29 août 2015

Téléchat, Henri Xhonneux+Roland Topor (1983-1986)

« Y'a bien trente-six sortes de chats
Des p'tits, des gros, des angoras
Chats de gouttière et chats siamois
Y'a qu'une télé c'est Téléchat... »

Diffusée sur Antenne 2 entre 1983 et 1986, Téléchat est à la base une initiative belge. Le producteur Éric Van Beuren et le réalisateur Henri Xhonneux (prononcer "oneu") s’associent à l'artiste pluridisciplinaire Roland Topor et après plusieurs tâtonnements, ils mettent au point leur concept, avec comme référence suprême bien qu’inatteignable, le Muppet show de Jim Henson. Émission des poils, des plumes et des choses, Téléchat prend des airs de télé-pirate qui, chaque jour pendant 5 minutes, occupe l’antenne au sein de Récré A2, le programme jeunesse de la chaîne animé par Dorothée et sa sympathique équipe (rappelez-vous Corbier, Jacky, Cabu, Roxan...). La première chose qui m’a ravi en redécouvrant cette émission fétiche de mon enfance, c’est le côté bricolo-cheap de sa fabrication, présent dès le générique avec sa maquette de ville en carton et son travelling mal assuré. Doté d'un budget dérisoire, Téléchat érige la récup', la débrouillardise et l’inventivité au rang d'art.

Sous le règne d’Yves Mourousi, et bien avant les Nuls ou Groland, les auteurs de Téléchat parodient le journal télévisé, dont ils reprennent le jargon plein d'autosuffisance. Le couple de présentateurs — Groucha le chat avec son bras dans le plâtre et Lola l’autruche australienne — répondent à une foultitude de questions pratiques concernant la vie des objets. En bons journalistes, toujours à l’affût du scoop et ne craignant pas de prendre des risques, ils font parfois de surprenantes découvertes scientifiques, « en direct et en exclusivité ! » 

Chaque jour (sordi, jourdi, dendrevi, mitanche, etc.) est l’occasion de fêter le saint de la journée, en l'occurence un objet que Groucha sort de son plâtre et balance derrière lui sur fond de musique délirante avec paroles en yaourt. Il faut d'ailleurs rendre ici hommage aux inventions musicales de Pierre Papadiamandis, compositeur pour Eddy Mitchell (Couleur menthe à l’eau, La Dernière séance), qui crée plusieurs musiques et jingles fort rigolos. Reportages, quizz et vie de plateau composent chaque épisode. 

Après le générique de fin, on retrouve Groucha et Lola dans le studio éteint, dans une auto sous la pluie nocturne ou dans un bar sur le point de fermer. Là, tombant le masque, ils se tutoient et font un peu le bilan de la journée sur fond de jazz cool. Cette séquence est l’occasion pour l’un et l’autre de tenter des allusions qui révèlent leur complicité extraprofessionnelle et leur attirance mutuelle, avec des tentatives de séduction bien maladroites se finissant soit sur le « couac ! » de Lola soit sur le regard caméra muet de Groucha.


Petit survol de la bande qui peuplait cet univers attachant : Mic-mac le micro qui accompagne Groucha dans ses investigations sur le terrain (« T'es branché Mic-mac ? »; Durallo le téléphone à moitié endormi (« C’est pour toi, Groucha »; Duramou le fer à repasser huissier de justice (« Ça fait pas un pli, pfffff...! »; Sophie la cuillère anglaise et Raymonde la fourchette ; Pub-pub le singe vert gâchant systématiquement la promotion des produits Nuls ; Olga la poubelle qui avale les objets fêtés que Groucha balance par-dessus son épaule (« Ch'est bon cha ! ») ; et les gluons, la plus fameuse trouvaille de l’émission, hilarants et plein de surprises puisqu’ils sont déguisés en fonction de l’objet dont ils émanent, le gluon étant la plus petite partie de la matière. À chaque fois qu'un gluon va être interviewé, on jubile d'avance à l'idée de découvrir son apparence (irrésistible épisode où Groucha fait passer une audition aux gluons du vent pour sa chorale).

Autre séquence qui remportait les suffrages et dont les spectateurs d'hier conservent un souvenir ému : les aventures de Leguman le superhéros potager, présentées comme un vieux feuilleton débile projeté en Super-8 depuis le Frigo-palace, joyeuse parodie des sentaï à la X-Or qui sévissaient à l'époque. À chaque fois le même principe : un monstre caoutchouteux — aspirateur, cuisinière, mixer, tondeuse — menace divers objets de consommation. Leguman surgit alors pour lui coller une raclée, signant sa victoire par un lever de bras aux cieux.

Tous ces personnages vivent et interagissent, acquérant une véritable existence sous nos yeux, se permettant des apartés tout à fait personnels à l’antenne, exprimant leur lassitude ou leur enthousiasme, imprimant leur humeur changeante à l'émission et proposant ainsi un vrai démantèlement de la société du spectacle. La fantaisie est constante, une vraie poésie se dégage de cette vision du monde, qui suggère un autre regard sur les objets qui font notre quotidien.

Pour les enfants, ce programme sans équivalent était tout simplement réjouissant, stimulant leur imagination, avec une qualité remarquablement maintenue au fil des épisodes, enrichie de nombreux running gags. L’humour très personnel et acide de Topor en profite pour livrer une critique aussi juste que désopilante de la télévision elle-même et de son apologie des biens de consommation, sous-texte qui en fait aussi un spectacle particulièrement savoureux pour les adultes. Parmi les sketches les plus tordants, nous ne résistons pas à l'envie de citer la course de camemberts coulants, l'horoscope de Lola, les pestacles de music-hall, l'émission nostalgique sur les "années marrantes", les J.O. de la vaisselle, ou encore le débat sur le racisme entre gluons du riz, du haricot rouge et du maïs.



