6 février 2016

Gojira on tour I. 1954-1966



Gojira (Godzilla), Inoshiro Honda, 1954
En même temps qu'il crée une nouvelle icône du cinéma, le réalisateur Inoshiro Honda livre là pour les studios Toho le maître étalon d'un genre qui allait devenir immensément populaire au pays du soleil levant : le "kaiju eiga" ou film de monstres géants. Par son ton constamment grave, ce Gojira premier du nom demeure sans doute comme son représentant le plus digne. Et tandis que ses rejetons n'auront droit qu'à des comédiens de seconde zone, celui-ci bénéficie de la présence de l'épatant Takashi Shimura, acteur fidèle de Kurosawa (et Honda collabora lui-même à plusieurs reprises avec le maître du cinéma nippon). Godzilla se démarque de même par sa photographie noir et blanc, particulièrement propice à l'émergence de visions terrifiantes au réalisme quasi documentaire. Le film signe également la naissance du formidable thème musical d'Akira Ifukube, riche d'une inquiétante majesté.

Fidèle en cela à une certaine tradition du film de monstres, Honda dissimule le plus longtemps possible l'apparence de sa créature, s'attardant dans un premier temps sur les conséquences de son passage, qu'elles soit materielles ou humaines. Il décrit l'effarement qui saisit une population face à une catastrophe aussi incroyable. Héritier des monstres créés par Willis O'Brien pour The Lost world (Hoyt, 1925) et surtout King Kong (Cooper & Schoedsack, 1933), Godzilla se manifeste certes par la destruction de maquettes urbaines. Mais il est avant tout l'incarnation du traumatisme de la bombe atomique. 

Terre de catastrophes naturelles, le Japon subissait en 1945 un désastre qui allait profondément marquer son imaginaire. Les ruines et la menace d'un cataclysme deviennent  alors la principale phobie d'un peuple, et l'on ne compte plus les films et les mangas qui mettent en scène des mégalopoles réduites en poussière, comme autant de symboles de la vanité humaine, de l'inconscience scientifique ou de l'égoïsme politique. Créature antédiluvienne éveillée par les bombardements nucléaires, le lézard géant au souffle radioactif renvoie l'homme à sa mauvaise conscience. Le charabia scientifique et la victoire finale des humains ne suscitera nulle réelle exaltation, car nous savons désormais que rien ne nous préservera d'encourir prochainement une nouvelle colère divine.



Sora no daikaijû Radon (Rodan), Inoshiro Honda, 1956
Ce ptérodactyle géant ("Radon" en VO) est un des membres les plus attachants de la famille des monstres nippons. Sa silhouette ne manque pas d'allure et le déplacement d'air qu'il provoque et qui emporte tout sur son passage, pareil au souffle d'une explosion atomique, donne souvent lieu à de fascinantes images. Néanmoins, il faut bien le dire, ce film est franchement peu imaginatif, ou bien il a perdu de son impact après tant d'autres œuvres du même tonneau. En effet sur le plan du récit le spectateur a constamment plusieurs longueurs d'avance sur les personnages. Honda ne parvient pas à maintenir l'attention, s'acharnant à enrober la menace d'un mystère vite éventé : le film s'appelle Rodan, il y a un gros monstre ailé sur l'affiche, pas la peine de tenter de nous tenir en haleine, on sait d'emblée qui est le responsable. Si au moins il y avait une intrigue avec les humains digne de ce nom. Mais non, contrairement à la plupart des kaiju eiga qui s'arrangent toujours pour avoir une narration même empreinte de naïveté, Rodan propose un récit désespérément plat. Toute la première heure est en effet consacrée aux différentes investigations des hommes au sein d'une mine ou d'un cratère, succession de scènes de réunion entre pseudo-scientifiques et militaires. Pas de héros à suivre, et l'ennui finit par pointer malgré les apparitions tout de même sympathiques d'une espèce de fourmi géante au cri horripilant. 

Plastiquement, le film nous offre heureusement de jolies images en Technicolor, tant dans la mine que sur les pentes des montagnes. Son plus gros défaut est qu'on ne voit pas assez Radon. Parce qu'une fois sorti de son trou, son carnage en ville est vraiment réussi, avec des maquettes non seulement très détaillées mais magnifiquement détruites. Œuvres du magicien Eiji Tsuburaya, les immeubles miniatures se désagrègent en effet avec un réalisme stupéfiant. Certes, l'animal n'a aucune grâce dans son pitoyable battement d'ailes, et les câbles qui le soutiennent sont un peu trop souvent visibles. Mais son impact est bien réel, surtout lorsqu'un second spécimen le rejoint dans la mêlée. Bien qu'émouvante comme il se doit, la fin des deux compères s'avère décevante : un pauvre défilé de stock shots d'explosions et de tirs de roquettes déclenche une éruption volcanique entraînant la mort des bestiaux sans plus de résistance que cela.




Furankenshutain no kaijû : Sanda tai Gaira (La Guerre des monstres), Inoshiro Honda, 1966

Visuellement et thématiquement, il s'agit sans doute là d'un des plus beaux kaiju eiga sorti des studios Toho. À première vue, le film ne se détache pourtant pas vraiment du genre en ce qui concerne les personnages humains et l'intrigue : même schéma narratif éculé (manifestations du monstre, incrédulité des autorités, déploiement lassant de forces militaires), interprétation au rabais (Russ Tamblyn en guest star), personnages aux réactions/déductions d'une bêtise désarmante, etc. Mais l'ensemble se suit sans ennui, et l'on peut sans trop de difficulté trouver du charme à ces approximations. Akira Ifukube est toujours de la partie et compose un thème fort agréable avec ses envolées de trompettes, ainsi qu'une chanson pop en anglais assez irresistible. L'essentiel étant bien sûr les gros monstres promis par le titre, et qui bénéficient ici d'un traitement royal. Leur design ne semble pas à première vue des plus réussis et pourtant, peut-être parce qu'ils  sont humanoïdes, les deux géants témoignent d'une expressivité bien plus poussée que les mutants caoutchouteux de la bande à Godzilla. 

Du coup, leur relation est vraiment intéressante, basculant tragiquement du soutien fraternel à l'affrontement fratricide. L'un est bon et proche des humains, l'autre n'est qu'une brute, mais Honda évite de verser trop facilement dans le manichéisme et crée des images d'une inattendue poésie, comme celle qui surprend un des monstres en train de s'abreuver paisiblement à un fleuve. Ce n'est pas un hasard si cette Guerre des monstres évoque tantôt King Kong, tantôt Frankenstein, car Honda en a toujours assumé l'héritage. Les combats sont plus gargantuesques que jamais avec des maquettes généreusement maltraitées. Les décors surprennent d'ailleurs par leurs vastes dimensions, offrant ainsi des plans assez inédits et très dynamiques. Le spectacle est aussi violent que fascinant et le film se conclut sur une note pleine d'inquiétude puisqu'il voit défiler le générique de fin alors que rien n'a confirmé la mort des géants. Nous sommes encore dans la période sérieuse du genre, avant l'infantilisation dans laquelle il va bien vite sombrer.





DOSSIER GODZILLA :

Aucun commentaire: