6 avril 2016

Albert Camus, L'Homme révolté (1951)

Albert Camus, L'Homme révolté, 1951
éditions Gallimard, Paris



On imagine mal aujourd'hui les remous provoqués à l'époque par la publication de ce livre. Dans une langue qui sait faire place à quelques fulgurances poétiques, Camus interroge la notion de révolte et dresse le constat de ses manifestations à travers l'histoire des hommes et des idées. 

De Prométhée à  Sade, de Spartacus à Dostoïevski, de la Révolution française aux goulags soviétiques, la révolte semble systématiquement mener vers différentes formes de nihilisme qui conduisent trop souvent au crime d'État, justifiant le meurtre au profit de la raison révolutionnaire. À peine libéré de ses chaînes, l'esclave en fond de nouvelles pour encadrer sa liberté conquise. Aux maîtres d'hier se substituent d'autres bourreaux. Avec un courage qu'il est bon de replacer dans le contexte de la France d'alors, Camus aborde frontalement les horreurs du XXe siècle et l'imposture stalinienne. Les existentialistes, au premier rang desquels Jean-Paul Sartre, ne tolèreront pas une telle remise en question du communisme, apparemment incapables de voir que Camus ne juge pas ici une cause mais ses conséquences.


Le texte est ardu mais passionnant. On sent que l'auteur du Mythe de Sisyphe est porté par le désir de faire cesser l'hypocrisie qui a trop souvent placé l'idéal au-dessus de l'homme. L'approche historique est particulièrement intéressante parce que documentée, notamment tout le passage sur Saint-Just ainsi que celui sur les premiers révolutionnaires russes. Il y est également question du rapport de l'artiste à la révolte, qu'il soit poète (Lautréamont) ou romancier (Proust). 

Le livre pourrait être au final assez déprimant par cette accumulation d'exemples qui montrent que la révolte est condamnée pour s'accomplir à agir comme une force négative, source de mort qui ne cesse de promettre la lumière en versant le sang ou en pervertissant la pensée. Il n'y a pourtant pas lieu de s'ouvrir au desespoir. L'injustice demeure mais l'homme doit désormais pouvoir faire face à sa nature, affronter le présent sans calculer l'avenir, avec générosité, sans avoir la prétention de remplacer Dieu :

« Dans la lumière, le monde reste notre premier et notre dernier amour. Nos frères respirent sous le même ciel que nous, la justice est vivante. Alors naît la joie étrange qui aide à vivre et à mourir et que nous refusons désormais de renvoyer à plus tard. Sur la terre douloureuse, elle est l'ivraie inlassable, l'amère nourriture, le vent dur venu des mers, l'ancienne et la nouvelle aurore. Avec elle, au long des combats, nous referons l'âme de ce temps et une Europe qui, elle, n'excluera rien. »

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