Pour rédiger L'Adversaire, Emmanuel Carrère a été amené à traverser de sombres territoires. Cette expérience éprouvante a qui plus est été couronnée par le succès, aussi bien public que critique, faisant dès lors passer son auteur dans une autre sphère, assurément envisagée, voire souhaitée, mais ne le mettant pour autant ni en confiance ni dans le confort. Les années qui suivent seront donc pour lui des années de crise, où il ne cessera certes pas de travailler (articles, scénarii et même réalisation), mais peinera néanmoins à reconnaître quelle direction donner à son œuvre désormais. Un roman russe sortira finalement 7 ans après L'Adversaire. Le livre se présente donc comme le reflet de cette crise, et c'est une nouvelle fois un texte puissant et dérangeant. Dérangeant, parce que cru et impudique. Et bouleversant pour les mêmes raisons.
Cette fois, Carrère assume la part autobiographique que ses livres précédents laissaient seulement affleurer à la surface. Il est le sujet, ne racontant pas platement un quelconque parcours de vie, mais plus directement ses angoisses, ses amours et surtout faisant courageusement le bilan de son héritage familial, puisqu'il est aussi question de retour aux origines et plus précisément à la Russie. Il y fait donc différents récits, entremêle les époques de façon étonnamment harmonieuse, sans artifices ni lourdeur, mais avec une sincérité et une justesse qui m'ont littéralement envoûté. Pas évident dès lors de trouver les mots pour en parler, mais ce fut clairement une lecture marquante de plus à mettre au crédit de l'auteur. Le bouquin n'est pas épais, mais il est écrasant, contenant et livrant plein d'existences. Et toujours cette écriture à la fois simple et inexplicablement captivante.
Cette fois, Carrère assume la part autobiographique que ses livres précédents laissaient seulement affleurer à la surface. Il est le sujet, ne racontant pas platement un quelconque parcours de vie, mais plus directement ses angoisses, ses amours et surtout faisant courageusement le bilan de son héritage familial, puisqu'il est aussi question de retour aux origines et plus précisément à la Russie. Il y fait donc différents récits, entremêle les époques de façon étonnamment harmonieuse, sans artifices ni lourdeur, mais avec une sincérité et une justesse qui m'ont littéralement envoûté. Pas évident dès lors de trouver les mots pour en parler, mais ce fut clairement une lecture marquante de plus à mettre au crédit de l'auteur. Le bouquin n'est pas épais, mais il est écrasant, contenant et livrant plein d'existences. Et toujours cette écriture à la fois simple et inexplicablement captivante.
Retour à Kotelnitch, 2003
Il était inévitable que je complète ma lecture d'Un roman russe par
ce documentaire sorti quelques années plus tôt en salle après avoir pas mal tourné en festivals. Dans son livre, Carrère l'évoque longuement, puisque son tournage sera en quelque sorte son point de départ. Bien plus qu'un parfait complément, ce film transpose en fait assez exactement le principe d'écriture alors adopté par l'auteur. À savoir aborder son sujet en se mettant soi-même au cœur du dispositif.
Le réalisateur est donc non seulement présent à l'image, mais son commentaire assume pleinement sa subjectivité. Carrère livre avec ce documentaire une œuvre admirablement construite, émouvante et profondément personnelle. C'est un voyage qui ne vise pas à créer de la distance mais au contraire nous permet d'approcher les quelques destins qu'il choisit de raconter. Et on n'oubliera pas de sitôt cette poignée de personnages, leurs peines et leurs joies ici saisies et partagées.
Le réalisateur est donc non seulement présent à l'image, mais son commentaire assume pleinement sa subjectivité. Carrère livre avec ce documentaire une œuvre admirablement construite, émouvante et profondément personnelle. C'est un voyage qui ne vise pas à créer de la distance mais au contraire nous permet d'approcher les quelques destins qu'il choisit de raconter. Et on n'oubliera pas de sitôt cette poignée de personnages, leurs peines et leurs joies ici saisies et partagées.