Avec la saison 2, un nouveau présentateur fait son apparition, le lapin Grégoire de la Tour d’Ivoire (dit GTI), neveu du patron des produits Nuls, qui va venir véritablement pourrir l’émission. L’incompétent prend la place de Groucha, lance le générique de fin n’importe quand, intervertit les reportages, s'endort à l'antenne, et finit par jeter aux ordures Mic-mac, qu'il juge périmé ! Il reçoit des coups de fil de protestation, Lola est consternée et Groucha — relégué aux reportages en extérieur — ronge son frein. Les objets font la grève et refusent de collaborer. Aux archives, le balai Brossedur fait de la rétention d'informations. Laissé seul, GTI passe alors des reportages sur lui-même et impose un nouveau personnage : Bon Moment, instrument de mesure de la satisfaction du public, qui s'allume quand il y a de la bagarre et du danger en articulant : « Le public est... content ! » La vraie émission finit par se dérouler hors plateau, et c'est depuis le Milk bar ou chez Groucha que sont désormais lancés les épisodes de Leguman. GTI finira par quitter l'émission en plein direct et toute l'équipe retrouvera enfin sa place. On retrouvera plus tard le lapin balançant des reportages people au sein des pages de pub, entraînant alors la démission du singe Pub-pub qui ira vivre une amourette en Australie avec la mère de Lola ! Il ira encore plus loin dans la 3e saison, avec prise d'otage et nouvelles impostures.



L’émission connaîtra environ 230 épisodes et sera plébiscitée dans le monde entier, récoltant de nombreux prix, influençant la publicité comme la presse (Libération publia une édition spéciale, signée Groucha et Lola). Disney en acquerra les droits pour les États-Unis mais ne diffusera finalement pas, effrayé par le décolleté trop pigeonnant de Lola. 

Xhonneux, Topor et une bonne partie de l’équipe de Téléchat, surferont sur ce succès pour mener à bien un projet de long-métrage pour le cinéma, réalisant en 1989 ce film très surprenant qu’est Marquis, fantaisie animale sur les années de Bastille de Sade, au temps des prémices de la Révolution. Une œuvre à la poésie fiévreuse, destinée exclusivement aux adultes, qui propose une vision convaincante et sans compromis de la pensée du divin Marquis. Une production tout à fait hors-norme intégralement interprétée par des créatures de latex fortement sexuées, les visions de l'écrivain libertin étant animées en stop-motion. À découvrir absolument.


 « Chalut et à demain, si on veut bien ! »

4 commentaires:

Gui a dit…

comment faire un artcile sur telechat sans évoquer le fait que c'était terrifiant pour plein d'enfants ?
d'abord la critique de la télévision qui en fait le fond est totalement inaudible pour un enfant.
ensuite, les visages des personnages sont vraiment horribles et terrifiants. Lefer à repasser, on dirait la peau arrachée à un visage humain et collée sur un fer à repasser. Il y avait une vraie irresponsabilité clinique à diffuser ça dans des émission spour enfants.
Je regarde ça aujourdh'ui à 38 et je trouve ça vraiment très drôle, assez fin, intelligent et même gai, mais les tronches des personnages comme le téléphone, le fer à repasser ou le micro me semblent toujours aussi dégueulasse. Ca ne m'étonne pas que les persos aient ensuite fait du porno, comme vous me l 'apprenez.

Elias FARES a dit…

Je sais le traumatisme que ça a été pour pas mal de jeunes spectateurs de l'époque, mais je ne l'avais personnellement jamais perçu comme ça à l'époque. J'avais moins de 10 ans et j'adorais. Et le côté satirique, franchement entre les fausses pubs et les interviews débiles, je pense qu'il était quand même aisé à saisir même avec notre conscience de marmot. Mais c'est vrai que revu adulte, on est assez estomaqué par la radicalité de la charge (en particulier la saison 2).
Et Marquis n'a rien de "porno", c'est vraiment une réussite artistique, et une approche super convaincante de l'esprit de Sade, où l'art de Topor est parfaitement à sa place.

E.

Gui a dit…

je regarderais Marquis, mais si c'est une approche vraiment convaincante de l'esprit de Sade, ce serait tout à fait ignoble. "Salo" de Pasolini est la seule approche réaliste de Sade que je connaisse et encore aujourd'hui des spectatuers sortent de la salle écoeurés avant la fin... Tout le monde vénère Sade mais les écrits de Sade sont tout à fait insoutenables pour une personne morale. Sade explique par exemple que la pédophilie est défendable justement si l'on abîme les enfants physiquement et moralement (physiquement parce que leurs organes sexuels ne sont pas encore prêts et qu'il y de la jouissance dans le fait de les endommager à vie). Je prends cet exemple parce que c'est le plus choquant par rapport à notre morale actuelle, mais il y en a plein d'autre. J'ai l'impression que tout le monde vénère Sade sans l'avoir lu et que par "approche convaincante" on entend approche au goût du jour, revisité... d'ailleurs vous dites "l'esprit de Sade" c'est quoi "l'esprit". Un écrivain laisse un témoignage noir sur blanc, au moins c'est clair...

Elias FARES a dit…

L'esprit au sens justement de ne pas prendre les situations qu'il met en scène à la lettre, et certainement pas comme l'apologie de quoi que ce soit d'indéfendable. Je lis Sade comme je lis de la poésie. J'y vois une façon de confronter l'homme avec la notion d'impossible, avec un excès qui mène vers une sorte de vertige. Voir les essais d'Annie Le Brun ou Georges Bataille.

E.