13 février 2016

Gojira on tour III. 1984-2016

Gojira (The Return of Godzilla/Godzilla 1985), Koji Hashimoto, 1984
Pour son trentième anniversaire, Godzi revient et il est pas content. Fini le Casimir radioactif moisi des années 70, le gentil protecteur des petits écoliers nippons. On demande au spectateur de faire comme si rien ne s'était passé depuis le film fondateur de Honda en 1954. Le monstre fait ici peau neuve, avec un corps aux articulations un peu plus dynamiques, et une gueule en animatronic davantage mobile, que le réalisateur filme non sans une certaine complaisance bien qu'elle demeure totalement inexpressive. 

Le début est assez sympathique et donne le ton avec son ambiance de film d'horreur à la The Thing (un cargo abandonné avec une grosse limace planquée). Puis il faut laisser le temps aux scientifiques de mettre un nom sur la nouvelle menace. Le scénario s'attarde sur les  conséquences au niveau de la diplomatie internationale. On est en pleine guerre froide et le Japon assiste, impuissant, à la rivalité des deux grandes puissances qui cherchent le moindre prétexte pour tester leur armement. Cet arrière-plan sur la peur du nucléaire est un retour aux sources bienvenu et plutôt bien traité, Godzilla étant explicitement comparé à une bombe atomique sur pattes. La naïveté reste toutefois de mise : les déductions du scientifique font sourire, et on est consterné par la présence d'une nouvelle gourdasse qui ne sert à rien d'autre qu'à ralentir la fuite des héros en se vautrant lamentablement dès qu'elle court plus de trois foulées. 

Cette fois, le roi des monstres est entouré par des gratte-ciels qui font plus de deux fois sa taille, ce  qui renouvelle pas mal l'imagerie du genre. En contrepartie, les maquettes sont moins détaillées que d'habitude. Les plans sont chouettes, avec de jolis effets de lumière mais Hashimoto  s'endort un peu devant. Le spectacle s'avère assez mou et il n'y a guère plus de cinq minutes de vraie baston. Le final quant à lui est plus émouvant que jamais, les humains regardant avec des  larmes plein les yeux le lézard géant sombrer dans la lave d'un volcan.




Gojira tai Biorante (Godzilla vs. Biollante), Kazuki Omori, 1989
Second film de cette série post-84. Chaque opus consiste désormais à tester une nouvelle technologie pour anéantir une bonne fois pour toutes un Godzilla redevenu menaçant. L'intrigue proprement  dite n'est pas inintéressante, entre espionnage international et biotechnologies. Mais la réalisation manque une nouvelle fois cruellement d'inspiration, la musique est assez embarrassante et presque toujours à côté de la plaque, le comportement des personnages souvent crétin, les acteurs très nuls, et on n'échappe pas au pénible ton sentencieux. Ça fait donc beaucoup, et le spectateur doit alors se contenter d'attendre les scènes avec Godzilla. 

On ne dira pas que sa patience sera véritablement récompensée. On notera néanmoins d'heureuses améliorations dans le costume du Roi Lézard, permettant encore de beaux aperçus de sa gueule béante avec sa langue et ses dents articulées. Même s'il ne s'y attarde pas, Godzi traîne un peu à Osaka, ce qui permet d'admirer de très belles maquettes de gratte-ciels. Ça explose bien, mais le reptile radioactif est par trop invincible, jamais on ne sent l’impact des balles et missiles qu’il reçoit. La violence n’est par contre plus suggérée lorsqu’il se fait agresser par les tentacules de Biollante. Cette créature génétiquement modifiée, œuvre de la science des hommes, est particulièrement impressionnante, notamment dans sa dernière mutation. Quelques séquences de face à face silencieux entre Godzilla et des humains isolés sont de même assez fortes.




Gojira vs. Mekagojira (Godzilla vs. Mechagodzilla II), Takao Okawara, 1993
L'un des opus les plus réussis de cette période. Visuellement le costume de Godzilla gagne encore en expressivité et il est même franchement terrifiant dans certains gros plans. C'est également  le grand retour de Rodan et leurs affrontements sont tout à fait jouissifs et violents, bien soutenus par une mise en scène enfin inventive, offrant quelques vues subjectives plutôt efficaces. Ces deux vétérans vont passer un très mauvais quart d'heure dès l'instant où Mechagodzilla intervient. Rien à voir avec le mecha d'autrefois qui était contrôlé par de méchants envahisseurs aliens. Ici, le robot est le dernier espoir des Japonais. 

