19 mars 2016

Légendes de l'Ouest II. 1951-1962


Apache drums (Quand les tambours s'arrêteront), Hugo Fregonese, 1951
Typique en cela des productions Val Lewton, ce western se distingue particulièrement par la façon dont sa redoutable efficacité naît de son minimalisme de moyens. Loin de moi l'idée de vouloir réduire l'ensemble de sa production à cette caractéristique, mais c'est quand même particulièrement prégnant sur ce titre. L'intrigue est d'une simplicité qui confine à l'épure : un petit village de mineurs et de fermiers est menacé par des Indiens sur le sentier de la guerre. Dans l'attente du climax promis, on a droit à des études de caractères d'une subtilité inattendue, où les qualités de chaque personnage sont sans cesse contrebalancées par leurs défauts. Et réciproquement. 

Il y est notamment question d'un homme en passe de racheter ses fautes, mais aussi des conditions d'intégration sociale des Indiens, tolérés jusqu'à un certain point. Il apparaît que les actes des personnages ont ici de l'avance sur leurs pensées. Si Sam Leeds, joué par McNally, s'investit pour sauver la ville, il fait savoir explicitement — il dit ne jamais mentir — qu'il le fait pour prendre de l'ascendant sur le sheriff, son rival en amour. Selon lui, c'est l'orgueil qui le guide. Or, et c'est le pasteur qui en sera le premier conscient, il se place ainsi sur la voie de la rédemption. Mais tout ça est raconté et révélé sans aucun moralisme pesant. Ainsi le pasteur est au départ montré comme le garant de la bonne vertu du village, faisant  expulser les prostituées. A la fin, il en viendra à prier avec l'Indien, alors qu'il le considérait auparavant à peine comme un égal. Ce changement d'attitude n'est pas le résultat d'une évolution en ligne droite, dramatiquement commode mais peu réaliste. C'est au contraire fluctuant en fonction des événements, un peu comme dans la vraie vie. La fin laisse d'ailleurs pas mal de choses en suspens, avec cette étrange métaphore de l'âne qui vient têter sa mère. 

Ces seules qualités de caractérisation des personnages suffiraient à rendre le film mémorable. Mais on va réellement atteindre le sublime lors du dernier acte de ce petit bijou, qui tourne au huis-clos dans une église. Là, les beautés du Technicolor se laissent aller à une stylisation aux frontières du fantastique, ce qui me laisse penser que ce Apache drums pourrait avoir influencé de manière assez évidente Carpenter avec son Assaut. Tout est filmé de l'intérieur, la menace des Indiens reste invisible, on ne voit que leurs mains battant des tambours, faisant grimper une insupportable tension. Bref, un western remarquable par ses partis-pris esthétiques qui lui donnent une atmosphère singulière, et par ses personnages merveilleusement développés au sujet desquels il y aurait encore beaucoup à écrire.



Rawhide (L'Attaque de la malle-poste), Henry Hathaway, 1951
Du beau monde derrière cet épatant western : Dudley Nichols trousse un scénario superbement efficace, très minimaliste dans ses enjeux et pourtant captivant. Western en mode film noir, Rawhide met en scène une prise d'otage qui donne quasiment l'impression de se dérouler en temps réel, ne relâchant ainsi jamais la tension. Tyrone Power et Susan Hayward campent un faux couple pour lequel on ressent vite de l'empathie. Jack Elam est assez génial en vieille crapule. La photo noir et blanc de Milton Krasner est magnifique, mettant bien en valeur les très beaux paysages naturels. 

Et puis surtout la mise en scène d'Hathaway s'avère d'une redoutable précision. Aussi à l'aise dans le western que dans le polar, le réalisateur a une façon de gérer l'espace et les déplacements de ses personnages avec un brio discret mais réellement stupéfiant. Les scènes de violence sont quant à elles d'une brutalité assez étonnante, bien loin des bourre-pifs de convention hollywoodiens. En dehors de l'utilisation un peu hors-sujet de la mélodie de My darling clementine et de la voix off qui en ouverture et conclusion pense rendre hommage à la glorieuse époque de la malle-poste, on peut presque parler de film parfait.




