11 juin 2015

Theodore Roszak en 5 romans

« Impressionnant », « intelligent », « passionnant »... Des qualificatifs qui reviendront souvent dans ces notes de lectures consacrées à l'écrivain américain Theodore Roszak (à l'occasion desquelles j'apprends qu'il est décédé en 2011). L'homme fut avant tout un universitaire reconnu dans son pays, ayant notamment forgé le concept de contre-culture dès la fin des années 60. Romancier sur le tard, il aura finalement relativement peu écrit de fiction mais j'ai beaucoup aimé retrouver à chaque titre ce mélange d'interrogations scientifiques de haut vol et de culture populaire. 



Dreamwatcher (L'enfer des rêves), 1985
Un excellent roman autour d'un concept aussi original que risqué. Sans y céder, Roszak oscille constamment entre les genres fantastique et espionnage (j'ai souvent pensé au Cronenberg de Scanners, The Brood et Videodrome). Et surtout son récit réussit le tour de force de nous faire littéralement plonger dans le monde des rêves, de donner à lire une expérience qui devrait tenir de l'indicible. Et il s'avère que c'est aussi crédible que dérangeant. 

« Le sommeil de la raison engendre des monstres », disait justement Goya. On se retrouve en effet ici bien vite face à des images et des idées perturbantes qu'on aurait préférer continuer à ignorer. L'atmosphère est donc particulièrement sombre, et c'est une lecture qui marque pas mal grâce à la force de caractérisation des personnages. Un roman efficace, et pourtant inexplicablement inédit en poche.





Flicker (La Conspiration des ténèbres), 1991
Honte aux éditeurs et à la traductrice pour ce titre traître ! Honte aux éditions du Livre de Poche pour le visuel de la couverture ! Choix idiots qui desservent complètement l'approche de ce roman extraordinaire qui ne mérite pas ces atours opportunistes de thriller mystico-conspirationniste... Le titre VO, Flicker, était parfaitement trouvé, synonyme à la fois de scintillement lumineux et de bout de pelloche. Roszak retrace avec une passion et une érudition fabuleuses rien de moins que toute la cinéphilie du XXe siècle, vue de la Côte Ouest. Il mèle assez génialement la légende et la fiction, aborde tous les genres possibles, imaginant la figure plus vraie que nature d'un mystérieux cinéaste allemand, venu comme d'autres à Hollywood à la fin des années vingt pour sombrer dans la minable série B (on est plus proche d'un Ulmer que d'un Murnau). C'est brillant, drôle, touchant et terrifiant à la fois. 

Avec une écriture très fluide, Roszak célèbre avec beaucoup d'intelligence l'art des créateurs et interroge cette étrange magie que le cinéma opère sur le spectateur. Les personnages et les situations sont formidablement troussés au sein d'une intrigue foisonnante faite de mystère et de passion. Et quand ça délire, c'est fait avec un soupçon d'autodérision qui n'est pas loin d'évoquer les fresques érudites d'Umberto Eco. Le bouquin demeure aujourd'hui le best-seller de son auteur et reste pour moi l'un de mes romans préférés tant il me parle et me comble. Fut un temps où l'on annonçait une adaptation ciné par Aronosfki mais je doute que ce soit toujours d'actualité (et je réalise que tous les romans de Roszak pourraient donner lieu à de très bons films). Bref, voilà une lecture dont je rends compte très mal mais qui m'a totalement enthousiasmé et que je recommande plus que vivement à tous les cinémaniaques.








The Memoirs of Elisabeth Frankenstein (Les Mémoires d'Elisabeth Franenstein), 1995
Derrière ce titre fort prometteur se dissimule non pas une variation, mais véritablement une relecture du roman gothique de Mary Shelley d'un point de vue féminin, et en fait clairement féministe. En effet, à travers l'autobiographie fictive de la compagne du savant fou au destin tragique, Roszak fait le portrait de la condition humaine de la femme à une époque de grands bouleversements scientifiques. Alchimie antique et science moderne s'y opposent comme s'opposeraient deux religions tout aussi aveugles à leurs erreurs. 

