Jules Roy, La Vallée heureuse
La vallée heureuse, c'est la vallée
de la Ruhr, ravagée nuit après nuit par les bombardiers de la R.A.F. pendant la
Seconde guerre mondiale. Roy s'inspire évidemment de sa propre
expérience de pilote, encore bien vivace (le livre paraît en 1946). Avec une
humilité assez touchante, il rend compte de la dure réalité de ces missions où
les hommes trouvent le temps de s'interroger sur la valeur de l'existence,
espérant à chaque fois que leur nombre leur permettra par un atroce jeu de
pourcentage de passer à travers les tirs de la D.C.A. et des chasseurs ennemis,
parfaitement conscients qu'ils bombardent non seulement des objectifs
militaires mais aussi des civils, parfois même leur propres concitoyens.
L'auteur n'abuse jamais du pathos, ne sombre ni dans la mièvrerie ou dans les
clichés du soldat tourmenté. Il nous hisse simplement à hauteur d'homme, dans
une communauté qui a ses codes, qui sait éventuellement faire preuve de
solidarité sans non plus perdre de vue certaines distinctions de classe. Une
vraie oeuvre de poète, dont l'intérêt dépasse le seul témoignage historique, et qui vient se ranger dignement aux côtés des récits de son camarade pilote, Saint-Exupéry.
Ernesto Guevara, Voyage à motocyclette
Pour ceux qui, comme moi, apprécient les récits de voyage,
voilà un très beau texte, dénué d'artifices comme de prétention, rédigé par Guevara
à l'occasion d'une traversée du continent sud-américain en 1952. Il s'agit
vraiment la plupart du temps de simples notes. Je ne pense pas que le Che
écrivait en ayant en tête une possible publication. On a davantage affaire à un
récit proche du journal intime, privilégiant l'anecdote au jour le jour et
affranchi de toute exigence narrative. On n'y trouvera par exemple aucun
dialogue. Il y a un côté très picaresque dans l'odyssée de ces deux routards
qui avalent des kilomètres à moto, en stop, à pied ou en bateau, se
débrouillant comme ils peuvent pour dormir et se nourrir, nous offrant au fil
des étapes des considérations tantôt touristiques, tantôt sociologiques sur les
différents pays traversés, où consciences du passé, du présent et de l'avenir
se mêlent. Entre deux crises d'asthmes, entre deux arrêts dans des léproseries,
Guevara trace un portrait saisissant de l'Amérique latine, de la réalité du
métissage des peuples, et d'une possible évolution de la situation politique
qui pourrait éventuellement trouver sa voie dans une révolution. Ceci n'est
qu'esquissé, mais rétrospectivement cette intuition prend évidemment un poids
tout à fait étonnant.
Il est des lectures qui étouffent
toute possibilité de commentaire. Je dirais juste que ce livre est, plus qu'une
leçon d'histoire, une leçon de vie, décrivant avec un détachement souvent
glaçant la suite de hasards formidables qui a permis à Wladyslaw Szpilman
de survivre durant six longues années aux privations, à la peur, à l'horreur et
à la mort, dans une ville progressivement réduite à une étendue de désolation, et alors que tout était fait pour annihiler le sentiment de sa propre humanité.
On sait de quoi l'homme est capable, du pire comme du
meilleur. Et ce livre, d'une admirable intelligence, évidemment bouleversant, parvient
encore à surprendre. La paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. Szpilman nous convainc d'y croire encore. Malgré tout, ou plus justement avant tout.
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