Rancho notorious (L'Ange des maudits), Fritz Lang, 1952
Je l'ai vu dans de bonnes conditions et plutôt concentré, et je n'ai vraiment pas aimé du tout. Pourtant le film était pour moi précédé d'une excellente réputation assez unanimement partagée, le casting est de premier choix, mais rien n'a trouvé grâce à mes yeux : l'artifice des décors de carton-pâte éclairés sans magie, l'intrigue paresseuse de mauvaise série B, les chansons pénibles de la Dietrich... Le spectacle ne m'a procuré ni la fièvre ni les palpitations espérées. Non, vraiment ce fut une déception assez inattendue, un rendez-vous manqué.

Après The Return of Frank James qui avait au contraire été une belle surprise, il me restera encore à découvrir Les Pionniers de la Western union pour faire le tour des trois westerns signés Lang.



Saddle the wind (Libre comme le vent), Robert Parrish, 1958
Un western vraiment intéressant dans sa façon de mêler les grands thèmes de l'Ouest à un drame plutot intimiste, entre deux frères. Bien qu'excellent, John Cassavetes paraît déjà un peu trop âgé pour ce rôle de jeune chien fou. Tout le monde autour de lui s'obstine à le traiter de gamin alors qu'il affiche quand même une certaine maturité de visage et de corps. L'alchimie du couple qu'il forme avec Robert Taylor aurait sans doute pu mieux fonctionner si on avait pu croire davantage à son personnage. Par son seul talent, Julie London parvient heureusement à donner pour sa part une belle présence à un personnage à la limite du mobilier, et qui aura au moins donné lieu à une très belle scène chantée. Le film est également parfois un peu plombé par des inserts pas très finauds de gros plans manifestement tournés en studio.

Parrish dépeint un monde qui est en train de perdre ses rêves de grandeur. La guerre de Sécession n'a créé que des rancœurs, la conquête de l'Ouest s'achève dans la désillusion, les migrants sont persécutés, les prairies ouvertes à l'élevage vont devoir accepter l'arrivée du fil de fer barbelé, les brigands d'autrefois et leur code d'honneur appartiennent au passé. N'acceptant pas cette évolution, le jeune Cassavetes sombre dans la violence gratuite, substitue la vanité à l'héroïsme. Les grands espaces reprendront tout de même un temps leur place, lors du douloureux final situé dans un magnifique champ de lavande. Dommage que la conclusion (imposée ?) fasse sonner une fausse note de happy ending à un ensemble de plutôt bonne tenue.




Ride lonesome (La Chevauchée de la vengeance),  Budd Boetticher, 1959
Ça faisait longtemps que je voulais le voir, particulièrement séduit et intrigué par son méchant titre français. Et c'est du bon. Voilà un autre western pratiquant l'art du dépouillement : une dizaine de personnages, autant de chevaux, deux baraquements dérisoires et un désert rocailleux. Avec ça, Boetticher nous offre un film palpitant et assez original qui pourrait même préfigurer les néowesterns de Leone et Eastwood. L'impassibilité constante de Randolph Scott annoncerait en quelque sorte les cowboys incarnés par l'Homme sans nom : peu de répliques, l'impression de maîtriser n'importe quelle situation sans jamais exprimer ni peur, ni doute, et des personnages qui l'entourent beaucoup plus contrastés, chargés de lui apporter le relief nécessaire. Du côté de ces seconds rôles, on appréciera de croiser les trognes de James Coburn et Lee Van Cleef, idéalement castés. 

