépeignant la lutte pour la moindre gorgée d'eau.

J'ai cependant trouvé la conclusion peu satisfaisante, s'attardant sur des questions qui se révèlent tristement très terre à terre, et par conséquent bien moins intéressantes que tout ce qui a précédé. Bref, un film bien singulier, dont la trame a été adaptée de nombreuses fois au cinéma, parfois avec bonheur comme le magnifique Tokyo godfathers de Satoshi Kon. Ford lui-même en avait réalisé une version en 1919 avec Harry Carey Sr. Et dans ce film de 1948, qui lui est dédié, c'est le fils qui reprend le rôle du père.




The Quiet man (L'Homme tranquille), 1952
Aaahh... Moi aussi je veux refaire ma vie avec une belle rousse dans les verts pâturages irlandais, une pinte de bière brune à la main... Ford recompose ici l'Eire de ses rêves avec des paysages véritablement féériques, dans un Technicolor une nouvelle fois flamboyant, dominé qu'il est ici par le vert des gras pâturages. On sent le cinéaste plus à l'aise que jamais dans sa peinture d'une communauté pleine de drôlerie, gentiment comploteuse, entre chansons de comptoir et blagues d'ivrognes. Au milieu de ça, le Duke promène sa nonchalence américaine, tentant de trouver sa place au cœur de traditions qu'il ne comprend pas toujours.

Le film distille une euphorie quasi permanente, entre les scènes de séduction anticonventionelles au possible entre Wayne et O'Hara, la somptueuse course de chevaux sur la plage, la baston homérique avec Victor McLaglen — qui dut inspirer Eastwood pour le final de Ça va cogner — des répliques souvent salées sur la consommation effective du mariage (et cette géniale dernière réplique inaudible, chuchotée par O'Hara dans le creux de l'oreille). Le film est en fait constamment et malicieusement rempli de clins d'œil au spectateur, qui désamorcent sans cesse le sérieux auquel pourrait prétendre le récit, donnant un côté bigger than life au comportement des personnages. Et puis on y retrouve la scène à laquelle Spielberg rendait génialement hommage dans E.T. the extra-terrestrial. On pourrait citer également le flashback qui montre Wayne sur le ring, plastiquement superbe. Du Scorsese avant l'heure avec cette utilisation des flashes et du gros plan. Même la musique de Victor Young offre à l'occasion de très belles orchestrations. Voir L'Homme tranquille s'apparente ainsi à un vrai beau voyage, où les émotions sont reines.


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