Tremblements de terre, naufrages, invasions d'insectes,
incendies, 747 en détresse, etc. Genre-roi dans les années 70, le
film-catastrophe était quelque peu tombé en désuétude au cours de la décennie
suivante, avec des productions à petit budget destinées à la télévision ou au
marché vidéo. Avec le développement et la généralisation des effets spéciaux
numériques dans les 90's, une forme inédite de spectaculaire devenait désormais
possible. De Twister (1996) à San Andreas (2015), en passant par Titanic, Volcano, Fusion ou 2012, les
catastrophes les plus diverses pouvaient être de nouveau données à voir au
cœur de superproductions plus ou moins inspirées. En 1998, par un curieux
hasard, deux studios concurrents, Touchstone et Dreamworks, mirent en chantier
leur blockbuster de l'été partageant un sujet similaire. En effet, dans Armageddon (du tandem Bay/Bruckheimer) comme dans le Deep
impact de Mimi Leder (une production
Spielberg), la Terre est menacée par un gigantesque météore. Il n'y a là de
toute façons rien de neuf puisque déjà en 1979, Meteor, film de Ronald Neame avec Sean Connery, proposait le même postulat.
Nous ne jouerons pas ici au jeu des différences mais il est bon de savoir que
le succès du film de Michael Bay éclipsera assez vite son rival qui seul nous
occupe ici. Deep impact est donc
clairement passé inaperçu à sa sortie. Jouant délibérément la carte de
l'intimisme au détriment de la surenchère visuelle, il gagne pourtant à être (re)découvert.
Deep impact fait partie de ces films qu'on se
met à regarder sans en attendre grand chose et dont on sort avec l'impression
étrange mais agréable qu'il possède d'inattendues qualités, notamment dans sa
compréhension et son traitement du genre. Bref, ce qu'on appelle une heureuse
surprise. Le film-catastrophe y est logiquement et avant tout envisagé comme un
film choral, mais c'est un authentique mélodrame que Mimi Leder réalise avec
une vraie sensibilité. Le titre possède ainsi un double sens, l'impact en
question se rapportant autant à la planète qu'à ses habitants. La catastrophe
proprement dite n'est qu'un révélateur de problèmes profondément humains, la
fin du monde annoncée appelant à un retour sur soi, à une confrontation sans
détour avec son destin, tant collectif (la solidarité entre les nations)
qu'individuel (la réconciliation familiale, la mort). N'ayant plus d'échappatoire, les
personnages vont tenter de ramener un peu de paix dans leur conscience, de se
mettre en accord avec des désirs que la vie en société rend impossibles. Dans
un monde appelé à disparaître, le mensonge, la dissimulation et l'hypocrisie
n'ont plus de raison d'être. La dernière intervention télévisée du Président
américain, après que toutes les tentatives pour éliminer la menace aient
échoué, prendra la forme d'un constat implacable, où les conventions n'ont plus
leur place. Depuis son bureau ovale, le chef de la Nation est debout, sans
costume ni cravate, sans prompteur ni discours prémâché. Alors que dans ses
allocutions précédentes il évoquait Dieu comme garant du sort de la planète, il
se contente maintenant de déclarer sans illusions : « Good luck to us all », renvoyant chacun à son propre salut.
Le principe du film-catastrophe
implique un casting premier choix. Aux côtés de deux jeunes talents qui
symbolisent l'espoir (Elijah Wood, Leelee Sobieski), le générique affiche
quelques glorieux professionnels aux rôles plus ou moins développés : Robert
Duvall, Morgan Freeman, Kurtwood Smith, James Cromwell ou Charles Martin Smith
(si les noms de ces derniers ne vous disent rien, leurs têtes à coup sûr ne
vous sont pas inconnues). On notera en particulier la présence des magnifiques
Maximilian Schell et Vanessa Redgrave qui, quatre ans après Little Odessa, incarnent à nouveau des
personnages très forts de père et mère (ici divorcés). Au centre de cette
galaxie, Téa Leoni est la véritable protagoniste, riche de contradictions,
attachante et, pour finir, bouleversante. Journaliste de télévision, elle est
élevée au rang de porte-parole officiel de l'événement et concentre sur elle
l'attention de tous, personnages comme spectateurs. Elle est pourtant loin
d'être une héroïne lisse et avenante. Apparaissant pleine d'ambition, sa
réussite professionnelle lui laissera finalement un goût amer. En parallèle,
elle se retrouve écartelée entre une mère désabusée qui cache bien sa
fragilité, et un père fraîchement remarié avec lequel elle s'impose une
distance qui la torture.
Le film mettant en scène un grand
nombre d'acteurs, de lieux et d'actions, il n'était pas évident de parvenir à
tenir constamment le rythme et l'intérêt du spectateur. Sur ce plan-là, formée
aux sous-intrigues des séries télés (notamment Urgences), la réalisatrice a fait ses preuves. Il est vrai cependant
que certains passages sont moins convaincants, plus édifiants, en particulier
ceux avec l'équipage du vaisseau spatial The
Messiah qui répondent le plus au cahier des charges de ce type de
production : oppositions de caractères, réunion dans la bravoure, suspense type
compte à rebours, sacrifice héroïque. Le soin de la caractérisation demeure,
qui tente de donner aux astronautes une épaisseur bienvenue, sans sombrer dans
l'idéalisme. Ils n'ont absolument pas le physique de superhéros et Robert
Duvall n'apparaît pas au premier abord sous un jour aimable. Vétéran de la
conquête spatiale, il a la fibre patriotique affirmée, citant Twain et
Melville. Ses deux fils, engagés dans une carrière militaire, le vouvoient en
l'appelant « Sir ». Face à lui,
les autres membres de l'équipage incarnent l'arrogance de la jeunesse. Encore
une fois, c'est le sentiment de l'inéluctable qui va briser un peu la rigidité
de ces rapports, faire tomber les masques et ouvrir à l'abîme de ce qui fut et
ne sera plus. La possibilité d'échapper à la catastrophe est clairement un
enjeu mineur. L'affiche du film ne met-elle pas la dimension spectaculaire au
même rang que l'aspect sentimental ?
Excellemment écrit, s'adressant
davantage à la sensibilité du public qu'à son goût pour les effets spéciaux, le
film parvient à toucher en accordant un grand soin au parcours de ses
personnages, même secondaires. Le scénario, signé Michael Tolkin (The Player) et Bruce Joel Rubin (L'Échelle de Jacob, Ghost), choisit de
porter son attention sur des héros sans cesse ramenés à leur quotidien, à leur
intimité. De même, nous sont montrées les différentes réactions qu'un tel
événement peut provoquer dans nos existences (nombreux contrechamps sur des
visages tétanisés), ainsi que ses conséquences pratiques, entraînant des
décisions qui font froid dans le dos (loi martiale et couvre-feu pour empêcher
les pillages, gestion des abris et sélection de ceux qui y auront accès). La
majorité de la population étant condamnée, notamment les plus de 50 ans, c'est
avec beaucoup de pudeur que le film nous amène à partager avec eux leur
désespoir.
Il
y a dans Deep impact une sobriété
dans la narration qui se révèle très précieuse. Contrairement à une tendance
bien ancrée dans le cinéma américain, la réalisatrice et ses scénaristes ne
craignent pas de jouer avec l'implicite, de s'attarder sur l'expression d'un
regard saisi au vol, de faire confiance à la capacité de déduction du
spectateur plutôt qu'au surlignage des dialogues. Ainsi, le fait que Morgan
Freeman, un Noir, soit Président des USA est amené avec une évidence tranquille
qui dissimule l'audace d'un tel choix — prémonitoire qui plus est. Dans ses cadres comme dans son montage,
Leder fait preuve d'un véritable sens de l'ellipse, qui apporte une subtilité
appréciable à son récit et à ses personnages. Les raccords d'une scène à
l'autre sont alors chargés d'un poids inhabituel. Beaucoup de choses restent
dans le non-dit et le hors-champ, et l'émotion qui s'en dégage n'en est que
plus forte (voir la fin tragique de Vanessa Redgrave). Le peu de compromissions
concernant le sort de certains personnages y compris les principaux est assez
remarquable. Leder ne brise pas l'émotion en insérant des répliques
humoristiques et distanciatrices. Le film est remarquablement avare sur ce point
mais distille quelques traits d'ironie grinçants (notamment sur les coulisses
d'une chaîne tout info) qui évitent de tomber
dans un ton patriotique ou héroïque. Il y a une réelle volonté de mettre à
distance le spectaculaire. La catastrophe et son festival de SFX sont ainsi relégués
dans les 10 dernières minutes, alors que l'émotion est à son comble, les
personnages ayant fait des choix qui les ont menés au point de non-retour.
Rarement
immobile, la caméra de Leder ne tombe pour autant jamais dans la frénésie. Au
contraire, sa mise en scène se caractérise par une grande élégance et une belle
lisibilité, privilégiant les plans longs, les mouvements amples au steadycam,
suivant ses personnages au plus près tant dans l'urgence (le plan-séquence où
Elijah Wood parcourt la maison déserte de Leelee Sobieski, la course des
journalistes vers l'hélicoptère) que dans leurs nombreux moments d'attente ou
de recueillement (le dernier dialogue entre Téa Leoni et Vanessa Redgrave). La
mise en scène de la catastrophe elle-même est absolument fantastique. Il faut
voir comment est découpée toute la scène du raz-de-marée sur New York. Les
effets spéciaux ont été confiés aux grands noms de ILM, Michael Lantieri (Indiana Jones and the last crusade,
Jurassic park, Mars attacks !, The Polar express) et Scott Farrar,
spécialiste des effets optiques (Le
Retour du Jedi, Willow, Men in black, Space cowboys, Minority report). Le
score de James Horner, jusqu'ici sans relief particulier, parviendra néanmoins
lors de ce climax à brillamment soutenir l'émotion, entre accélération de la fuite,
paroxysme des sentiments, et déclenchement de la catastrophe. Dietrich Lohmann
signe quant à lui une photographie particulièrement chaleureuse, dans une
lumière de plus en plus crépusculaire ici tout à fait appropriée. Ce sera là le
dernier travail de celui qui fut le chef opérateur attitré de Fassbinder, et
qui avait déjà collaboré avec la réalisatrice sur son film précédent, Le Pacificateur. Le film lui est d'ailleurs dédié.
Deep impact
mérite vraiment d'être apprécié dans ses détails, pour la justesse de ses
dialogues, la qualité de sa direction d'acteurs. Ce n'est ni un grand film, ni un chef-d'œuvre mais une œuvre digne
et intelligente, assurément un des films-catastrophe les plus convaincants de ces dernières années.
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