La mise en scène, toute en mouvements, suit ce petit monde avec une belle grâce. Certains plans sont particulièrement réussis, tel ce travelling qui suit les cavaliers, découvrant soudain à l'arrière-plan, au sommet d'une dune, des Indiens à cheval. Le plan final est quant à lui magnifique et vraiment marquant, avec notre héros réduit à l'état de silhouette, faisant face à l'arbre aux pendus en feu. Comme chez Leone, le personnage de Scott arrivé au bout de son chemin partage avec le spectateur la révélation de ce qui le hante et justifiait sa présence à l'écran, jusqu'à sa sortie du cadre. Sa vengeance accomplie, il cesse d'exister et consume symboliquement sa raison d'être.





How the West was won (La Conquête de l'Ouest), George Marshall, Henry Hathaway, John Ford et leurs amis, 1962
Peut-être l'avais-je vu gamin mais je n'en avais plus aucun souvenir. Certaines situations du début n'ont pas manqué de m'inquiéter, avec une intrigue qui s'annonce franchement indigne de la fresque ambitieuse promise : la petite famille pleine de foi de Karl Malden, Jimmy Stewart qui se fait avoir comme un bleu dans une caverne pour aller voir une soi-disante "bête sauvage", le commencement d'une romance un peu mièvre avec la toute fraîche Carroll Baker. Mais petit à petit, l'ambition du film se fait jour, pour aboutir à une véritable saga sur plusieurs générations, où l'on est invités à vivre la petite histoire dans la grande. Les ellipses d'un épisode à l'autre sont plutôt bien gérées. Et l'on assiste bientôt fasciné aux périlleuses expéditions des pionniers qui remontent les fleuves vers l'Ouest, à la difficile coexistence avec les Indiens, à la ruée vers l'Or, sans omettre évidemment la Guerre civile, et la façon dont le désordre et la loi ont lutté pour s'imposer sur de nouvelles terres. Autant de thèmes abordés sous l'angle de la fiction mais aux vertus documentaires. Si le film est une ode à l'esprit de bâtisseur du peuple américain, il se montre finalement assez critique du mythe du Far West. Les premiers immigrants s'affrontent entre eux, la quête de l'or se révèle vaine, la guerre n'aboutit qu'à de nouvelles désillusions, la bataille du chemin de fer a été gagnée sur les mensonges faits aux Indiens.

Hathaway inquiète donc un peu avec son premier épisode mais se rattrape vite lors d'une bagarre redoutablement dynamique. Il se sort déjà mieux du second épisode sur la ruée vers l'or, avec Gregory Peck en aventurier cool et Debbie Reynolds très enthousiaste dans ses numéros de cabaret. La séquence tournée par Ford est presque immédiatement identifiable, par sa chaleur humaine, son spectaculaire mesuré, son émotion, et le jeune George Peppard s'y montre excellent. Montrant les conséquences de la sanglante bataille de Shiloh, le réalisateur s'attarde sur les répercussions de la guerre sur les hommes, et évoque le douloureux retour au foyer et l'espérance d'une nouvelle ère. Pour l'épisode du chemin de fer, George Marshall apporte beaucoup de rythme, avec des mouvements de caméra qui profitent bien du format fou qu'était le Cinerama, mettant en valeur aussi bien ses figurants que ses décors. C'est peut-être lui qui bénéficie du scénario le plus intéressant avec des enjeux dramatiques finement travaillés.

La production a clairement des moyens et le film bénéficie tout du long d'une superbe photographie en Technicolor, qui en fait souvent un régal pour les yeux. Les cascades sont toutes très réussies et inventives, et d'autant plus impressionnantes qu'on devine la lourdeur de l'équipement de tournage utilisé (pas mal de plans avec caméra embarquée). Je retiens particulièrement la trépidante attaque du convoi par les Indiens et l'hallucinante charge des bisons sur le chantier. Mais il faut reconnaître que le film est irregardable sur un écran de télévision modeste. Les gros plans étant quasiment absents, on a parfois du mal à reconnaître certains acteurs (John Wayne ou Eli Wallach, par exemple). Le Cinerama fut un gadget hélas sans descendance. Quelle salle proposerait aujourd'hui la projection d'une copie 70mm au format 2.75 sur un écran concave et un son multicanaux 7 pistes ?



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