Terrassés à plusieurs reprises, les monstres ressuscitent et gagnent en puissance, et on apprend au passage que Godzilla possède un deuxième cerveau situé dans le fondement (chacun en tirera les conclusions qui s'imposent). Les décors sont bien variés, nous promenant de l'île déserte à la verte campagne, de la vieille ville de Kyoto à la zone industrielle, sous des éclairages tantôt nocturnes tantôt diurnes. À côté de ça, on est obligé de se gaver Godzilla Jr, certes relooké et moins tête à claque que celui d'il y a 20 ans, mais  toujours agaçant dans son chantage à l'émotion. Les humains quant à eux ont cessé de se prendre la tête. Nulle rivalité ou trahison, pas de morale anti-scientiste, les enjeux sont simples : il faut régler son compte à Godzilla. Le monstre est néanmoins toujours personnifié de telle sorte qu'on ne se réjouisse jamais de ses défaites. Même en lui en mettant plein la gueule comme rarement, les humains ne se départissent jamais d'un certain respect (oui cette phrase a quelque chose de comique), et ils le regarderont en tout sérénité s'enfoncer dans l'océan avec son rejeton retrouvé. Comment ça, déjà vu ?




Gojira vs. Supesugojira (Godzilla vs. SpaceGodzilla), Kensho Yamashita, 1994
Quarante bougies et un nouveau retour en arrière, puisque Gojira retrouve son statut de sauveur de la Terre. On le voit en effet "s'associer" aux humains dans leur combat contre le SpaceGodzilla, nouveau kaiju assez impressionnant, double maléfique né d'une mutation de cellules godzillesques qui se baladaient dans le cosmos. Bébé Godzi revient faire son intéressant tandis que des mini-Mothra se joignent à la fête. Les humains combattent à bord de Mogera, un robot géant franchement peu efficace. On retrouve également Miki la télépathe, personnage croisé régulièrement dans la série à  partir de Godzilla vs. Biollante

Le début se passe dans une île du pacifique, sympathique allusion aux films des 60's. On tente diverses expériences sur la bête avant que n'arrive son cousin  spatial qui devient un enjeu bien plus inquiétant. Les affrontements sont spectaculaires mais manquent un peu trop de corps à corps à mon goût, les monstres se contentant de se cracher leurs rayons les uns sur les autres. C'est joli mais un peu répétitif et il y a peu de destruction. Une fois en ville, SpaceGodzilla fait sortir des cristaux géants du sol, et la baston se déroulera entièrement dans ce paysage irréel plutôt réussi. 

J'ai découvert le film dans sa version américaine et je soupçonne un remontage à la sauvage, tant les transitions sont abruptes et le doublage aberrant. Pas un seul dialogue qui  semble à sa place. L'intrigue en devient sympathiquement nanaresque, le film se résumant à de l'action non-stop. Je ne sais pas si la musique est d'origine mais elle est particulièrement en verve ici. On notera l'avertissement final comme quoi, à force de polluer la Terre, on mériterait bien de se ramasser d'autres résidus from outer space. Ce sera pas faute d'avoir prévenu.




Gojira : fainaru uôzu (Godzilla final wars), Kitamura, 2005
Kitamura assume l'héritage nanaro-kitsch de la série en revenant à ses fondamentaux : complots extraterrestres, acteurs d'opérette, péripéties débiles. Le film pourrait donner l'impression  d'avoir été pensé pour une exportation facile, en particulier avec l'omniprésence louche du gweilo Don Frye en gros bourrin ricain punchliner, seul personnage à parler inexplicablement anglais pendant tout le film, et à  converser ainsi avec les Japonais. Cela faisait d'ailleurs une éternité que la franchise n'avait pas bénéficié d'une distribution internationale, le film héritant donc d'une projection salle chez nous. 

Le réalisateur s'attarde malheureusement sur une  intrigue assez hors-sujet à base d'affrontements pénibles entre humains mutants et aliens. La mise en scène est rarement de très bon goût, multipliant des effets visuels déjà datés, la palme revenant à une scène de poursuite en moto qui multiplie sans raison les cabrioles insensées. Par contre la séquence où la troupe de militaires affronte un homard géant dans une usine est bien impressionnante. Et c'est bien ça que souhaite le public. Voir en action le gros lézard et ses copains en mousse.

