5 octobre 2018

Fictions françaises

Régis Jauffret, Fragments de la vie des gens, 2000
Jauffret y propose une suite de courts chapitres, comme autant de petits romans-variations d'une noirceur terrifiante sur — en gros — la vie de couple, l'insatisfaction existentielle de personnages coincés dans un environnement urbain sans empathie, et qui n'ont pour seules options que la défenestration ou le meurtre gratuit. Jamais de prénoms, c'est toujours "Elle" ou "Il". C'est impeccablement écrit, dans un style clinique que Jauffret semble parfaitement maîtriser, au risque de relever de la recette. C'est tellement vrai que c'est cette même recette, cette capacité à voir la vie comme autant de faits divers, qu'il réemploiera dans Microfictions (mais aussi Univers univers, et encore dans Microfictions 2018), sorte d'équivalent littéraire au cinéma glaçant de Michael Haneke (71 fragments d'une chronologie du hasard).

Le principe de la succession et de l'accumulation fait que chaque petit récit finit par laisser une impression de ressassement. Cette monotonie est certainement voulue, parce qu'elle colle avec son sujet. Sans doute que Jauffret cherche ainsi à assécher l'émotion de son lecteur, à le rendre indifférent au sort de ses héros du désespoir. En ce qui me concerne, ça m'a gavé, et j'ai lâché le bouquin au bout d'une trentaine de nouvelles (il en compte une cinquantaine). J'ai trouvé ça un peu dommage, parce que je reconnais le talent mis en œuvre, et que ça m'a évoqué un autre texte ultra-plombant qui lui m'avait bouleversé il n'y a pas longtemps : Bord de mer, de Véronique Olmi. Mais j'ai trop de trucs à lire pour accepter de m'imposer jusqu'au bout une aussi pénible expérience...




Christophe Dufossé, L'Heure de la sortie, 2002
Un premier roman primé, à l'écriture plus que finement ciselée, jusque dans les dialogues, ce qui finirait presque par nuire à la crédibilité de l'histoire, les personnages parlant en effet presque trop bien. Mais rien n'est pourtant gratuit, et ce qui est passionnant ici c'est que Dufossé ne se cantonne pas au simple déroulement de son intrigue, pourtant suffisamment riche en soi, dérangeante, se réclamant de plusieurs genres tout en en défiant les codes.

En effet, c'est avant tout la personnalité d'un narrateur aux sentiments momifiés qui fascine ici, observateur impitoyable de la médiocrité humaine qui l'entoure, au-dessus de laquelle surnage cette classe de préadolescents au comportement décalé, comme hors de leur corps. L'auteur compose ainsi de la première à la dernière ligne une atmosphère franchement étouffante, donnant le pressentiment d'une horreur sourde. La lecture en devient si ce n'est désagréable, en tous cas plus que perturbante, et j'ai plus d'une fois été écœuré. C'est donc très bien, mais il faut aimer le malsain. Curieux d'en découvrir l'adaptation ciné qu'en a tiré Sébastien Marnier.




Jean-Philippe Blondel, Accès direct à la plage, 2003
Premier récit publié par Blondel. Construit sur un enchaînement de subjectivités, ce très court bouquin nous invite à partager les pensées d'un groupe de personnages, saisis sur quatre décennies et plusieurs générations lors de leurs vacances estivales en bord de mer. J'avoue qu'au départ, j'étais peu convaincu par le procédé que je trouvais  facile, genre j'ai trouvé un thème sympa (le contexte des vacances), et je l'aborde sous autant d'angles que j'invente de personnalités. Et après ? Après, progressivement, une vraie toile se compose sous nos yeux. Ces personnages se révèlent ainsi tous liés les uns aux autres, parfois sans le savoir et c'est vraiment là que ça devient bon.

Alors on est content de disposer de plusieurs doigts pour marquer certaines pages, faire des allers-retours avec la table des matières qui liste les dates et les noms, pour bien repérer qui est qui, qui était où, faisait quoi, a croisé qui, quand, etc. Blondel brasse peut-être un peu trop de sujets, mais au final ces destins croisés ont quelque chose d'assez touchant, avec ce sentiment d'existences parfois gâchées mais pas irrémédiablement, que les hasards de la vie permettront peut-être encore de rattraper. Et moi qui suis fasciné par la question du destin et des coïncidences, ça m'a finalement bien parlé. Blondel se révèle fin observateur et juste dans la caractérisation de ces personnages d'âges, de sexes, de classes et d'origines différents, avec un langage qui évolue un peu avec le temps mais qui reste toujours très posé, entre journal intime et monologue intérieur. Pas mal du tout.

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