Le postulat est assez passionnant, et le pari ambitieux est réussi malgré une partie centrale relativement fastidieuse où l'auteur a un peu trop à cœur la description dans le détail de rituels alchimiques, sans doute authentiques mais qui nuisent un peu à une franche immersion.





The Devil and Daniel Silverman (Le Diable et Daniel Silverman), 2003
Une farce irrésistible. Particulièrement inspiré, Roszak y trousse un récit franchement drôlatique et en même temps militant qui dénonce avec panache l'intégrisme chrétien d'une bourgade reculée du Minnesota (comprendre : Amérique du Nord). La satire y prend une dimension cauchemardesque et en même temps rien ne semble irréaliste ou exagéré, ce qui en rend la lecture particulièrement édifiante.

C'est parfois un peu démonstratif dans la forme (le protagoniste enchaînant un peu artificiellement les occasions de débat au cours de ses rencontres successives), mais c'est plein de piquant et, comme toujours chez l'auteur, érudit et pertinent. Je reste ici encore gêné par le choix éditorial de le publier dans la collection thriller à couverture noire du Livre de poche qui, surtout associée au titre, pourrait laisser penser qu'on a affaire à un roman d'épouvante (personnellement, j'ai plutôt souvent pensé à David Lodge)





The Crystal child (L'Enfant de cristal), 2007
L'homme ne se forçant apparemment à écrire que dès lors qu'il a vraiment des choses à dire, Roszak pondait ici un roman à la fois ample et très intime, finalement très déstabilisant tant par son sujet que par sa construction. Il y est question de la mort, de la quête de l'éternelle jeunesse, le tout avec un souci d'exactitude et une finesse de raisonnements qui en font une lecture captivante, au-delà même des enjeux du récit proprement dit. Celui-ci se déroule d'ailleurs sur un rythme étonnamment lent mais jamais ennuyeux, qui donnerait presque une impression de douceur. Le fantastique n'y naît que couplé à l'émotion.

Le roman ne convainc pas forcément tout du long, mais distille un vrai charme, né précisément de son rythme et de son atmosphère cotonneuse. Une lecture fragile, un livre étrange et en fait assez beau.

3 commentaires:

Véronique Hottat a dit…

Theodore Roszak est un auteur que j'apprécie beaucoup, et j'ai lu tous les romans que tu cites, à l'exception de The Devil and Daniel Silverman. Je les ai tous aimés, avec un bémol tout de même concernant L'enfant de cristal. Il y a du bon (réflexion sur le corps, la vieillesse et le temps qui passe) et du moins bon (j'avais parfois l'impression de lire un roman d'une sorte de gourou messianique au discours abscons et trop hermétique). Quoi qu'il en soit, un auteur intéressant et assez fascinant.

Elias FARES a dit…

Malgré son titre français et sa couv imbéciles, "La Conspiration des ténèbres" reste pour moi un des livres les plus enthousiasmants que j'aie pu lire. J'ai noté un peu comme toi des réserves sur "L'Enfant de crystal", sans doute trop bavard. Mais si tu es cliente de cet auteur, il y a de fortes chances pour que tu te régales avec "Le Diable...". Derrière son irrésistible drôlerie, un vrai discours sur la foi et l'intolérance.

E.

Véronique Hottat a dit…

Le titre est débile, nous sommes bien d'accord là-dessus. Comment être crédible en conseillant un roman s'intitulant "La conspiration des ténèbres" ? Au secours ! J'aime aussi plus particulièrement ce roman, mais c'était également mon premier lu de l'auteur, puis il nous parle de cinéma, de l'image, de l'inconscient, de manipulation, de conspiration, puis de vieux films aussi (les cinéphiles sont ravis) bref comment y résister ?

Je lirai très certainement The Devil and Daniel Silverman, d'ailleurs je vais le noter dans ma PAL pour ne plus l'oublier ;)