De ce point de vue là, les espoirs sont largement récompensés. C'est même l'un des kaiju eiga les plus spectaculaires qu'il m'ait été donné de voir. Rarement, j'ai eu l'impression d'une dévastation aussi radicale de la planète. Le dynamisme des combats est poussé plus  loin que tout ce qui s'est fait auparavant. Le Roi des monstres n'a d'ailleurs jamais été aussi dévastateur. Alors que dans les films précédents il passait toute la longueur du métrage à affronter un ou deux adversaires, il terrasse ici les mêmes en quelques minutes seulement, au grand désespoir du chef des méchants, obligé de sortir de sa manche un nouveau golgoth. Final wars est bel et bien un film conçu par et pour des fans, à l'image du générique d'ouverture qui convoque des extraits des précédentes aventures de Godzilla. Voir défiler la quasi-intégralité du bestiaire de la Toho dans des décors clins d'œil (les grandes mégalopoles mais aussi les décors exotiques des îles) procure une intense jubilation. Un spectacle très référencé, donc, nostalgique mais pas rétrograde. La suit-motion n'a pas dit son dernier mot face aux effets numériques.




Shin Godzilla (Godzilla Resurgence), Hideaki Anno & Shinji Higuchi, 2016
Ce nouvel opus en mode reboot est marqué à la fois par une forme de retour aux sources et par une audacieuse (et payante à mes yeux) volonté de prendre le spectateur à rebrousse-poil. Pour le retour aux sources, ici pas de multiplication du bestiaire : Godzilla est tout seul, les personnages font pour la première fois sa connaissance comme au temps du premier film, et c'est l'épure qui domine. Et puis on retrouve intact le thème mythique d'Ifukube, qui résonne magistralement au sein d'une BO elle-même assez originale et grandiose et qui apporte beaucoup de puissance aux scènes importantes.

Signé Anno, auteur exigeant et grand nom de l'animation (Neon genesis evangelion), le scénario refuse de s'embourber dans des digressions et des intrigues parallèles, ou de nous intéresser à l'intimité de ses personnages, essentiellement caractérisés par leur fonction, sans pour autant donner l'impression d'être des pantins. Il ne s'agira ici que de se concentrer sur la menace et de réfléchir aux moyens de lui faire face. Anno se prive même de meubler artificiellement son ouverture et de jouer sur l'attente comme il a toujours été coutume de le faire dans le cinéma catastrophe : la créature apparaît en effet dès les toutes premières minutes, donnant au spectateur ce qu'il est venu chercher tout en bousculant déjà ses habitudes. Du côté des innovations, la plus criante est sans doute l'abandon de la suit-motion. Godzilla est en CGI, et pourtant, au vu de ses manifestations, c'est un choix qu'on ne regrettera pas longtemps. Force brute presque dénuée de personnalité, le King of the monsters est particulièrement terrifiant. On le voit muter de façon étonnante en cours de film, et il révèle même ici de nouvelles et impressionnantes capacités de destruction, filmées à chaque fois de façon très efficaces en terme d'angles et de point de vue, et certains plans ne seront pas sans évoquer d'authentiques images d'actualité de catastrophes naturelles. 

On est ainsi très vite rassuré de constater que la personnalité d'Anno n'a pas du tout été dissoute dans une franchise qui a par ailleurs rarement transcendé ses ambitions commerciales. Le film multiplie les parti-pris tant esthétiques que narratifs qui en font à leur façon un authentique film d'auteur : cadrages ultra-graphiques, montage au cordeau, et surtout un scénario qui maintient un fragile équilibre entre le sérieux et la satire. Mais une satire froide et aucunement bouffonne, qui s'amuse à démonter les mécanismes du pouvoir et de la hiérarchie, avec les réactions des autorités face au danger, les informations transmises au compte-goutte à la presse, les changements de gouvernement, la gestion de la population sinistrée, etc.


Il devient très vite évident qu'en mettant en scène les mensonges de l'administration, le film fait allusion aux manquements des autorités japonaises lors de la crise de Fukushima, et s'affirme comme un objet ouvertement subversif. Une fois que les divers experts militaires, politiques et scientifiques auront vu leurs intuitions mises en déroute, le salut viendra d'une poignée de nerds auxquels on aura donné carte blanche, et on retrouve évidemment bien là la patte d'Anno, qui va s'attarder sur la camaraderie et la solidarité qui va se nouer entre eux. Les scènes de cataclysme et d'affrontements se retrouvent alors très resserrées, limitées à 3 ou 4 temps forts qui gagnent à chaque fois un peu plus en impact. Cette direction pourra légitimement être considérée comme blasphématoire par certains fans qui trouveront le résultat trop bavard et trop timide en spectaculaire. Le film est sans doute trop long, et je reconnais qu'une fois passée la jubilation que suscitent ses radicaux parti-pris, on a quand même envie de revoir le gros lézard en action. En étant appelé sur ce film, Anno avait été contraint de mettre en sommeil la production du 4e et dernier volet de son Evangelion rebuild. Au vu du résultat, on ne se montrera pas trop chagrin.





DOSSIER GODZILLA :

Aucun commentaire: