9 mai 2016

Les Trois romans de Donna Tartt

Le Maître des illusions (The Secret history), 1992
En abordant ce joli pavé d'une écrivaine américaine réputée prodige, je n'avais aucune idée ni du style, ni du genre que j'allais rencontrer. The Secret history, c'est une histoire d'une sensibilité écorchée qui nous fait partager les émois d'une bande d'étudiants dans le Vermont. Suivant l'enseignement privilégié d'un professeur en marge, notamment féru de mythologie antique, ils forment une communauté à part, sorte d'élite au sein d'un campus dont on finit par avoir l'impression de faire partie. À la fois chronique et roman noir, c'est aussi un livre sur l'amitié et ses utopies, doté d'un sens de l'atmosphère vraiment captivant, qui évoquerait pour aller vite un genre de croisement entre Bret Easton Ellis (pour la peinture du quotidien postadolescent) et Stephen King (on est parfois à la lisière du fantastique). 

L'écriture à la première personne est magnifique dans son attention portée aux détails. Dans son observation de la Nature et ses descriptions des sentiments humains, l'auteur multiplie les trouvailles poétiques, qui s'insinuent dans le récit proprement dit avec un naturel désarmant, ce qui renforce paradoxalement cette impression troublante d'une voix authentique. Un texte riche, fort et durablement marquant.




Le Petit copain (The Little friend), 2002
Après ce premier roman franchement fracassant qui donnait l'impression que l'auteur y avait déjà beaucoup donné, le risque était grand que l'œuvre à suivre déçoive les attentes. Or ça démarre très fort, et on a le plaisir de retrouver ici la patte décidément bien personnelle de Donna Tartt où — pour ce qu'en laisse paraître la traduction — chaque ligne enchaîne les trouvailles poétiques qui nous rendent incroyablement proches les personnages. Il y est question d'enfants plongés trop tôt dans un monde adulte plein d'horribles secrets. Le sujet traité porte évidemment sur la fin de l'innocence, et l'on est invité à assister à ce tragique mais inéluctable basculement. Une violence que je qualifierai de sourde est constamment présente et imprime à la lecture une sensation vraiment troublante. 

Tarrt a une capacité ahurissante à rendre son univers crédible, tant par le soin accordé à la description du cadre (une petite ville sans éclat du Mississipi) que par la complexité des personnages, développés dans toutes les dimensions. Elle se laisse peut-être un peu trop emporter par son talent, et j'étais parfois tenté de lui demander de faire un peu plus court (le livre est un pavé). Mais c'est quand même bien puissant, jusqu'à un final d'une tension délicieusement insoutenable.




Le Chardonneret (The Goldfinch), 2013
Il aura encore fallu attendre une dizaine d'années avant de voir le nom de Tartt orner à nouveau la couverture d'un livre, celle-ci se retrouvant d'ailleurs bien vite auréolée du prix Pulitzer, pour moi une valeur sûre. C'est toujours aussi bien écrit, et je suis vraiment sensible à cette façon qu'a l'auteur de décrire ces environnements désolés au cœur de l'Amérique, de narrer les errances de personnages qui décident de ne plus lutter avec la fatalité qu'ils se sont choisis pour destin. Parce qu'elle déborde de talents, Tartt ne peut s'empêcher de creuser le moindre élément de vie de ses personnages, avec minutie et vérité. C'est ce qui rend ses univers si crédibles et poignants, et ce roman comme les précédents ma régulièrement ému. 

Par ses thèmes et son style, l'auteur ne se renouvelle pas vraiment, mais s'aventure quand même sur les terres du thriller. Ce virage n'est peut-être pas des plus convaincants, mais comme il donne quand même lieu à quelques-unes des pages le plus fortes du bouquin, je n'en ferai pas non plus un reproche. J'avais aussi été tenté de considérer que Tartt s'égarait aussi de temps en temps dans les marges sur Le Petit copain, mais en même temps le bonheur de lecteur trône au premier rang. Trois romans en vingt ans, ça peut paraître peu et pourtant l'œuvre est tout simplement impressionnante. Selon sa sensibilité, on pourra préférer tel ou tel opus, le mieux étant sans doute, comme toujours, de les découvrir dans l'ordre.



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