21 septembre 2018

Le Cinéma de M. Night Shyamalan II. 2004-2006

The Village (Le Village), 2004
Un très beau film, peuplé de personnages forts et émouvants, richement habités par ses acteurs. Dans le rôle d'Ivy, Bryce Dallas Howard est une vraie révélation, tandis que Joaquin Phoenix est d'une dignité bouleversante. Tout juste auréolé de son prix à Cannes pour Le Pianiste, Adrien Brody s'est joliment dépêtré d'un rôle qui aurait pu sombrer dans la caricature (je le dis parce qu'il m'a ému). Par rapport à ce qu'ils vivent et aux passions qui les animent, le fait qu'ils aient souvent les larmes aux yeux me semble plutôt justifié. Le travail de réalisation est une nouvelle fois passionnant de bout en bout, bénéficiant des complicités de Roger Deakins, pour les yeux, et James Newton Howard, pour les oreilles, qui font ici des merveilles.

Comme dans les précédents films de Shyamalan, ce que vivent les personnages, le regard attentif et délicat qui leur est accordé, la vérité des sentiments qu'ils expriment, sont bien plus puissants et prégnants que la seule quête du "twist final", la révélation de la clé du mystère guettée par le spectateur blasé. On est sans doute ici face à son film le plus matérialiste, puisqu'il s'agit cette fois d'interroger la valeur de la fiction et de la fantaisie. SPOILERS // Le film peut très bien être lu comme une fable, avec ces adultes qui, exploitant (trahissant) la confiance de leurs enfants, vont leur imposer, leur fabriquer, un monde idéal et sous contrôle. Ils prétendent pouvoir ainsi protéger leur innocence et les préserver d'une réalité violente, qu'importent les moyens. C'est le rêve d'une société déjà privilégiée, pères et mères de famille médecins qui ont financé cette enclave et ses employés voués au secret. Les intentions sont bonnes, mais le rêve se transforme en cauchemar. Sans jamais le nommer, on baigne dans les conséquences traumatiques du 11 septembre, de la violence aveugle et absurde qui pousse à s'abstraire du monde extérieur. Shyamalan est un conteur magicien, et prouve que son inspiration est loin d'être tarie.




Lady in the water (La Jeune fille de l'eau), 2006
Après une série de films aussi réussis, intelligents dans leur mise en scène et originaux dans leur idées, j'eus un peu de mal à en convenir au sortir de cette Jeune fille de l'eau, mais pour la première fois Shyamalan me décevait. Je partais pourtant confiant, prêt à me laisser surprendre et embarquer dans une nouvelle fable sur la foi et l'incursion du fantastique dans le quotidien le plus trivial, savourant à l'avance de nouvelles trouvailles de mise en scène. On retrouve effectivement clairement sa patte dès le plan d'ouverture. La réalisation est par la suite souvent passionnante, la musique de Newton Howard une nouvelle fois pleine de majesté. Shyamalan propose un dispositif scénique plutôt intriguant avec cette résidence en huis-clos et ses locataires pittoresques (trop pittoresques ?). Après Le Village, le commentaire politique du réalisateur s'affirme, avec cette idée d'une œuvre qui influencera peut-être dans le futur un dirigeant, et ces images de guerre discrètement captées sur les écrans de télé. Ce Lady in the water est également le film où Shyamalan utilise le plus d'effets spéciaux. Les créatures sont très réussies, la terreur fonctionne bien. Mais c'est un peu comme si son cinéma perdait un peu de sa "pureté".

Je pense que c'est son film où il se lâche le plus côté humour et si ça fonctionne plutôt bien, ça finit aussi par donner l'impression qu'il croit lui-même à peine à ce qu'il raconte. Pas mal de scènes et de dialogues semblent commenter l'action elle-même, comme s'il fallait en désamorcer le risque de ridicule, taper du coude le spectateur pour susciter sa connivence, mettant à bas ce qu'on appelle le quatrième mur. En soi, c'est plutôt amusant, mais ça crée une distance, une ironie à laquelle il ne nous avait pas habitués. Ses films précédents flirtaient dangereusement avec la suspension d'incrédulité, mais parvenaient à chaque fois à s'en sortir intelligemment en abordant leurs sujets avec une grande sincérité. Parasité par ce métadiscours, le récit écope alors d'un rythme bancal, s'enlisant laborieusement dans la mise en place de sa mythologie, qui finit par prendre trop de place au détriment des personnages eux-mêmes. Au lieu de fasciner, Narf est inexplicablement sous-exploitée, laissant les humains faire le boulot. Je comprends bien que ce sont les intentions du réalisateur, mais du coup on passe complètement à côté de la force d'une telle figure. Malgré la beauté du visage et du corps de Howard, à aucun moment son personnage ne m'a vraiment charmé. Le final se rattrape heureusement, retrouvant enfin de l'élan et porté par un beau souffle. La dédicace en fin de générique est également assez touchante.

Je suis pas sûr que ça veuille dire grand chose, mais c'est à la fois un film très étrange et peu conventionnel dans sa narration, et en même temps celui qui fait le plus de concessions aux goûts du public. Comme si Shyamalan avait perdu confiance en son imaginaire. Façon sans doute courageuse de ne pas se reposer sur ses lauriers, d'interroger son statut mais aussi les attentes de ses spectateurs. Mais ça devient du coup davantage un objet de réflexion qu'un divertissement, et les quelques moments qui tentent de faire surgir un émerveillement au premier degré sont trop vite dilués.



DOSSIER M. NIGHT SHYAMALAN :

3 commentaires:

Benjamin a dit…

Il faudrait que je revois La fille de l'eau. Mais tu évoques l'humour du film... C'est finalement aussi l'humour que l'on peut apprécier dans The visit. Un humour probablement différent... Cependant, il sort d'une période faste avec un film qui par son humour retire un peu de notre fois au récit. Il sort d'une période très décevante par un film qui nous rappelle que le fantastique peut être porteur d'une certaine ironie et sans trop croire à son récit non plus. Bon maintenant, Signes aussi a de l'humour.

Elias FARES a dit…

C'est vrai que Signes commençait déjà à faire un peu de place à l'ironie, et ça coince parfois un peu, enlevant comme tu dis la force de toute cette question de la foi qui sous-tend si bien tous ses films. The Village retrouve heureusement ce côté récit au premier degré, et c'est ce qui fait qu'à mes yeux il conserve encore toute sa force. Par contre, After earth a beau être dénué d'ironie, ça n'empêche pas le film d'être mauvais.

E.

Benjamin a dit…

Absolument !