D'autres vies que la mienne, 2009
Décidément cet écrivain offre dans ses bouquins comme dans ses films d'incroyables plongées au cœur
de l'âme humaine. C'est passionnant de le suivre dans son projet littéraire, dans cette quête de la vérité entamée à partir de L'Adversaire et qui s'affirme ici plus que jamais. D'autres vies que la mienne est une nouvelle épopée de l'intime qui m'a laissé profondément
remué. Carrère et sa personne demeurent le fil rouge, mais les
vies — et les morts — qui tournent autour de lui font tout autant partie de son
destin. Et c'est toujours aussi perturbant d'être ainsi confronté à la justesse
de ses observations, d'apprécier sa capacité à explorer l'âme des gens qu'il décrit, qu'il
rencontre, et dont il rend compte.
Parce que ce sont tout simplement des âmes humaines dans lesquelles on est forcément amené à se retrouver d'une façon ou d'une autre. Et que son regard n'est pas pour autant éloigné des réalités sociales, de ce qui nous lie ou nous aliène. Le tout est raconté sans naïveté, ni dénonciation stérile. On est plutôt dans le constat implacable. L'écriture est sans gras, simple en apparence, et en même temps elle donne l'impression d'avoir trouvé une formule quasi alchimique qui s'adresse directement au plus profond de nous-même. C'est donc encore une fois une lecture incroyablement puissante, presque magique qui confirme plus que jamais, mon désir de poursuivre l'exploration de cette œuvre, littéraire comme filmique, tant tout semble indissociable. Et même d'y replonger à l'occasion. Le réalisateur Philippe Lioret adaptera librement une partie du livre dans son magnifique Toutes nos envies (2011).
Parce que ce sont tout simplement des âmes humaines dans lesquelles on est forcément amené à se retrouver d'une façon ou d'une autre. Et que son regard n'est pas pour autant éloigné des réalités sociales, de ce qui nous lie ou nous aliène. Le tout est raconté sans naïveté, ni dénonciation stérile. On est plutôt dans le constat implacable. L'écriture est sans gras, simple en apparence, et en même temps elle donne l'impression d'avoir trouvé une formule quasi alchimique qui s'adresse directement au plus profond de nous-même. C'est donc encore une fois une lecture incroyablement puissante, presque magique qui confirme plus que jamais, mon désir de poursuivre l'exploration de cette œuvre, littéraire comme filmique, tant tout semble indissociable. Et même d'y replonger à l'occasion. Le réalisateur Philippe Lioret adaptera librement une partie du livre dans son magnifique Toutes nos envies (2011).
Limonov, 2011
Carrère trouve avec la figure controversée d'Édouard Limonov, poète punk dans la France des années Mitterand et militant radical dans la Russie de Poutine, un matériau formidable pour poursuivre cette singulière œuvre semi-autobiographique entamée avec L'Adversaire. Mine de
rien, en effet, l'auteur en profite à chaque fois pour parler aussi de lui, et
je suis captivé tout du long tant tout ce qu'il a à en dire me parle alors que nos vies ne semblent pas avoir grand chose en commun. Toujours
avec cette écriture en apparence si simple, son goût pour la phrase dénudée,
presque ascétique, refusant les mots savants, cherchant plutôt la restitution
la plus juste d'une émotion intérieure, de façon presque clinique.
Limonov ayant écrit quasiment exclusivement dans le registre
autobiographique, Carrère a ordonné toutes les informations à sa disposition dans son œuvre pour en restituer l'édifiante trajectoire, les espoirs et les échecs, les
rencontres et les trahisons. Son analyse toujours fine et perspicace lui permet
au passage de nous donner une sorte de résumé parfaitement convaincant de
pratiquement toute l'Histoire de la seconde moitié du XXe siècle (rien que ça),
qu'il s'agisse de la vie en Union soviétique, des basculements idéologiques de
la France des années 80, des bouleversements né de la chute du Mur. J'étais dedans. Et comme à chaque fois que je finis un de ses livres (qu'on ne pourra plus appeler "romans"), je ferme le bouquin et reste en
arrêt devant la relative faible épaisseur de sa tranche, impressionné en me
rappelant tout ce qu'il contient, tout ce qu'il m'a donné à partager. Sentiment
précieux d'une lecture qui prend la forme d'une expérience.
DOSSIER EMMANUEL CARRÈRE :
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